QUE PENSER DU RETOUR DE LAGAFFE : DELAF REMPLACE FRANQUIN


 La question n'est même pas de savoir si le nouvel album de Gaston Lagaffe est une réussite. D'ailleurs, qu'est-ce qu'une réussite, sur quels critères baser cette assertion ? Non, la véritable question, c'est de savoir si nous avions réellement besoin d'un nouvel album de Gaston Lagaffe. Et là, la réponse est clairement : non ! Gaston fait partie (pour nous autres entre deux âges) de ces lectures de l'enfance, de l'adolescence et de ces relectures de la vie adulte. Il a marqué de son empreinte une époque, par son style, ses thématiques, sa vision de la vie, sa poésie. Mais il était aussi et surtout l'émanation d'un auteur très particulier, André Franquin, qui avait clairement laissé entendre qu'à sa disparition, sa créature devait également disparaître. Les faits avaient été ainsi établis, nous n'avions plus entendu parler de Gaston Lagaffe en tant que série en bande dessinée depuis 1997 et la mort de son créateur. Le temple et trésor familial étaient jusque-là défendus jalousement par la fille, Isabelle, qui a toujours fait en sorte que l'éditeur (alléché à l'idée de puiser quelques dollars supplémentaires dans un filon pas encore tari) ne puisse ressusciter le personnage contre la volonté d'André. Mais les choses ont fini par changer : une bataille juridique harassante, un film entre-temps, que l'on peut qualifier de catastrophe industrielle sans exagérer, et enfin l'application ultime du dessinateur québécois Delaf, qui s'est évertué à imiter à la perfection (il faut le dire) le style de Franquin. Tout a fini par converger vers le retour inévitable de Gaston Lagaffe, le temps d'un album (pour commencer) qui sera donc le 22e de la série, disponible depuis le 22 novembre, histoire d'entretenir la cabale des chiffres.


Oui, cet album est une réussite graphique, à condition bien entendu d'être un nostalgique patenté qui n'a aucune envie de voir un personnage progresser ou évoluer, un univers s'enrichir. Je n'appartiens pas à cette caste. Pour ma part, tant qu'à faire, tant qu'à exhumer Gaston Lagaffe, autant le représenter sous forme d'un héros upgradé, de prendre le risque de rompre avec la charte graphique du passé, de démontrer une capacité à la fois d'unir respect, hommage et innovation, ce qui serait à mon sens la marque des grands. Au lieu de cela, on se contente d'une tâche de copiste; de copiste de génie, certes, mais certains diraient de faussaires. Delaf pouvait faire autrement, mais Dupuis, l'éditeur, ne lui a probablement pas laisser les coudées franches sur ce point. Du côté des planches, des gags en soi, il y a bien entendu la nécessité de se raccorder aux plaisanteries du passé. Ce Gaston là revient de vacances, sa réalité semble immuable, figée dans l'ambre de nos souvenirs. Pour ce qui est de présenter des choses plus en rapport avec notre époque, il faudra se contenter de clins d'œil. Le futur (notre présent), ce sont les inventions de Gaston (comme le vélo à assistance électrique) qu'il met régulièrement au point. Ce type est plus qu'un génie, c'est un précurseur, pas un glandeur !  Delaf tente également de briser l'habituelle litanie des gags en une planche, pour les faire durer d'une page à l'autre. En fin d'album, il casse le rythme et ose le développement, ce qui n'était pas la marque de Gaston. C'est assez peu pour constituer une nouveauté savoureuse, mais j'admets que si retour il devait y avoir, un vrai album "récit complet" aurait démontré sacrément plus d'audace ! Au final, le retour de Gaston Lagaffe est une petite friandise inoffensive, qu'on prend plaisir à gober, mais dont le sens et l'identité nous échappent totalement. On appréciera la pouvoir de la transition immatérielle/matérielle, de nos souvenirs de jeunesse aux tiroirs caisses des éditeurs, un grand classique du neuvième art. 




Comme toujours, pour parler BD et comics, ça se passe ici :

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