L'HOMME QUI TUA LUCKY LUKE : LE COW-BOY SOLITAIRE DE MATTHIEU BONHOMME

Dans la série Lucky Luke, lorsque le Colt se met à chanter, c'est souvent d'une manière un peu parodique, et là où le tragique d'une balle reçue lors d'un duel, dans la rue crasseuse d'un village américain paumé, a tout de la catastrophe humaine, c'est en fin de compte l'humour qui dédramatise tout, tournant en dérision et par l'absurde une tradition inébranlable du West américain. C'est là que se creuse le sillon qui sépare le Lucky Luke traditionnel de celui de Matthieu Bonhomme. On rit très peu dans cette album, et lorsque le revolver est de sortie, les victimes mordent la poussière crûment. Et d'ailleurs, le titre prévient, même les héros peuvent mourir, ce qui en définitive est un peu un mensonge, mais je vous laisse lire pour comprendre pourquoi. 
L'auteur fait défiler tous les poncifs qui sont aussi les raisons pour lesquelles on aime lire Lucky Luke : les villes américaines balayées par le vent et la poussière, les duels, la corruption des shérifs locaux, les Indiens et les mines d'or, tout y passe. C'est à Froggy Town que nous retrouvons le cow-boy solitaire, et il va être pris assez rapidement dans les méandres d'une enquête, qui vont le pousser sur la route, en compagnie d'un médecin, le docteur Wednesday, qui fut autrefois un homme respecté et respectable lui aussi, mais qui s'est laissé peu à peu gagné par ses vices, et a perdu toute estime de lui-même, avant ce qui sera un rachat un peu convenu mais héroïque, en fin d'album. Je parlais de l'absence d'humour, et pourtant le running gag de l'impossibilité de consommer du tabac, pour Lucky Luke, est une des choses les plus sympathiques qui nous accompagnent au travers des pages. L'autre, c'est bien entendu la prestation graphique d'une beauté presque parfaite. Bonhomme respecte la légende, et pourtant il sait en livrer une version qui lui est propre, expurgée d'un côté parodique rassurant, pour y ajouter une certaine profondeur, une noirceur évidente, sans pour autant avoir besoin de surcharger ses planches, conservant un trait léger et immédiat, caractéristique de ce type de production de la BD franco-belge. 
Si on a l'impression la plupart du temps d'être dans un milieu familier, c'est aussi parce que cela est nécessaire, les héros nous sont nécessaires, Lucky Luke nous est nécessaire. C'est d'ailleurs ici une figure connue et reconnue de tous, et si la patine du cowboy de fantaisie est légèrement gommée par une dose supplémentaire de réalisme, il n'empêche qu'on retrouve bien le Lucky Luke que nous aimons, y compris quand le drame est plus prégnant, et que le colt ne se contente pas de tirer pour faire rire. S'il manque tout même dans l'histoire quelques rebondissements plus audacieux, si l'intrigue n'est finalement pas aussi musclée que ce que l'on n'aurait pu imaginer en lisant le titre, L'homme qui tua Lucky Luke est certainement une lecture fort agréable, voire carrément indispensable pour qui aime le personnage.


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