Revenons aujourd'hui sur la genèse d'un des chef d'oeuvres de la longue carrière des X-Men, à savoir Dieu crée, l'homme détruit. Qui s'appuie sur les intuitions et le talent narratif d'un homme, Chris Claremont, capable de digérer et sublimer les intentions initiales de Stan Lee, pour tisser des trames complexes et à tiroirs, et mettre en scène des héros à la personnalité en évolution permanente. Une de ses marottes permet de faire des X-Men une série pas comme les autres : le concept de l'hystérie anti-mutants, qui lui permet d'écrire quelques unes de ses pages les plus pertinentes. Episode après épisode, nous avons l'impression que la tension entre l'homo sapiens sapiens et les porteurs du gène X ne fait qu'être exacerbée, au point que l'humanité cherche toutes les parades possibles pour contrer la menace mutante, qu'elle perçoit comme l'engeance génétique ultime. Le Massacre mutant (extermination des Morlocks), Inferno, le procès de Magneto, ont contribué à rendre Claremont légendaire, et grand démiurge du comic-book moderne. Qui eut l'idée (comme Miller ou Moore) d'utiliser le format différent du Graphic Novel, pour pousser d'avantage encore la reflexion, et aboutir à une conclusion aussi effrayante que réaliste, et destinée à un public plus mur et exigeant que celui du lecteur moyen de fascicules mensuels, comme peut l'être Uncanny X-Men. God Love Man Kills est toujours considérée aujourd'hui comme une oeuvre majeure, au point que le second film dédié aux mutants s'en inspire largement. Claremont creuse avec sagacité le thème du racisme envers l'homo superior comme jamais encore il n'avait osé le faire, ouvrant la porte à l'avalanche de morts et de destruction qui suivra dès lors dans le titre Uncanny X-Men. Ce racisme là, cette chasse aux mutants, c'est bien sur celle que connaît l'Amérique, chaque jour, contre ses minorités noires, hispaniques, gays, contre celles et ceux qui ne se fondent pas dans un moule rassurant, mais présentent une différence visible qui génère la peur, et l'incompréhension.
Le révérend Stryker est un exemple édifiant de ces prêcheurs qui sous le gouvernement Reagan contribuent à rendre l'Amérique une terre de méfiance et d'intolérance, défendant à bras le corps la bien-pensance et le confort illusoire d'une caste wasp dominante. Convaincu d'agir au nom de Dieu, il engage une croisade contre les mutants qui risque d'avoir des conséquences désastreuses. Effarés, les X-Men ne peuvent qu'assister impuissants à cette montée du fanatisme. S'il est relativement aisé de montrer ses muscles et de frapper les criminels, comment lutter efficacement contre les préjugés raciaux, quand ceux-ci s'enracinent chaque jour davantage? Le public réagit, et on assiste à des agressions, des meurtres, qui n'épargnent pas même femmes et enfants. La menace est si grave que les X-Men et Magneto se retrouvent du même coté de la barrière, pour mettre fin à une situation intolérable et incontrôlable; c'est également un des premiers signes de l'évolution du personnage du maître du magnétisme, vers une complexité caractérielle évidente. A travers une critique âpre et intelligente de toutes formes de préjugés, et une analyse politique sommaire mais pertinente, Claremont écrit des textes et des dialogues poignants qui continuent aujourd'hui encore à faire de cet album une référence totale en matière de comic-books lucides et réalistes. L'hydre a de multiples têtes, du cynisme des politiciens qui utilisent les peurs et la haine comme réservoir de voix, aux citoyens lambda qui cherchent un bouc émissaire (les immigrés, les marginaux) pour justifier leur propre apathie et leurs propres limites. Sans oublier le fanatisme religieux, excuse idéale pour perpétrer les plus basses besognes. God Love Man Kills est truffé de moments de bravoure, comme lorsque Kitty Pride trouve les ressources morales pour aller défier Stryker, ou les tourments de Magneto, sans oublier un Scott Summers qui s'affirme progressivement comme le chef indiscutable des mutants, qu'il est appelé à devenir. Brent Anderson dessine l'ensemble sous forte influence (Neal Adams) et s'en sort particulièrement bien, pour ce qui est de la mise en page, de l'utilisation des ombres, et de la perspective. A vouloir chicaner, son trait sera plus précis et agréable sur des oeuvres futures. Malheureusement la version proposée par Panini (fin 2013, dans la collection Graphic Novel) est épuisée et se négocie à des prix pas toujours raisonnables. En attendant la réédition, vous avez aussi la possibilité de vous rabattre sur un vieil album des X-Men (le n°3 de la série, en 1984 chez Lug) à dénicher d'occasion sur un forum ou dans une brocante. Une aventure qui vient nous rappeler à quel point les comic-books peuvent être intelligents, et constituer un admirable miroir de notre société si fragile et prompte à jeter l'enfant avec l'eau du bain.
Le révérend Stryker est un exemple édifiant de ces prêcheurs qui sous le gouvernement Reagan contribuent à rendre l'Amérique une terre de méfiance et d'intolérance, défendant à bras le corps la bien-pensance et le confort illusoire d'une caste wasp dominante. Convaincu d'agir au nom de Dieu, il engage une croisade contre les mutants qui risque d'avoir des conséquences désastreuses. Effarés, les X-Men ne peuvent qu'assister impuissants à cette montée du fanatisme. S'il est relativement aisé de montrer ses muscles et de frapper les criminels, comment lutter efficacement contre les préjugés raciaux, quand ceux-ci s'enracinent chaque jour davantage? Le public réagit, et on assiste à des agressions, des meurtres, qui n'épargnent pas même femmes et enfants. La menace est si grave que les X-Men et Magneto se retrouvent du même coté de la barrière, pour mettre fin à une situation intolérable et incontrôlable; c'est également un des premiers signes de l'évolution du personnage du maître du magnétisme, vers une complexité caractérielle évidente. A travers une critique âpre et intelligente de toutes formes de préjugés, et une analyse politique sommaire mais pertinente, Claremont écrit des textes et des dialogues poignants qui continuent aujourd'hui encore à faire de cet album une référence totale en matière de comic-books lucides et réalistes. L'hydre a de multiples têtes, du cynisme des politiciens qui utilisent les peurs et la haine comme réservoir de voix, aux citoyens lambda qui cherchent un bouc émissaire (les immigrés, les marginaux) pour justifier leur propre apathie et leurs propres limites. Sans oublier le fanatisme religieux, excuse idéale pour perpétrer les plus basses besognes. God Love Man Kills est truffé de moments de bravoure, comme lorsque Kitty Pride trouve les ressources morales pour aller défier Stryker, ou les tourments de Magneto, sans oublier un Scott Summers qui s'affirme progressivement comme le chef indiscutable des mutants, qu'il est appelé à devenir. Brent Anderson dessine l'ensemble sous forte influence (Neal Adams) et s'en sort particulièrement bien, pour ce qui est de la mise en page, de l'utilisation des ombres, et de la perspective. A vouloir chicaner, son trait sera plus précis et agréable sur des oeuvres futures. Malheureusement la version proposée par Panini (fin 2013, dans la collection Graphic Novel) est épuisée et se négocie à des prix pas toujours raisonnables. En attendant la réédition, vous avez aussi la possibilité de vous rabattre sur un vieil album des X-Men (le n°3 de la série, en 1984 chez Lug) à dénicher d'occasion sur un forum ou dans une brocante. Une aventure qui vient nous rappeler à quel point les comic-books peuvent être intelligents, et constituer un admirable miroir de notre société si fragile et prompte à jeter l'enfant avec l'eau du bain.
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