A l'occasion de la publication du projet Infinity 8 en librairie (sous forme d'albums complets reprenant chacun un cycle) je me suis enfin penché sur la série qui a fait parlé d'elle ces temps derniers. Le premier tome s'appelle Romance et Macchabées, et il met en scène l'agent Yoko Kersen, pour d'improbables aventures dans l'espace, entre gaudriole et science-fiction. Infinity 8 est un vaisseau géant, qui est dirigé vers la galaxie d'Andromède, mais rencontre un obstacle sérieux sur sa route. Un amas d'artefacts non identifiés barre la route du croiseur spatial; pour l'essentiel il est composé de débris de civilisations, fusées détruites, bref une vaste nécropole flottant dans l'éther. C'est pour cette raison que le capitaine de l'Infinity 8, un petit homme ventru et alcoolique, fait appel à Yoko Kersen, pour activer la procédure 8, ce qui signifie l'incroyable possibilité de revenir en arrière dans le temps (de huit heures) avant de décider si poursuivre avec cette nouvelle ligne temporelle, ou opérer le "reboot" si à la mode dans les comics. L'agent Kersen est aussi active qu'agréable à regarder, ce qui lui vaut les regards concupiscents de pas mal de mâles, de différentes races présentes dans le vaisseau (257!), mais elle, ce qu'elle désire, c'est trouver un géniteur apte à lui assurer une descendance. Pas de chance, ceux qu'elle croise ont tous des défauts et ne font pas l'affaire. En cours de mission, elle se heurte à la race des kornaliens, des êtres monstrueux et nécrophages, que la présence de la mort en suspension dans l'espace excite au plus haut point. L'un d'entre eux, Sagoss, se montre plus raisonnable et va se révéler être un allié inattendu pour l'affriolante Yoko, dont il va tomber raide dingue amoureux après avoir dévoré le cadavre d'un poète extra-terrestre. Une romance loufoque va naître, entre remarques salaces, envolées lyriques au goûts douteux, et effluves de putréfaction aromatiques. Bref c'est dingue à raconter, dingue à lire, et ça part par moments dans tous les sens.
C'est Lewis Trondheim et Olivier Vatine qui chapeautent ce projet, annoncé lors du festival d'Angouleme de l'an passé. Infinity 8 est une histoire qui va se dérouler sous formes de huit cycles, les deux premiers bénéficiant au préalable d'une publication sous forme de trois fascicules, presque à l'américaine. Dominique Bertail est au dessin du premier tome, avec l'ambition de faire vivre une odyssée de l'espace totalement foutraque, orchestrée par une héroïne pulp et indépendante, qui est harcelée par un alien dégueulasse mais persévérant. Une histoire d'amour improbable au premier regard, mais sous les apparences et l'humour lourd, peut-être que l'autre, le différent, le monstre, n'est pas aussi marginal qu'il ne paraît, et possède sa propre dignité, ses propres qualités. Les pages sont fort dynamiques, inventives et iconoclastes, à grands coups de tentacules, cadavres putréfiés, et formes généreuses de l'héroïne. Les détails des visages et les silhouettes de certains personnages secondaires n'ont rien de formidables, mais Bertail se rattrape sur les vignettes les plus larges avec de jolies intuitions bordéliques. Le scénario, écrit aussi avec Zep, ne s'embarrasse pas de réalisme (même de loin) et coupe avec franchise dans l'absurde, la série B cosmique, et le délire en apesanteur. Expérience qui peut être déroutante, déconcertante, mais qui ne laisse pas un goût désagréable en bouche, après consommation, loin de là.
Publié aux éditions Rue de Sèvres.
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