Si le nom de Ed Gein n'évoque pas grand-chose pour vous, il est fort probable qu'après lecture de cet album publié chez Delcourt, les choses soient fort différentes, et pour longtemps! Nous sommes ici face à l'un des pires psychopathes de l'histoire américaine, un tueur en série aux actions monstrueuses, qui a par la suite inspiré des œuvres cultes comme le roman Psychose de Robert Bloch (porté à l'écran par Alfred Hitchcock) ou encore le terrible assassin du Silence des agneaux. Au départ rien ne prédispose le petit Ed à devenir le monstre qu'il sera ensuite, si ce n'est malheureusement sa famille. Et oui, rappelons-le, les brimades de l'enfance, l'ambiance dans laquelle on grandit sont très souvent à la base de névroses ou de comportements déviants qui peuvent alors gravement nuire au développement individuel, mais aussi à la société dans son ensemble. Avec une mère religieuse fanatique, un père alcoolique et soumis, et pour finir un frère qui semble être le "préféré de la famille", ou en tous les cas le plus débrouillard, Eddie n'a pas tiré le bon ticket à la loterie de la vie. Ne parlons pas de ses relations avec les filles, puis les femmes en grandissant... elles sont inexistantes! Pour lui l'univers féminin relève principalement du péché absolu, ce qui explique pourquoi il deviendra plus tard l'assassin de nombreuses d'entres elles, qu'il va découper méthodiquement, allant jusqu'à conserver puis utiliser les parties intimes et génitales. Oui vous avez bien compris, il faut avoir le cœur accroché pour lire cette bande dessinée. Attention, il s'agit de quelque chose de très fort, qui est absolument a déconseiller pour les plus jeunes ou les plus sensibles. Certaines pages sont particulièrement intenses, choquantes, et non seulement ce qui est décrit est difficilement soutenable, mais c'est aussi montré, illustré sobrement mais puissamment.
Le travail réalisé par Harold Schechter est assez remarquable; la reconstruction des faits, quasi journalistique, permet de comprendre, à défaut d'excuser, ce qui a poussé un individu qui a grandi dans la frustration et l'ignorance de la vie réelle à devenir une créature déséquilibrée et probablement manipulatrice, comme en témoignent les scènes où il est interrogé par la police, les avocats ou les psychologues. C'est l'apparente banalité de l'individu qui accentue l'horreur de la situation. Au premier coup d'œil, rien ne permet de distinguer Ed, le citoyen banal, d'un assassin en série dont il faudrait se méfier. Certes, à bien y regarder, des indices sont disséminés tout au long de sa vie, et en effet, une fois que la vérité éclate, il s'avère qu'il aurait probablement été possible de comprendre où étaient passées certaines des victimes, de ces femmes enlevées et assassinées, et de percevoir à travers les propos du tueur des mots, des demi-aveux, qui deviennent évidents avec le recul. Mais avec des "si" on mettrait Paris en bouteille, alors pour ce qui est de mettre un serial killer en prison... Parfois il est nécessaire de combler les informations glanées par quelques petites libertés scénaristiques, mais ça n'est jamais forcé et cela sert toujours parfaitement un récit, qui est maîtrisé d'un bout à l'autre. Il faut dire que le dessin d'Eric Powell est également extraordinaire. Toute l'histoire se présente dans des tonalités de gris d'une élégance extrême, qui contrastent avec l'atrocité de ce qui est présenté. Le réalisme est ici parfaitement associé au style propre d'un artiste qui parvient à rendre haletante et tendue des séquences pourtant statiques, ou basées sur un regard, un mot, un non dit. Même le quotidien anodin devient menaçant et nous fait frissonner. Certaines pages sont pourtant chargées en didascalies, en informations, mais on les parcours très vite car une fois immergé dans la lecture, il y a comme une urgence à aller au bout de ce récit glaçant, qui en même temps nous contraint à certains endroits à marquer quelques poses, devant l'ampleur de la déflagration conceptuelle. Oui, Ed Gein est le genre de bande dessinée qui va creuser bien profond dans la psyché humaine, oui nous descendons là à un niveau rarement atteint dans l'abject en images, et en même temps, dans l'œuvre d'art aboutie. D'autant plus que l'édition proposée par Delcourt est de très grande qualité, avec notamment un carnet de croquis et quelques annotations bien utiles, qui en font un objet dont la place est sur les étagères de tout amateur de bande dessinée qui se respecte. Incontournable est un adjectif parfois galvaudé, mais certainement pas ici.
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