ASTERIOS LE MINOTAURE : MYTHE, SOLITUDE ET INTOLÉRANCE


 Il n'est finalement pas si facile que cela de s'attaquer aux mystères de la mythologie grecque dans une bande dessinée; tout d'abord car à peu près tout et son contraire a déjà été dit et mis en images, ensuite parce qu'il est assez ardu de trouver un angle de vue ou un fil narratif qui puisse plaire au grand public et s'éloigner d'une didactique guindée, sans tomber dans le drama exagéré. Serge Le Tendre poursuit son exploration des passions de la Grèce antique, avec cette fois l'histoire du Minotaure. Mi-homme, mi taureau, il est le fruit de l'accouplement entre Pasiphaé, l'épouse du roi Minos, et un taureau. Son aspect aussi insolite que terrifiant en fait une créature que tout le monde craint et évite. Une solitude insondable et une condamnation sans appel pour celui qu'on nomme Asterios : être isolé à jamais du reste du genre humain, ne jamais connaître des plaisirs simples comme l'amour ou la solidarité. Heureusement que Dédale, un architecte génial admiré de tous à Athènes, et exilé contre sa volonté à Crête, depuis un malheureux accident concernant un de ses apprentis, le prend sous son aile et lui offre (avec son épouse) cette famille qu'il n'aurait jamais eu autrement. Le Minotaure doit lutter pour que son aspect bestial ne prenne pas le dessus, mais au fond de lui, c'est un être assez doux. C'est surtout la frustration et l'impossibilité d'atteindre à une forme de normalité qui le rend dangereux pour lui-même et les autres. Une figure pathétique plus que sanguinaire, et bien évidemment totalement incomprise, puisque pour tous les autres, ce sera la forme qui primera sur le fond, toujours et inexorablement. 



Il y a bien des scènes sanglantes, où le Minotaure laisse exploser sa fureur, mais c'est surtout l'être "humain" qui est le responsable de son malheur, guidé par ses peurs et ses préjugés. La partie qui concerne l'enfermement du Minotaure dans le labyrinthe, et les sacrifices qui s'en suivent, et très éloquente, et excellemment présentée. Y compris le héros Thésée, qui apparaît ici dans toute sa complexité, et certainement pas comme un guerrier de légende qui n'aurait rien à se reprocher. Serge Le Tendre a bien étudié ses mythes, et plus encore, il les a bien cernés. Et il peut alors en dégager certaines règles universelles, qui démontrent comme en fait ces récits hautement fantaisistes et merveilleux parlent clairement de nous, de notre banalité, de notre grandeur, de notre couardise, bref de notre humanité. Frédéric Peynet effectue un travail de toute beauté aux dessins, alternant des scènes assez posées et statiques, qu'il parvient à rendre attrayantes et fort lisibles, à des explosions soudaines de l'action, avec un Asterios qui crève littéralement la page à deux reprises, dans une séquence qui est le point d'orgue de cette bande dessinée pertinente et passionnante. La couleur s'adapte très bien aux tons du récits, se drapant parfois de ténèbres froides, pour plus loin baigner dans une lumière douce et reposante. Voici donc un ouvrage qui sait faire du neuf -et de quelle manière- avec une histoire que tout le monde croit connaître, souvent à tort, et qui a l'habileté de construire également de vrais personnages attachants, aussi bien dans leur caractère retors (Tectamus et sa duplicité agissent comme un coup de pouce du destin, comme on le pensait pour Eris, la déesse de la discorde, qui régissait les disputes les plus cruelles) que dans leur grandeur d'âme. Sortie prévue chez Dargaud cette semaine, que nous vous conseillons d'ores et déjà avec conviction. 





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