DEN : UNE OEUVRE MAJEURE DE RICHARD CORBEN CHEZ DELIRIUM


L'œuvre de Richard Corben, c'est chez Delirium que cela se passe. Avec une série de rééditions de prestige, des albums légendaires savamment nettoyés, retravaillés, qui feront date, à coup sûr pour tous les fans de cet artiste absolument extraordinaire. Un an après le sublime Bloodstar, le traitement de jouvence est appliqué à un autre bijou : Den. Il s'agit en réalité d'une histoire aussi simple que fantastique. La sublimation de soi, l'incarnation du rêve que peut nourrir chacun d'entre nous de se réveiller un beau matin dans un corps "étranger", doté d'une musculature impressionnante, sur une planète inconnue où l'aventure et le fantasmagorique nous attendent à chaque instant. Den est au départ un jeune adolescent (David Ellis Norman) qui hérite des livres et journaux de son oncle décédé. En parcourant les pages d'une sorte de testament, il découvre une lettre qui lui est destinée, avec les instructions pour mettre au point un mécanisme technologique rudimentaire, qui va lui permettre cependant de créer un portail vers un autre univers. Un univers dans lequel l'apparence physique, la puissance, le courage sont décuplés; où le "héros" est intégralement nu. Où la nudité joue d'ailleurs un rôle important, ne semble nullement gêner ou repousser ses habitants et constitue même une des clés du succès de la série, qui mêle aux ambiances et inspirations issues du travail d'Edgar Rice Burroughs, un parfum érotique porté par des anatomies généreuses, voire abondantes et toujours minutieusement soulignées par un trait attentif au moindre détail, d'une richesse sidérante. La grande variété des ambiances et des lieux évoqués flirte en bien des pages avec ce que nous appelons souvent (par paresse ?) le kitsch, mais qu'il faut ici prendre dans une acceptation tout sauf négative. La générosité et l'inventivité d'un Corben en roue libre est à replacer dans un contexte précis, celui des années 1970 et de revues comme Metal Hurlant (ou Heavy Metal pour la version américaine), grâce à qui des générations entières ont eu accès aux rêves éveillés d'artistes fabuleux et se sont nourris à la science-fiction et la fantasy la plus débridée. Tout ce que vous lirez dans cet album événement est le fruit d'une liberté totale, voire d'une improvisation qui se déploie au fil du temps. Ou comment un personnage né pour un court-métrage animé en 1968, devient un héros sur le papier cinq ans plus tard, puis une des pierres angulaires d'un genre glorieux et de l'épopée de Corben, qui pour l'occasion varie aussi les techniques propres à son dessin et la mise en couleurs, notamment.



Les aventures fabuleuses de Den en terre étrangère sont d'autant plus passionnantes et déroutantes que celui qui est en réalité un jeune homme du Kansas se rend compte que la plupart de ses rencontres le reconnaissent, ou en tout cas que sa vue semble évoquer des souvenirs à bien du monde. Le colosse navigue dans l'inconnu et chacun de ses pas le guide vers de nouveaux rebondissements : que ce soit pour protéger sa bien aimée, pour donner l'assaut au château d'une reine maléfique et s'emparer d'un sceptre magique appelé le Locnar, tout autour de lui relève du fantastique, de l'improbable, du merveilleux et soulignons-le une nouvelle fois, de l'érotisme, puisque ici les corps semblent non seulement taillés pour le combat mais aussi parfaitement calibrés pour l'amour. Den découvre le plaisir physique (et tout un catalogue de positions) avec une jolie blonde appelée Kath, elle aussi transfuge de la Terre traditionnelle, où elle exerçait le métier d'écrivaine. Elle a en commun avec notre héros une exubérance charnelle bien en phase avec la liberté figurative des années 1970. Le sexe de Den, la poitrine de sa compagne, celle de la reine sorcière qu'il doit affronter (et avec qui il doit avoir des rapports sexuels) semblent parfois disproportionnés dans le feu de l'action, presque des entraves baroques pour des personnages dont l'instinct vital est fait d'une curieuse fusion d'eros et thanatos, qui s'explique en partie par une inexpérience ou une privation que les deux protagonistes ont pu rencontrer dans leur dimension originelle. Ici, loin des tabous et des règles castratrices d'une société pudibonde, ils s'adaptent très vite, leurs corps sublimés à l'unisson. La grande saga de Den (initiée avec l'équivalent du graphic novel VO Neverwhere) est une terre de contraste, entre la beauté gironde des personnages principaux, véritable ode à l'hédonisme, et l'horreur et le grotesque des nombreuses créatures qu'ils défient et qui peuplent une dimension que personne ne peut inscrire dans un temps ou un espace précis. Une impossibilité de définir, de localiser, qui signifie alors une liberté totale. Celle de se perdre, de ne plus se souvenir, de (re)construire en s'affranchissant de la morale ou de la logique. Den repousse tous les murs dans l'esprit du lecteur. Ceux qui le séparent de l'imaginaire, ceux qui l'enferment dans une étroitesse existentielle ou encore un puritanisme encombrant. Corben fait acte de création totale et la lecture de Den souffle tout sur son passage, emportant les préjugés et la grisaille du quotidien avec elle. Ce qu'on attend d'un chef d'œuvre en bande dessinée, à bien y penser.



Sortie prévue le 3 novembre
Cette édition de Den propose des planches restaurées à partir des originaux par José Villarrubia, une préface inédite de Mike Mignola et un excellent article de Bruce Jones sur l'art de Richard Corben. Traduction de Doug Headline.
Et pour Bloodstar, lisez ici

Enfin, pour l'édition limitée de prestige de DEN chez Delirium, consultez la page Facebook de l'éditeur !


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