Collaborateur habituel de Mike Mignola, Ben Stenbeck s'aventure hors du domaine horrifique "bien balisé" du Mignolaverse pour une première série personnelle de science-fiction : Poussière d'Os, une mini-série en quatre épisodes qui se déroule à la fin de l’ère humaine sur Terre, publiée par Image Comics aux States et Delcourt en France. Attention, on va faire du hors-piste ! Sur une planète dévastée par la sécheresse et la famine, les derniers survivants de l’humanité s'accrochent en formant des tribus violentes, pour lesquelles le sang et la mort des autres peuvent aussi être synonymes d'un jour de plus en ce bas-monde. Un enfant sauvage attire l’attention d’un robot extraterrestre (d'une intelligence artificielle, en somme) chargé de cataloguer les vestiges de la civilisation humaine. La vision dystopique de Stenbeck rend Mad Max presque idyllique en comparaison, mais son trait délicat et les tons pastel de ses couleurs confèrent même aux scènes les plus brutales une étrange beauté. Il y a de la poésie dans ce no man's land où il ne fait guère bon (sur)vivre. Des détails subtils, comme une vieille paire de lunettes de soleil ou un couvre-chef fabriqué à partir de plaques d’immatriculation, mettent le lecteur sur la piste d'un futur qui semble moins éloigné qu’on pourrait le croire. Par contre, il ne faut pas chercher d'explications, de leçons sur le devenir de notre race (genre, le réchauffement climatique), ce n'est pas le propos. Stenbeck construit habilement son univers et se met dans la poche le lecteur grâce à la perspective inédite des extraterrestres qui documentent la fin de l’humanité, sans être censés interférer avec les autochtones misérables qu'ils découvrent. Enfin, jusqu'à ce qu'un d'entre eux franchisse le pas, ça va de soi. La mini série évite de tomber dans le stéréotype de la science-fiction improbable où les habitants d’un futur lointain parlent dans un jargon incompréhensible : ici, les personnages s’expriment peu, et quand ils le font, leur langage est altéré, familier, comme si même cet aspect témoignait du délitement de l'univers. Au passage, le traducteur (Laurent Queyssi) a dû bien s'amuser avec ce français à adapter à la situation.
Les observateurs extraterrestres dans Poussière d'Os sont véritablement insolites, on ne parvient pas à les cerner, ni pour ce qui est de leurs réactions en apparence émotives, ni sur leur fonctionnement physique/biologique/mécanique. Lorsqu’une connexion improbable commence à se nouer entre un ces "enregistreurs" et l’enfant sauvage, on peine à comprendre à quel niveau cela peut se jouer, avec quels enjeux. Clairement, cette étrangeté qui confère à la série sa singularité peut dès lors constituer un obstacle à son succès commercial. Les œuvres aussi atypiques que Our Bones Dust (titre en VO) peinent parfois à trouver leur public, car elles défient les attentes et les conventions du genre. Pourtant, c’est précisément cette audace qui rend l’expérience de lecture si mémorable et fascinante pour ceux qui osent s’y aventurer. C'est ici parfaitement le cas : il faut accepter de se laisser mener par le bout du nez, de se confronter à une violence qui n'a apparemment pas de règle, si ce n'est celle de la survie à tout prix, voir apparaître des personnages qu'on ne parvient pas à analyser et dont finalement, on ne saura pas grand-chose d'ici la fin, si ce n'est quelques déductions qui dépendront également de la sensibilité et de la culture de chacun. Bref, un mystère, une expérience, une œuvre qui forcément s'avère clivante mais assurément singulière. Pour le reste, Delcourt a eu la très bonne idée d'ajouter tout un tas de bonus, avec des couvertures alternatives, des illustrations, des croquis, ce qui permet de profiter jusqu'au bout du talent de Stenbeck.
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