LE VIETNAM JOURNAL DE DON LOMAX CHEZ DELIRIUM : LE VOLUME 6 (KHE SANH)


 Le principe est simple : installez une base américaine (Khe Sanh) dans une cuvette, susceptible de se transformer en piège inéluctable, et vous aurez la certitude que tôt ou tard un massacre aura lieu. C'est ce qui se produit dans ce sixième volume du Vietnam journal de Don Lomax. Comme d'habitude, la chronologie de la guerre du Vietnam est présentée de manière factuelle par celui qui l'a vécue de l'intérieur en tant que journaliste, au front. Cela offre un côté à la fois terrifiant, impitoyable et particulièrement humain, puisque lorsqu'on place le regard au niveau des assauts, ce ne sont plus des soldats mais des êtres comme vous et moi qui sonnent la charge, la fleur au fusil, avec leurs doutes, leurs peurs, leur noblesse ou leur lâcheté. Ici, l'armée américaine ne va pas rester sans réagir après avoir essuyé de si lourdes pertes (le massacre de la "Compagnie B"). Quand on sort les grands moyens, quand on possède un matériel de pointe et qu'on est capable d'envoyer un grand nombre d'hommes sur le terrain, quitte à s'en servir comme chair à canon, la riposte a de quoi être éminemment convaincante. D'autant plus qu'il reste des hommes dans la base, qu'il faut aller les exfiltrer, lever le siège, et donc s'emparer des collines aux alentours, en dégageant le terrain, en y détruisant "Charlie", c'est-à-dire l'armée ennemie Viêt-Cong. Il suffit de regarder le style de Don Lomax, cette hésitation perpétuelle (qui est en fait une qualité) entre la caricature et l'envie de proposer des expressions, des réactions réalistes, pour comprendre à quel point ce conflit est ambigu et échappe à toute idée de morale ou de description objective. Le lecteur plonge à nouveau dans l'enfer de la jungle, du bruit permanent, comme cela est souligné à plusieurs moments : la moindre accalmie semble irréelle tant la pluie de bombes habituelle transforme le paysage sonore des combattants, dans la moiteur du Vietnam, dévoré par une guerre absurde où la mort peut-être dissimulée derrière chaque tronc d'arbre ou sous chacun de vos pas. L'enfer existe, voici ses chroniques. 

Ne négligeons pas le bref récit en fin de ce sixième tome, intitulé Raid Zippo. On y fait la connaissance avec un soldat du nom de Tim Sheffield, qui intègre un nouveau bataillon en remplacement d'un collègue qui vient de sauter sur une mine. Histoire de rappeler que prendre part à ce conflit, c'est signer un chèque en blanc à la mort, qui est libre de l'encaisser au moment de son choix. Le novice essaie de se faire des amis, de communiquer, mais il perçoit de l'animosité dans les rangs. D'une part, car le meilleur moyen de gérer cette précarité humaine est encore de ne pas trop s'attacher, de ne pas prendre le temps de découvrir les autres. D'autre part car l'inexpérience est source d'hésitations, d'approximations, et une fois l'assaut engagé, cela se traduit par des pertes sèches, des tragédies évitables. Et la première mission de Tim est loin d'être couronnée de succès. Mais il va persévérer, et surtout atteindre ce degré de sidération où les actes les plus insensés, les plus héroïques, deviennent accessibles et envisageables à celui qui a renoncé à sentir, comprendre, pour devenir et incarner la mission, aussi symbolique puisse t-elle être (comme de porter sur le dos les corps des camarades tombés). Tim Sheffield, de bleusaille ignorée dont on se méfie, deviendra alors un maillon de plus dans la transmission de la fraternité en guerre. Soyez tous les bienvenus dans l'antichambre de votre fin ! Lomax livre ainsi avec son Vietnam Journal un des récits journalistiques les plus poignants du vingt-et-unième siècle, au format comic book. On ne remerciera jamais assez Delirium pour nous permettre de revivre et mieux comprendre tout cela. Sans romance ou pathos, la vérité brute, à vif. Dernière remarque pour ceux qui prendraient la série en cours : chaque album peut-être lu de manière indépendante, évidemment, puisque il s'agit à chaque fois d'une des nombreuses tranches de vie du conflit qui est mise à l'honneur (façon de parler). Vous voici avertis, vous savez ce qu'il vous reste à faire.




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