BUKOWSKI DE LIQUEUR ET D'ENCRE : UNE BELLE BIO ÉTHYLIQUE CHEZ PETIT À PETIT


 De Charles Bukowski, nous traçons aujourd'hui un portrait contrasté, celui d'un écrivain devenu célèbre pour avoir incarné la poésie du quotidien et des laissés pour compte, pour nous avoir légué une œuvre marinée dans l'alcool et les turpitudes. À tel point que ce splendide ouvrage disponible chez Petit à petit (adapté d'un roman graphique proposé en Italie chez Becco Giallo) insère nécessairement un préambule, qui fait appel au discernement du lecteur, capable de différencier la vie d'un auteur et ce que l'éditeur entend véhiculer comme message. On ose espérer en effet que le public en est encore capable. Bukowski, c'est une enfance fondamentalement malheureuse, avec une famille guère aimante, la sensation d'être dans l'incapacité de nouer des rapports sociaux, amicaux, sentimentaux satisfaisants, mais aussi l'accumulation de petits boulots frustrants (le principal étant au sein des services postaux américains, aliénants) qui amènent l'homme à réaliser que le travail ne représente qu'une entrave à sa liberté, aussi bien celle de jouir que d'écrire. Bukowski, c'est dans l'absolu des nuits entières passées sur une machine à écrire, un réveil tardif vers midi, le rituel passage aux courses de chevaux et bien sûr, de l'alcool en abondance, sous toutes ses formes. Cet album revient donc sur le parcours accidenté d'un cabossé de la vie, qui n'a pas son pareil pour décrire ce qui a première vue semble glauque, caché, pudiquement mis en retrait. Que ce soit ses différentes rencontres avec des femmes qui se terminent toutes par des séparations, la manière dont il envisage le sexe ou l'amour, Bukowski est ce genre d'individu d'un autre temps, qui brûle la chandelle par les deux bouts et utilise sa mélancolie cosmique pour créer, réaliser quelque chose qui, mine de rien, touche à l'universel, par sa banalité et son âpreté. 


Pour parvenir à dresser un portrait saisissant et assez crédible (il faut bien sélectionner, couper, romancer, adapter, c'est aussi une œuvre artistique), Michele Botton a bien entendu lu tous les romans (et les nouvelles, poésies…) de Bukowski, mais aussi trois biographies et l'excellente interview de Fernanda Pivano. Ce qui lui permet de trouver une voix sincère, qui n'est certes pas vraiment celle de l'artiste maudit, mais pourrait bien s'y substituer sans encombre, tant nous avons l'impression que l'écrivain est là, derrière les mots, pour nous guider, de ses crises d'acné juvénile à son dernier mariage heureux (moins malheureux). C'est une trajectoire mélancolique et vouée à la destruction qui nous est présentée. Celle d'un homme qui a très tôt été réduit à une souffrance personnelle non traitée, qui a cherché et malheureusement trouvé un substitut à l'enchantement perdu du quotidien, qui est également devenu son carburant, sa potion magique, pour réinterpréter et habiter le monde, à sa manière, sans illusions. Nous retrouvons avec grand plaisir Letizia Cadonici au dessin (couleurs de Francesco Segala), elle que nous avions eu grand plaisir à traduire sur Soleil noir, publié il y a quelques années par Shockdom. Ses silhouettes parfois dégingandées, son style à la fois éthéré et matérialiste, sa capacité à créer une ambiance cotonneuse et en même temps terriblement tangible et réaliste lui donne une force, une expressivité qu'on adore. La bande dessinée propose aussi tous les deux chapitres un ensemble de textes rédactionnels qui permettent de confronter l'histoire dessinée avec les faits réels, qui les complètent, qui nous donnent les informations nécessaires pour comprendre avec plus de pertinence la biographie exacte de Bukowski. Un ajout confié aux soins de Martin Boujol, actif sur les réseaux sociaux avec La nuit sera mots. Mine de rien, un ouvrage fortement recommandé et inspiré, disponible cette semaine chez Petit à Petit.  


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