Le héros du moment chez Marvel, c'est le Punisher, avec une série chez Netflix qui semble susciter l'adhésion des fans. On revient donc aujourd'hui sur la première véritable histoire écrite sur le personnage, une mini série que l'on doit au tandem Steven Grant et Mike Zeck.
Le meilleur moyen de tester le potentiel d’un personnage, avant de se lancer dans un mensuel on going déficitaire, c’est donc de lui consacrer une mini série, le temps de prendre le pouls du lectorat. En ce sens Cercle de sang, le premier vrai récit du Punisher lancé en janvier 1986, est particulièrement réussi. Prévue initialement en quatre parties, il est in extrémis prolongé à cinq, devant l’ampleur du succès et la nécessité de donner au scénariste l’espace vital minimum pour développer tout son scénario. Annoncé en couverture comme one of four dès le premier volet, le cinquième numéro est lui gratifié d’un five of five de dernière minute. Ce premier jet sera à la base du succès monstre du personnage, que l’ère des temps, et une certaine radicalisation diffuse de la violence avaient fini par rendre inéluctable. Frank Castle y fait des premiers pas en solo pas toujours très bien affirmés, ou définis, mais qui le porteront très loin. On le retrouve dès la première planche prisonnier du quartier de haute sécurité de Ryker’s Island, mais pas du tout intimidé. Pour lui, la prison, c’est pratiquement un gymnase idéal pour s’entrainer sur les pauvres codétenus qui ont la malchance de croiser son regard. Tous les autres malfrats ont pour le coup l’impression d’être piégés, enfermés avec ce justicier implacable, qui désire transformer son compagnon de cellule en animal domestique et obéissant, dès la première nuit ! Parmi les autres détenus, nous trouvons toute une ribambelle de pourris de premier ordre, des matons corrompus, et même le célèbre Puzzle ou Mosaïque selon la traduction du moment, Jigsaw en Vo. Ce dernier a eu le visage horriblement mutilé en passant à travers une verrière, suite à un affrontement avec Castle. Il règne en petit despote sur une partie de la prison de Ryker’s mais va bien vite déchanter ! Autre pointure en détention, la caricature mafieuse Carlo Cervello (dit le Cerveau, c’est très original tout ça) et son sicaire dévoué du nom de Grégario. Prévoyant de s’évader bien vite de l’enfer carcéral, ils impliquent le Punisher dans le projet, pour mieux le poignarder dans le dos. Mais tout ce plan finit par tomber à l’eau, et la mutinerie terminée, notre héros se retrouve dans le bureau du directeur, non pas pour y subir une peine atroce et attendue, mais pour apprendre l’existence de la Trust, une association de citoyens dits responsables, qui désirent nettoyer la société de la lie qui la ronge. Pour venir à bout de ces parasites, il faut donc pactiser avec le diable, et Castle semble être l’homme de la situation pour ces ronds de cuir machiavéliques, qui lui rendent la liberté dans le but d’en faire un de leurs pions. Ce qui sera vite impossible, lorsque notre justicier se rendra compte que les méthodes employées mettant en grand péril la vie de tas d’innocents, et s’émancipent de toutes valeurs morales. Le Punisher massacre à tour de bras, mais rien ne peut lui ôter son éthique professionnelle…
A l’époque, le Punisher n’a pas encore de définition caractérielle définitive. On le voit par exemple tomber bêtement dans les filets d’une belle asiatique qui l’enjôle avec ses caresses (et plus…) et le conforte dans son choix de bosser pour la Trust. Comment Castle a-t-il pu être aveugle à ce point, et ne pas flairer le danger, se dira l’habitué des sagas de Garth Ennis? Idem quand il règle ses combats à mains nues, en poussant un cri de ninja ou de karatéka, là où aujourd’hui il enfoncerait certainement un bon coup de genoux dans les parties intimes ou la mâchoire. Coté crayonnés aussi, notre Punisher 86 a encore de la marge. Mike Zeck en fait un justicier d’âge mur et qui laisse trop transparaître ses émotions violentes ( la surprise, la consternation… ) à la limite de la caricature. Certes, il n'a pas son pareil pour le faire bondir, s'enfuir, vibrer, tel un animal savage dans une jungle de béton. Et quelle maestria dans le jeu des ombres, sur les corps.
Le scénario de Steven Grant tient globalement bien la route, et il fait abstraction des origines du personnage ; seuls quelques renvois dans les pensées intimes nous ramènent au Viet-Nam, mais le novice en la matière n’en apprendra guère sur le passé du Punisher. Par contre, il a l’intelligence de doter Castle d’une certaine logique destructive, en le poussant à monter les gangs les uns contre les autres, et à développer ce concept d’organisation, de respect du chef qui fédère, et donc d’une élimination systémique et presque mathématique du problème mafieux. Cotés dialogues et couleurs, il faudra bien entendu tenir compte de l’époque, pour comprendre et justifier certaines naïvetés lexicales, une certaine logorrhée ampoulée et des tons empruntés aux trips sous Lsd. Mais à une époque où le Punisher est entré par la grande porte dans la plupart des bédéthèques qui se respectent, et où une série télévisée cartonne, un tel document sur sa genèse a une valeur évidente, et l’album édité par Panini, dans la collection «Best of Marvel» possède une vraie classe, avec cette jolie cover cartonnée qui nous fait rentrer de plein pied dans l’ambiance de la série. Sans être indispensable si on est peu attiré par le Punisher, voilà un volume qui saura en séduire plus d’un parmi les amateurs de gros flingues et de lutte mafieuse, ou simplement de comics vintage.
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