Présenté de cette façon, Excellence est donc un récit générationnel, sur les relations conflictuelles entre un père et son fils, par extension une réflexion sur l'autorité et la société et son carcan. Le tout dans un monde où la magie est une réalité, entre les mains des plus puissants. Mais fait important, pour ne pas dire fondamental : Spencer, et la famille Dale, sont noirs. Une couleur de peau qui ne devrait pas définir un ou des individus, sous n'importe quelle latitude, pour aucune raison, mais qui ici fait écho avec notre monde réel, où l'actualité récente aux Etats-Unis nous rappelle que certains sont un peu moins égaux que d'autres, pour des raisons de pigmentation de l'épiderme et d'origines sociales. Les membres de l'Egide par exemple sont censés intervenir dans la vie d'individus qui ont été "élus" et reconnus comme méritants, les autres ne valant pas grand chose. Ou encore, dans cet univers là, tel que pensé par le scénariste Brandon Thomas, les femmes ne peuvent pas accéder à la magie de l'Egide! La caste dominante reproduit les même schémas, avec une infime portion de privilégiés, dont peu importent les intentions, est autocentrée sur la conservation et la protection de ces privilèges, qu'il est hors de question de remettre en cause, encore moins de manière violente, virulente. Il se trouve que Spencer est violent, qu'il a la rage en lui, un peu comme ce mouvement de réaction catalogué sous le slogan "Black lives matter" qui a bousculé et bouscule encore une Amérique, qui préfère souvent regarder ailleurs pour ne pas voir ses invraisemblables lacunes. Parallélisme limpide, et fort bien vu et construit. L'histoire est de surcroit bien servie par le dessin de Khary Randolph (assisté d'Emilio Lopez). Le trait est dur, anguleux, les personnages suintent la colère, la frustration, le tout étant accentué par une mise en page et une construction des planches (beaucoup de contre plongées ou d'explosions graphiques, notamment lors de la manifestation des pouvoirs magiques) qui se veut tout sauf rassurante et banale. D'ailleurs c'est le seul défaut (?) de ce Excellence, la nécessité d'une (re)lecture attentive, d'une vraie immersion, pour que se dessinent les intentions et les moyens mis en œuvre par des artistes, qui ont ici bâti en quelques épisodes un univers riche et fabuleux, dont l'écho avec nos propres travers sera le fil conducteur pour notre exploration personnelle.
EXCELLENCE : RAGE AGAINST THE MAGIC CHEZ DELCOURT
L'adolescence est l'âge de la rébellion, je ne vous apprend rien. Spencer Dales est en pleine révolte, contre tout et tout le monde, par exemple. Il faut dire que son enfance ne fut pas des plus heureuses. Rejeton de l'une des dix grandes familles influentes à posséder le don de la magie, il est appelé à rejoindre l'Egide, une société secrète construite sur un système de castes, où les maîtres magiciens se réservent le droit d'influencer la vie des autres, en l'améliorant. Hélas pour Spencer, ses dons tardent à se manifester, et le paternel, un des plus puissants mages et un formateur assez brusque et peu enclin à l'empathie, semble lui préférer un autre élève, comme s'il n'était pas vraiment son fils désiré, en raison de sa difficulté dans l'apprentissage. De quoi nourrir un ressenti assez profond, qui devient un abysse infranchissable quand Spencer décide de briser un des tabous ultime fixés par l'Egide, à savoir utiliser la magie pour sauver la vie de sa mère mourante, contre l'avis et les ordres du père. C'est que pour appartenir à cette élite, il est nécessaire de respecter de nombreuses règles, un code de conduite rigide, qui suppose par exemple de ne jamais tomber amoureux des personnes qu'on est censés aider à s'améliorer, ou ne jamais utiliser de baguettes magiques "non certifiées", les "vives baguettes", qui ne sont pas sans avoir des conséquences sur le psychisme de ceux qui enfreignent les règles. Les punitions pleuvent, et peuvent aller à l'exclusion, la privation des privilèges. L'Egide est construite sur un modèle très hiérarchique, ou le respect des supérieurs, la conscience d'avoir une place prédéfinie, un espace à ne pas outrepasser, fait partie des motifs qui poussent aussi Spencer à se rebiffer. La gamin ne croit plus en ces impératifs qui lui sont servis comme seul horizon possible depuis l'enfance, il remet en cause l'intégralité du monde dans lequel il peine à trouver sa place, il est la voix des dominés ou minorités, qui ne comptent plus se laisser dicter la marche à suivre, par des dominants qui se complaisent dans la manifestation de leur grandeur supposée.
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