Personnage méconnu et série(s) peu adaptée(s) chez nous, Concrete est loin d'être dans les bibliothèques de tout le monde, en France. Et pourtant l'oeuvre de Paul Chadwick est fort attachante, et mérite qu'on s'y arrête le temps d'une petite explication.
Ron Lithgow est un timide assistant sénatorial dont l'existence n'a rien de bien bouleversante. Même l'aspect sentimental est un ratage. Mais lorsqu'il part en escalade avec Michael, son meilleur mai, l'imprévu est au rendez-vous. Les deux hommes sont enlevés par une race d'extra-terrestres qui leur font subir toute une série d'expériences, avec en point d'orgue un échange standard entre leurs corps humains, et ceux de cette race d'outre monde. Ils se retrouvent ainsi métamorphosés en êtres de ciment, dotés d'une force surhumaine, mais en partie organique à l'intérieur de cette carapace. Ron parvient à s'échapper, non sans dégâts, puisqu'il met en fuite les visiteurs, qui quittent précipitamment notre planète. Il perd au passage son ami qui se sacrifie pour lui garantir la liberté. Seul et emmuré dans un corps qu'il ne connaît et ne maîtrise pas, Lithgow est pris en charge par les militaires et l'arriviste Stamberg, qui décident de le présenter au grand public comme une expérience bio-technologique top secrète, afin d'éviter de divulguer la plus incroyable réalité. Le surnom affublé à la créature correspond bien à son aspect : Concrete, qui en anglais signifie béton, justement. Un Concrete triste et mélancolique, secrètement épris de la scientifique qui s'occupe de son cas et lui démontre une certaine forme de tendresse, mais qui ne peut plus rien éprouver avec cet épiderme si particulier, et qui va devoir s'émanciper pour retrouver un semblant de liberté. Mais quelle vie peut bien attendre Ron, désormais, si ce n'est celle de bête de foire, entre des publicités de-ci et une démonstration de force de-là? Peut-être pourrait-il être un héros, sauver et aider les autres? Une idée à creuser, lorsqu'on est enfermé dans un corps étranger.
Ce premier tome de Concrete, publié dans la collection Semic Books, est en fait la 4° mini série consacrée au personnage de Paul Chadwick, et reprend de manière revisitée les origines du personnage. Elle est d'ailleurs postérieure à une autre mini-série, présentée dans le second et dernier tome de Semic, où Concrete découvre le milieu du cinéma et assure les effets-spéciaux sur un plateau, à faible coût. Mais revenons-en au premier... Nous lisons là une belle histoire mélancolique, avec la dichotomie entre le corps imposant et insensible du protagoniste, et son âme rêveuse et idéaliste, qui persiste à prendre le dessus sur la résignation. Concrete pourrait profiter de ses nouveaux dons pour amasser de l'argent sans vergogne ou pour imposer sa force, sa puissance, selon son bon vouloir. Mais Ron a gardé son humanité et ses doutes, ce qui fait de lui cet adulte encore un peu enfant, qui rêve sa vie plutôt que de la vivre totalement. L'amour lui est à jamais proscrit sous cette nouvelle forme, mais la romance platonique avec Maureen, la scientifique, reste au coeur des débats et embellit encore le scénario par de belles éclaircies d'espoir, mais aussi des réflexions plus amères sur l'impossibilité évidente de partager un jour de vrais sentiments. Chadwick est aussi l'auteur des dessins, et il parvient, avec un trait subtil et racé, à dépeindre avec crédibilité les sentiments et les motivations des différents personnages, y compris sur le visage bétonné de Concrete qui s'illumine parfois d'un regard ou d'un sourire enfantins. En tant qu'écologiste militant, Chadwick n'oublie pas non plus la nature, qu'il sait mettre en avant avec talent et douceur. L'histoire touchante d'un homme qui se retrouve à jamais protégé du monde qu'il semblait souvent craindre, dans sa première incarnation, mais dont il ne pourra plus jamais jouir, en contrepartie, comme tout être humain de chair et de sang. Il lui faut réapprendre à vivre, sans jamais avoir vraiment vécu auparavant. Une expérience de lecture à tenter, assurément.
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