Le Thor de Aaron et Ribic mérite t-il l'écrin du Marvel Deluxe? La question ne se pose même pas, tant il est évident que nous tenons là un run marquant, et artistiquement abouti. Le Massacreur de dieux est en soi un regard sans concession sur ses êtres divins qui se repaissent de leur puissance, leur cruauté aussi, mais qui mis devant les faits, comprennent qu'en fait, ils sont bien moins dignes de leur statut qu'il ne semble. Thor en a fait les frais, comme vous le savez.
Le fils d'Odin aime qu'on le vénère, et il existe une raison simple à cela : quand il n'y a plus personne pour penser et prier un Dieu, que devient celui-ci? Il n'est plus, puisque Dieu est aussi, d'une certaine manière, une création de l'homme (n'en déplaise à ceux qui ont comme conviction que Dieu a créé l'humanité). Un peu comme l'oeuf et la poule, difficile de savoir qui est venu le premier, le cycle semble inépuisable et inéluctable, et il porte un nom célèbre dans la cosmogonie nordique : Ragnarok. C'est ainsi que Thor est fort surpris, en intervenant pour sauver une planète de la sécheresse qui la menace. Si une des habitantes a bien pensé le convoquer dans ses prières, les autres n'ont cure des récits fantastiques qu'il leur raconte autour du feu. S'ils sont séduits par les merveilles narrées, cela reste à leurs yeux des affabulations, et ils ont bien du mal à croire que tout cela existe. Un peuple qui n'aurait personne en qui croire, un peuple sans dieux, cela peut-il vraiment exister? Thor a des doutes à ce sujet, et en menant son enquête, il finit par découvrir une réalité des plus angoissantes. Dans les parages d'Indigarr, il existe un lieu reculé où les anciens dieux de la planète, aujourd'hui oubliés, auraient été massacré, pendus à des crocs de boucher, exterminés. Qui a bien pu commettre un crime aussi odieux? Qui a la force pour décimer tout un panthéon? Une question qui trouve un début de réponse dans le lointain passé, dans la jeunesse de Thor, un jour où le jeune blond au marteau trouva la tête coupée d'un Dieu dans un fleuve, sans savoir que c'était là probablement le premier pas vers l'apocalypse, la fin des siens et du monde.
Commence alors une aventure en trois temps, qui s'étale du huitième siècle à nos jours, pour s'achever dans un très lointain futur. La nouvelle série de Jason Aaron avait tout les symptômes d'un titre qui allait m'ennuyer ferme, mais je reconnais m'être trompé : elle évolue sous de très bons auspices, et développe un discours sur la nature même des dieux qui mérite vraiment que le lecteur s'y attarde et s'y absorbe en réflexion. Esad Ribic offre une atmosphère très particulière avec ses dessins, qui évoquent de belles peintures nordiques, et des Dieux exterminés droit sortis des oeuvres de Moebius. Et puis un ennemi de taille est ici mis en scène. Gorr le Massacreur de dieux est une opposition de poids, une menace qui sévit à travers le temps, l'espace, et taille la tête de tout ce qui revendique le statut divin. Une véritable vague d'annihilation athée. Un album qui a aussi le mérite de replacer Thor dans une posture mythique, accentuer sa singularité au milieu des hommes, et sa solitude au milieu des dieux, pour avoir cette capacité de prendre conscience de son double héritage, sa double culture, cette sorte de trait d'union entre le mortel et l'éternel, qui pour autant apprend avec angoisse que lui aussi peut mourir. Thor va de voir se plier, mais Thor ne peut pas rompre.
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