Le quatrième et dernier volume de l'Intégrale The Mask proposée par Delirium est disponible. Si la série nait comme un des fleurons de la bd indépendante américaine, à travers des récits truculents, délirants, et forcément désopilants, le ton se fait de plus en plus sombre, violent, et les deux arcs narratifs ici présentés n'échappe pas à cette plongée dans quelque chose d'autre, de bien plus sérieux (en apparence, car The Mask reste tout de même un titre bien cinglé!). La première aventure s'ouvre avec Eric Martin, jeune homme qui est à la recherche de sa sœur Jill, qui a disparu; aux dernières nouvelles elle a été repérée du côté de la Nouvelle-Orléans, en pleine période carnavalesque. Pas de chance, elle est en réalité tombée entre les mains d'un criminel local qui s'est pris de passion pour le vaudou, un certain Papa Croc. Éric va tout faire pour la retrouver, et il a intérêt à aller vite car la pauvre risque d'être la star d'un snuff movie des plus sordides. Eric s'empresse de se rendre à la banque et de vider les coffres familiaux, pour récupérer toutes les économies à disposition et mener à bien sa mission. Il met aussi la main sur un masque vert que les lecteurs connaissent bien, le même masque qui donne à son possesseur momentané des pouvoirs extraordinaires, lève toute inhibition et le fait entrer dans une sorte de folie furieuse où tout est possible, plastiquement et scénaristiquement. Le détective Kalloway aussi mène l'enquête, à la recherche de celui qu'on surnomme "Grosse Tête" (le Masque désignant l'objet, dans les comic books). Télescopage garanti, avec des situations complétement déjantées, qui vont de la blague grossière au jeu de mot/référence pour la génération boomer (le "meilleur ami" des produits laitiers, il faut avoir en tête la rengaine d'autrefois pour saisir). Eric se rend bien compte de ce que son nouveau visage lui permet de faire, et si on peut reprocher une chose au scénario, c'est l'acceptation ultra rapide et le peu d'approfondissement des conséquences de la transformation sur un protagoniste qui hésite à peine. Rich Hedden se concentre plutôt sur toutes les situations (im)possibles, l'envie de repousser les limites du jeu, dans une sorte de précurseur bien plus frapadingue et inventif de Deadpool. Car oui, ça fuse de toutes parts, pas de répit, c'est effervescent de la première à la dernière bulle. Pardon, page. Goran Delic au dessin propose un trait assez gras, cartoony par endroits, qui bien entendu permet de donner corps à toutes ces idées farfelues avec brio. La mise en couleur est très caractéristique des années 90 et manque probablement un peu de subtilité, mais c'est aussi ça le charme de ces intégrales, de nous ramener à une époque donnée, de nous convier à un témoignage important. Et The Mask, c'est un pan d'histoire des années 90, à coup sûr.
Le second arc narratif est quant à lui d'une qualité indiscutable. Vous avez peut-être en tête le film avec Jim Carrey, c'est-à-dire cette version farfelue mais finalement et avant tout sympathique de "The Mask"? La vérité c'est qu'au fil des épisodes la série gagne en épaisseur et en violence, au point de se terminer dans un bain de sang intolérable et dans la folie furieuse. Le possesseur du masque est ici un dessinateur pour jouets (Aldo Kasker), concepteur de petits joujoux qui traverse une crise existentielle, et surtout n'arrive toujours pas à digérer la frustration d'avoir été rejeté à l'époque de la fac, par ses collègues du club de théâtre amateur. Les autres n'ont pas vu en lui la fibre artistique qu'il était pourtant certain de posséder, et à partir de là, cette blessure intime ne se refermera jamais. Notre homme est emporté, dès l'instant où le masque est appliqué sur son visage, par une furie homicide qui n'est pas sans rappeler le tueur en série du film Seven, de Fincher. Les victimes sont mises en scène dans des poses atroces, chaque nouvel assassinat ne fait que renforcer la terreur. "Grosse Tête", c'est-à-dire the Mask, tel qu'on l'appelle dans les comics, ne fait plus vraiment rire, ou en tous les cas l'humour est devenu tellement grinçant qu'on ne peut qu'être effrayé devant ce déchaînement sans aucun sens, sans aucune mesure par rapport à l'offense première. C'est là que nous touchons du doigt la finalité du projet : derrière la folie ubuesque des débuts ne se cache en fait qu'une forme de divertissement nihiliste, une comédie macabre sans limite, qui se termine dans l'hémoglobine, avec Bob Fingermann et Sibin, et bien loin des gags gentillets auxquels on pouvait s'attendre. Carnaval est le dernier volume de l'Intégrale chez Delirium, et il s'avère donc particulièrement passionnant est indispensable, car il offre la version la plus radicale et dérangeante d'un personnages qui est clairement à inscrire au Panthéon du genre. Décidément les intégrales proposées ces derniers mois par cet éditeur exigeant et audacieux se parent d'un parfum d'indispensable!
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