MARVEL'S DAREDEVIL : LA FORMIDABLE SERIE SUR NETFLIX


S'il est une chose qui surprend de cette nouvelle série super-héroïque lancée par Netflix, c'est sa qualité. On s'attendait à quelque chose de remarquable, mais les attentes ont été outrepassé, et de loin. De Daredevil, il nous restait le vague souvenir d'un film bâclé, qui avait entamé sérieusement la crédibilité du personnage à l'écran. Pour le coup, le contraste est saisissant, et nous ne pouvons que nous réjouir du cadeau qui nous est fait, à nous autres fans de longue date de Tête à cornes, et il y a fort à parier que les non initiés également ne boudent pas leur plaisir. Cette série, avant d'être une compilation des exploits d'un acrobate aveugle en collants écarlates, est surtout centrée autour d'un homme, Matt Murdock, qui a perdu la vue en accomplissant un acte héroïque dans sa prime jeunesse, mais a gagné en échange de fabuleux dons qui compensent largement sa cécité. Matt est devenu avocat et défend la veuve et l'orphelin, mais c'est surtout là où la loi ne peut aller, là où elle atteint ses limites, que commence le terrain de jeu personnel de son alter égo costumé. Enfin costumé, disons masqué, tout en noir, comme dans l'excellent Man without Fear, de Frank Miller et Romita Jr. Un détail important car la série opte pour une approche réaliste. Elle part du principe que l'action doit toujours être explicitée, qu'elle doit avoir un sens, une logique, que le super-héroïsme dont il est question ici, c'est avant tout l'accomplissement ultime d'une démarche humaine, le dépassement de soi. Du coup l'action évolue de manière fluide, les rapports interpersonnels sont évidents, et même les combats deviennent de sombres ballets violents, à l'esthétique sublimée, sans pour autant être privés de conséquences. Matt saigne et souffre, il faut le recoudre et il n'est pas invulnérable. Loin de là. Charlie Cox est pratiquement parfait dans la peau de Matt Murdock. Physique de l'emploi, certes, mais aussi parce qu'il a toute une palette de mimiques, d'expressions silencieuses, qui laissent parfois poindre à la surface de l'aveugle le tourment, le désarroi, ou la colère intérieure, qu'on devine réprimés à grand peine. Le Diable Rouge n'est qu'un saint à coté de la vraie menace, du véritable démon qui se nourrit de l'âme de la ville et parasite Hell's Kitchen. Wilson Fisk, sous les traits de Vincent D'Onofrio, est une brute imprévisible, touchante et friable à certains moments, capables en une fraction de seconde d'exploser et de déverser des torrents de cruauté. C'est aussi un homme seul, qui a pour unique ami un homme de main dévoué et déroutant de retenue, et dont les sentiments enfouis sous des années de terreur et d'isolement ne demandent qu'à être libérés, le jour où il fait la connaissance de Vanessa, une artiste peintre qui ébranle momentanément cette montagne de haine et de froideur assassine.

Une des forces de Daredevil, la série, c'est le cast de personnages tous aussi justes et pertinents les uns que les autres. Matt et Fisk, certes mais aussi Foggy Nelson (Helden Henson), un ourson sympathique et foncièrement bon, l'ami rêvé pour un Murdock qui le tient pourtant à l'écart de sa double vie, et avec qui il partage tout depuis la fac, sauf probablement l'essentiel. Sensible et émotif, il humanise fortement son comparse aveugle, par sa seule présence. Karen Page n'est pas qu'une jolie secrétaire destinée au rôle de potiche en détresse. On devine en elle certains secrets qu'il vaut mieux taire, et son obstination à vouloir faire éclater la vérité et atteindre Wilson Fisk lui offre plusieurs scènes mémorables, jusqu'au face à face final avec Wesley, le bras droit de son ennemi, en fin d'épisode 11. Le scénario nous propose une infirmière de nuit (Rosario Dawson) différente de celle rencontrée dans le comic-book, bien plus sexy et moins mystérieuse que la version papier des années 80, et qui de surcroît noue une relation sentimentale avec son patient privilégié. Une romance particulière et évanescente (la double vie de Matt rend tout ceci improbable) qui prend la place du premier flirt historique de Murdock avec sa secrétaire (Karen), pour qui il était allé jusqu'à s'inventer un frère jumeau désinvolte et vantard, qui plus est doté d'une vue excellente (une de ces idées farfelues d'il y a presque cinquante ans...). Vondie Curtis-Hall fait quand à lui un Ben Urich fatigué, usé par une carrière aussi riche en satisfactions qu'en récentes frustrations. A l'ère du numérique et de l'instantanéité de l'information, Ben est un homme d'un autre temps, qui traverse également une crise familiale poignante. L'acteur choisi est afro-américain, ce qui offre une vue différente de ce à quoi le lecteur est habitué. La performance est en tout point louable ici aussi, même s'il ressort certains clichés propres au journaliste intègre et luttant contre la corruption et l'apathie du milieu. Autres petites pépites tout au long de ces treize épisodes, un Stick cynique et sévère, sorte de Murdock plus agé et désabusé, et capable de se couper de toute sentimentalité. ce qui est la force et le talon d'achille de Matt. Ou la lumière instaurée par Matthew J.LLoyd, qui a coups d'éclairages au néon, et de merveilleuse visions nocturnes d'une ville dévorée par la pénombre, retranscrit parfaitement le Daredevil millérien des années 80. L'image est bluffante, capable de rivaliser avec un film haut de gamme. C'est d'ailleurs ce que voulait accomplir Netflix : un long métrage de presque treize heures, coupées en treize tranches, à savourer sans réserve aucune. Daredevil est une réussite totale, et laisse loin derrière toutes ses concurrentes gravitant autour de la même thématique. Passez à autre chose, après Daredevil, c'est comme poursuivre le concours de saut à la perche après qu'un nouvel athlète inconnu vient de réussir un saut à 6,50 mètres et de pulvériser le record du monde. Il y a de fortes chances que tous les autres finissent sous la barre, même s'ils sont très talentueux.


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