J'entends souvent dire qu'il n'y a plus de bonnes séries chez Marvel... à ceux qui pensent ainsi, mais qui sont prêts à accepter qu'il reste encore de très bonnes choses, à condition de chercher un peu, recommandons donc Moon Knight par Jeff Lemire. Certes, les meilleurs titres actuels ne sont pas les plus vendeurs, mais en regardant un peu dans la marge, on trouve encore des choses formidables et audacieuses. Revenons à Moony (je l'appelle ainsi, on se connaît bien). Sous le costume blanc du chevalier lunaire se cache un individu à la psychè fragmentée, psychotique, qui s'est inventé différents alter ego et mène une croisade contre le crime, à la lisière de la folie. Lemire a eu la bonne intuition de remettre en question jusqu'à l'existence même du héros, et de décomposer complètement l'intégralité de ses identités factices, pour tenter de comprendre qui et de quoi est vraiment constitué Marc Spector. Finalement, peu importe ce qui se produit réellement à New York, l'arrivée de Konshu, Anubis, ou une invasion mystique et religieuse, un délire fantasmagorique... Tout ceci est secondaire! Le point principal, c'est ce qui se passe dans la tête d'un homme qui vit plusieurs existences en simultané, y compris celle de Marc Spector donc. On le voit ainsi combattre une invasion de loups-garous de l'espace, pour sauver la dernière base lunaire où l'humanité s'est réfugiée. Dans la peau de Jake Lockley, le chauffeur de taxi, causer un accident mortel dont il n'a ensuite aucun souvenir. En tant que Steven Grant, milliardaire et producteur de films, on le retrouve sur le plateau du tournage d'un long-métrage dédié à Moon Knight, commandé par Marvel Studios. Toutes ces tranches de vie s'imbriquent, se télescopent, débouchent les unes dans les autres, sans que le lecteur puisse comprendre de suite où se situe la réalité. Si réalité il y a...
Jeff Lemire se fait plaisir en récupérant des moments clés, des personnages issus des grandes heures de la série (la période Sienkiewicz) et parvient à réunir tout ceci dans une trame complexe et déroutante, où rien n'est acquis et tout est basé sur la friabilité de la réalité, la porosité des différentes identités d'un héros instable. La belle Marlene, la serveuse Gena, le sans-abri Crawley, tout ceci évoque de bien bons souvenirs, ici conditionnés par une folie débordante, où tout n'est qu'écrans de fumée. Au dessin le très bon (capable d'instaurer une vraie ambiance énigmatique) Greg Smallwood n'est pas le seul artiste. En effet, chaque personnalité possède un dessinateur attitré. Ainsi Wilfredo Torres illustre Steven Grant, Francesco Francavilla Jake Lockley, James Stokoe met en scène un Moon Knight spatial contre les loups-garous et Greg Smallwood reste avec ce bon vieux Marc Spector. Si vous ne connaissez pas les épisodes cruciaux du personnage, il y a plusieurs décennies de cela, sachez aussi que Panini a pris le soin de respecter le tpb original, et d'insérer un épisode du run de Doug Moench/Bill Sienkiewicz, où un assassin sème la terreur et trucide des sdf, dont le déjà évoqué Crawley (qui a un role crucial dans cette affaire). Indéniablement, ce second tome ne prend pas le chemin le plus aisé vers son public, déroute et ne livre même pas toutes les clés nécessaires à la compréhension définitive de ce qui se passe, mais il a le mérite de régler la question des identités fragmentaires et imaginaires de Spector. Artistiquement, c'est une saga fascinante et aboutie que livre là Jeff Lemire, et nous vous recommandons d'y jeter un oeil, sans préjugés.
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