LE CHANT DE LA FEMME PARFAITE : LA PERFECTION N'EST PAS DE NOTRE DIMENSION


 Avec Le Chant de la Femme Parfaite, Makyo et Bruno Cannucciari nous plongent dans une œuvre hybride, qui oscille entre introspection psychologique, mystique contemporaine et une vraie incursion dans le paranormal. L’histoire s’ouvre sur une tragédie militaire : Alan Zédher, lieutenant en mission en Afghanistan, voit son existence basculer lorsqu’un phénomène inexpliqué perturbe le décryptage d’une communication capitale. L’erreur coûte la vie à plusieurs de ses camarades, et le poids du remords l’entraîne dans une lente descente aux enfers. S'il s'est trompé, c'est probablement parce qu'il est atteint d'une rare forme mutante de paludisme, qui provoque de la fièvre, des délires, des crises invalidantes. Et d'ailleurs, quelques instant avant que l'inévitable ne se produise, Alan a vu les objets disposés sur son bureau se mettre à flotter, ce qui est objectivement assez peu probable, à bien y penser… Désavoué par l’armée, abandonné par la femme qu’il aime (Catherine), qui lui explique ne plus avoir la patience et la force d'être aux côtés de quelqu'un qui se sait condamné par la médecine, il s’effondre et enchaîne les crises, tout en menant une recherche scientifique obsessionnelle sur les ondes scalaires, comme si la vérité physique pouvait absoudre son échec, ou tout du moins l'expliquer. Le récit bascule définitivement dans l’étrange lorsqu’une femme, réplique troublante de son amour perdu, apparaît au centre d’un crop-circle, juste derrière son habitation. Nue sous un vêtement dont le tissu ne ressemble à rien de connu, la belle blonde utilise aussi un langage assez singulier, affirme provenir d'une dimension parallèle et s'apprête à lui faire d'autres révélations qui dépassent l’entendement. 



Dès lors, Le Chant de la Femme Parfaite devient un album touchant et déroutant, dans lequel la science côtoie la métaphysique, où les émotions humaines deviennent le prisme d’une quête existentielle. La narration, exigeante, tisse une trame où le réel vacille, ce qui force Alan à naviguer entre doutes et croyances, rationalité et craintes profondes. Son meilleur ami, qui est aussi son médecin et son dernier soutien dans la maladie, est le personnage qui apporte un peu de rationalité à l'ensemble, mais il est lui aussi mis peu à peu à l'écart, car la belle inconnue s'est installée chez Alan, et lui a proposé un marché extraordinaire. Cette Catherine pourrait bien être en mesure de le guérir, en échange de quelque chose qui va bouleverser le malade, l'obliger à se rapprocher à nouveau de celle qu'il tente d'oublier, ici de retour sans vraiment l'être. Cette histoire de faux semblants fantastiques pourra bien entendu désarçonner certains lecteurs. L’œuvre refuse la linéarité et l’évidence, préfère suggérer plutôt qu’asséner (on en vient vraiment à souhaiter tout le bonheur du monde à Alan, sachant que tout ceci ne peut durer éternellement), jusqu’à un dénouement à la fois bouleversant et énigmatique. Graphiquement, Bruno Cannucciari offre un dessin d’une grande finesse, qui parvient à unir le réalisme et l'onirisme avec une maîtrise saisissante. Ses planches sont traversées par une poésie et une beauté évidente, d'une délicatesse sensible. Du coup, Le Chant de la Femme Parfaite est une œuvre réussie, qui ne se laisse pas apprivoiser facilement, mais qui nous a ravis. Drame personnel, incursion dans une étrange science-fiction intimiste, l'ouvrage (publié chez Delcourt) est une expérience de lecture troublante.


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