Le pouvoir du film d'animation est immense. Il est en fait pratiquement illimité, contrairement au cinéma traditionnel, qui est toujours obligé de se soumettre à des contraintes de vraisemblance et de budget, sans oublier, cela va de soi, l'évolution des techniques et des effets spéciaux. Le film d'animation ne dépend que de la créativité de ses auteurs et du savoir-faire de ceux qui vont être en charge de donner vie à leurs idées. Une autre des grandes chances de ce média, c'est de pouvoir proposer des personnages beaucoup plus proches de ceux existant dans les comics, en termes de design ou d'histoire, sans avoir à supporter les exigences de la continuité du Marvel Cinematographic Universe et de ses intuitions, pas toujours heureuses. Bref, Sony a mis dans le mille en 2018 avec New Generation et remet le couvercle cette année, grâce à une suite tout aussi inspirée, si ce n'est plus, intitulée Across the Spider-Verse. La jeune Gwen Stacy, qui est aussi la Spider-Woman de son univers, rencontre Spider-Man 2099 (Miguel o'Hara) et une Spider-Woman Jessica Drew d'une autre dimension, qui lui offrent une sorte de montre bien pratique pour se déplacer à travers les univers parallèles. Pour la jeune blondinette, c'est la porte de sortie idéale pour échapper à son père, le capitaine Stacy, policier un peu borné et dont toute l'existence est entièrement consacrée à son devoir, qui était sur le point de l'arrêter. Un drame familial qui trouve une résolution étonnante lorsque Gwen intègre donc une espèce de patrouille qui veille sur ce que l'on pourrait appeler le Multivers, ou le Spider-Verse, selon le point de vue. Et Miles Morales dans tout ça, que devient-il ? Et bien, il s'apprête à changer de vie et à rejoindre une grande faculté pour poursuivre ses études et auparavant, il doit convaincre ses parents et affronter un super vilain un peu baroque et qui n'a l'air de rien, vu comme cela : la Tâche. Lui aussi est le produit des expériences liées au synchrotron d'Alchemax et lui aussi n'avait rien demandé à personne. Il a été investi par l'explosion et son corps est devenu d'un blanc intégral, avec toutes sortes de tâches noires qui lui permettent de créer des trous - ou plutôt des raccourcis - à travers l'espace et on le verra plus tard, les dimensions. Le personnage existe dans les comics et c'est une "figure de série B". Là aussi d'ailleurs; le premier affrontement avec Miles est cocasse et montre bien que le type n'a rien du criminel d'envergure… sauf qu'il a de l'ambition, un peu de folie et qu'à partir de là, il va accéder à une source de puissance incommensurable qui va lui permettre de passer d'un univers à l'autre et semer une pagaille létale. Gwen Stacy avait bien été envoyée dans la dimension de Miles Morales pour l'arrêter à temps et empêcher le pire, mais la jeune fille n'a pas su résister à l'appel de ses sentiments et à préféré passer son temps aux côtés de Miles. Le genre de bêtises qu'il va falloir assumer.
Ce qui fait la réussite du film réalisé par Joaquim Dos Santos, Kemp Powers et Justin K. Thompson, c'est aussi la qualité de l'animation, régulièrement riche et capable de varier les styles et les approches en fonction du personnage qui occupe le devant de la scène. Chacun est caractérisé d'une manière intelligente, qui la plupart du temps est en phase avec ce que le lecteur de comic books connaît. C'est une débauche de trouvailles assemblées dans un montage diabolique et explosif, une sorte de vaste comédie d'action ultra acrobatique où les différents "Spider-Men" voltigent d'un coin à l'autre de l'écran, quitte à en donner le tournis à ceux que ce genre de spectacle n'émeut pas. C'est peut-être là que se situe la seule limite de Across the Spider-Verse : il y a une telle ambition en terme de cadrage, de réalisation, de montage, de personnages insérés dans la trame qu'il faut réellement avoir envie de s'ingurgiter ces deux heures dix de folie et être un public gourmand, pour ne pas frôler l'overdose. Ce serait dommage de se laisser distraire par le côté bondissant et électrisant de l'animation, qui a aussi beaucoup d'autres choses à raconter, à commencer par l'habituel recherche de l'identité, une histoire d'adolescent en formation, qu'aiment en produire les Américains à longueur d'année. L'habituelle fixation sur les rapports intergénérationnels est à nouveau développée; il est difficile d'être un père quand on s'inquiète trop pour le fils, il est difficile d'être un fils quand on souhaite s'émanciper de l'ombre des parents. Et le jeu du Multivers permet de multiplier les points de vue, de tourner autour du sujet en proposant dans le même temps différentes solutions, différentes approches. Il y a de nombreux dames personnels disséminés ça et là, au milieu d'un film qui pourrait sembler au premier abord un ensemble de boules de flipper qui rebondissent confusément devant le spectateur. Il y a même un retournement de situation très intéressant dans la dernière partie, qui vient expliquer la raison pour laquelle Miles est devenu Spider-Man et pourquoi il s'agit d'une anomalie, qui pourrait bien être la clé de voûte de l'effondrement de tout le Spider-Verse. C'est aussi ce moment qui justifie quelque peu la personnalité de Miguel o'Hara, un Spider-Man 2099 très réussi, qui a déjà obtenu les faveurs d'une foule d'internautes célébrant son avènement (et celui de la version Punk, l'anarchique Hobbie) mais qui est ici dévoilé dans une incarnation beaucoup plus obtuse et beaucoup moins sympathique que celle des comics. Inversement, le clin d'œil réservé à Scarlet Spider et sa personnalité désespérée, clairement puisée dans les aventures ultra sombres des années 1990, est une réussite totale qu'apprécieront plus encore ceux qui lisent au format papier depuis longtemps. C'est au final une vraie réussite technique et probablement aussi narrative : le film a tout pour être antipathique à ceux qui par essence fuient le genre super-héroïque et inversement, ça devrait être un excellent produit pour ramener dans le giron ceux qui s'étaient éloignés, déçus par le peu d'ambition des films récents et la tendance à trahir trop ouvertement les aventures publiées dans les comic books. Across the Spider verse est en ce sens un petit bijou dont nous attendons l'an prochain la suite, car il faut le dire, pour les plus distraits, c'est ici le premier volet d'un diptyque qui s'annonce comme étant une vraie révolution dans la manière d'envisager l'animation des super-héros. C'est même une leçon assénée aux films traditionnels, qui se retrouvent soudain ringardisés par la grâce de ce que l'on appelait autrefois "un dessin animé". Ici, vous verrez plus bien plus que cela.
Et malheureusement...
Impossible de conclure sans évoquer la triste nouvelle.
Carnet noir, avec la disparition de John Romita, le dernier des géants du Silver Age. Merci pour tout, à jamais.
Un film qui donne la banane, hein!
RépondreSupprimerOui, clairement
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