BATTLIN' JACK MURDOCK : GENEALOGIE D'UN FUTUR HEROS PAR CARMINE DI GIANDOMENICO

Ne cherchez pas la silhouette écarlate de Daredevil dans cet album très particulier consacré au Diable de Hell's Kitchen: il ne s'y trouve pas vraiment. Comme l'indique le titre de cette aventure, c'est le père de Matt, Battlin' Jack Murdock, qui tire à lui la couverture. Rien de bien surprenant et de vraiment nouveau pour tous les lecteurs habituels de la série : ils connaissent bien entendu l'histoire et les déboires du paternel de notre héros, son parcours de père seul, frustre, mais au coeur gros comme ça, et qui fait de son mieux pour inculquer au fiston la valeur et l'amour des études. Pendant ce temps là, lui, il cogne. Sur un ring, mais pas seulement, puisqu'il s'occupe des basses oeuvres de certains caïds des quartiers, jusqu'au jour où une fillette le surprend en train de tabasser son père. Coté sportif, les choses vont un peu mieux, puisqu'arrivé au crépuscule de sa carrière, Jack se met à enchaîner les victoires par Ko, au point de redevenir une pointure du milieu. Sauf que les combats étaient en grande partie truqués, et que le jour de la grande finale, on lui ordonne de se coucher à la quatrième reprise. S'il n'obtempère pas, il perdra la vie, ou pire, les commanditaires s'en prendront au pauvre Matt sans défenses... ce même Matt qui n'attend que la grande tragédie familiale habituelle chez les super-héros, pour basculer du coté obscur de la force. Carmine Di Giandomenico est un amoureux du personnage, un grand admirateur et connaisseur de la carrière de Daredevil, et dès ses premiers pas chez Marvel il s'est empressé de soumettre ce projet un peu particulier, retravailler la genèse du héros, en s'attaquant à la figure paternelle, respectant tout en complétant et illuminant les oeuvres canoniques de Frank Miller, l'auteur qui a su mieux que quiconque offrir un background familial bouleversant et crédible au petit Murdock. Zeb Wells est ici présent en qualité de co-scénariste, qui a aidé Carmine a retravailler son story-board initial, et a épuré certaines idées de départ que Marvel ne pouvait accepter en l'état. Le résultat est tout simplement magnifique, et constitue un incontournable pour les lecteurs du Diable Rouge. 

Di Giandomenico se posait justement cette question cruciale : pourquoi un père de famille aussi attaché à son fils, le sachant aveugle et orphelin s'il venait à perdre la vie, refuserait de se coucher au quatrième round d'un combat truqué, mettant en péril le quotidien et l'avenir du fiston pour une simple question d'honneur, d'orgueil? Ne serait-ce pas un devoir pour tout homme responsable d'obéir et de se retrouver au tapis, quand les enjeux sont aussi capitaux? A moins que Miller n'ait laissé certaines choses dans les marges de son récit, attendant d'être découvertes, magnifiées, explicitées. Carmine a fait sienne la légende fondatrice de Daredevil, et il parvient à s'y mouvoir avec une incroyable justesse. En lisant ce Battlin' Jack Murdock c'est tous vos souvenirs d'enfance qui s'en trouvent réévaluées. De la relation de Jack avec sa femme, puis avec Josie, la tenancière du bar si aigrie et désabusée chez Miller (et ici le final de ce récit nous explique grandement pourquoi elle est devenue ainsi), aux premiers pas de Matt en tant que gamin surdoué et combatif, tout est étonnamment parfait, et s'inscrit dans une logique inattaquable, qui resplendit comme une évidence. Le style de l'artiste italien est âpre, dur, revêche, de ses crayons suintent la sueur, le sang, la violence contenue qui parfois explose en accès rageurs. C'est très expressif, explosif, les planches sentent le cuir et les bars miteux, et sont en soi une plongée impitoyable dans l'enfer de la plus célèbre cuisine new-yorkaise. Les quatre parties sont centrées toutes autour d'un des rounds du combat, et entre deux affrontements Jack partage ses souvenirs, ses sensations, s'ouvre l'âme plus que l'arcade sourcilière. tout ceci nous amène inexorablement vers une conclusion que nous connaissons déjà tous, mais qui n'avait jamais été présentée auparavant sous cet angle, qui est pourtant une évidence. Voilà un classique instantané, le genre de saine lecture qui vous fait aimer à vie Daredevil, et son univers si dense et attachant. La critique est conquise, Ko debout, jetez l'éponge et les fleurs, c'est grandement mérité. 


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