THUNDERBOLTS : FRAPPE MONDIALE (PARCE QUE LE FILM...)


 Ils débarquent au cinéma, alors forcément, vous allez devoir vous avaler quelques tartines de Thunderbolts au petit déjeuner. Mais attention : il ne s’agit pas d’un groupe comme les autres. À l’origine, ce sont des super-criminels déguisés, qui tentent de faire croire au grand public qu’ils sont des super-héros — histoire de combler l’absence des principaux justiciers Marvel, que tout le monde croyait morts à l’époque, à la suite des événements de Onslaught et Heroes Reborn. Aujourd’hui, les Thunderbolts ressemblent davantage à une bande de seconds couteaux qu’on pourrait qualifier d’anti-héros. Ce ne sont pas vraiment des vilains, mais ils ne sont pas non plus des enfants de chœur. Disons que leurs objectifs sont honorables, mais que la manière dont ils comptent les atteindre a de quoi faire froncer les sourcils — surtout chez leurs collègues redresseurs de torts. La mission que s’est fixée Bucky Barnes, ancien Soldat de l’Hiver désormais chargé de constituer cette nouvelle version des Thunderbolts, est compréhensible, voire même assez noble : il veut en finir avec Crâne Rouge, et ce de la manière la plus expéditive possible — autrement dit, en l’éliminant physiquement. Cela dit, son adversaire est insaisissable, plus une idée ou un concept qu’un simple individu. Il semble se réincarner en permanence dans de nouveaux corps, ce qui rend quasiment impossible toute tentative de mettre un terme définitif à ses agissements. Qu’importe : Bucky décide que l’heure est venue d’agir radicalement. Avec l’aide de la comtesse Valentina Allegra de Fontaine, il monte une nouvelle équipe, évidemment composée de personnages que l’on retrouvera également dans le film — histoire de séduire les lecteurs. Et ce n’est pas tout : une fois Crâne Rouge éliminé, il faudra aussi gérer le vide laissé par sa disparition, notamment l’énorme capital économique dont il disposait, et qui devient l’objet d’une succession très disputée.



Jackson Lanzing et Collin Kelly choisissent logiquement de se concentrer sur Bucky. C’est par exemple le traumatisme de sa dernière confrontation avec le Caïd qui constitue le cœur de l’un des épisodes. Quand on est à deux doigts de se faire broyer par son adversaire, ça laisse des traces — même lorsqu’on a vécu d’innombrables aventures au fil des décennies. Des aventures dont il ne garde parfois aucun souvenir, tant il a été utilisé comme une simple arme au service de puissances encore aujourd’hui inconnues. L’ancien Soldat de l’Hiver se lance ainsi dans une quête d’identité. En chemin, les nouveaux Thunderbolts croiseront aussi la route d’American Kaiju, et comprendront qu’il faut parfois savoir être vraiment à la hauteur (littéralement parlant) pour régler certains problèmes. Ce sera aussi l’occasion de revoir U.S. Agent, toujours aussi prompt à obéir aveuglément aux ordres, même quand ceux-ci n’ont ni queue ni tête — voire sont franchement délétères. Au final, une bonne surprise que cet album, qui sans révolutionner le genre, a au moins le mérite de proposer une équipe inédite, qui fonctionne bien, et des épisodes rythmés, dans lesquels il se passe toujours quelque chose. Aux dessins, Geraldo Borges livre une très belle prestation. J’aime beaucoup ces artistes capables de jouer avec les ombres et l’obscurité pour donner du relief à leurs personnages. Bref, si cette sortie n’est sans doute pas la plus glamour du printemps, elle possède un indéniable capital sympathie. Et cela suffit à la ranger du côté des albums qui valent le détour.



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LE PODCAST LE BULLEUR PRÉSENTE : LA TERRE VERTE


 Dans le 198e épisode de son podcast, Le bulleur vous présente La terre verte que l’on doit au scénario d’Alain Ayroles, au dessin d’Hervé Tanquerelle et aux couleurs d’Isabelle Merlet, un ouvrage publié chez Delcourt dans la collection Mirages. Cette semaine aussi, le podcast revient sur l’actualité de la bande dessinée et des sorties avec :


- La sortie de l’album Strange fruit que l’on doit au scénario de Vincent Hazard, au dessin de A. Dan et c’est édité chez Dupuis dans la collection Aire libre


- La sortie de l’album Tumpie, la jeunesse tumultueuse de Joséphine Baker que l’on doit au scénario de Jean-Luc Cornette, au dessin d’Agnese Innocente et le tout est publié chez Glénat


- La sortie de l’album À l’intérieur que l’on doit à Mathieu Sapin et aux éditions Dargaud


- La sortie de l’album Blizzard, là où l’oubli commence que l’on doit à Denise Dorrance pour un titre publié chez Bayard graphic


- La sortie de l’album La passe visage que l’on doit à Koren Shadmi, un album édité chez Marabulles


- La réédition de l’album Le voyageur que l’on doit à Koren Shadmi et aux éditions Marabulles



 
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DEADPOOL MASSACRE MARVEL (MARVEL POCHE - PANINI)


Réédition dans la collection Marvel Poche

 Parfois, un simple "Et si...?" suffit à déclencher un cataclysme dans l’univers Marvel. Prenez Deadpool, par exemple : derrière son humour décapant et sa conscience méta qui a tant séduit les lecteurs, se cache aussi un potentiel de destruction illimité. Cullen Bunn et Dalibor Talajić l’ont bien compris en imaginant Deadpool massacre Marvel, une œuvre aussi sanglante qu’irrévérencieuse, qui dépouille le "mercenaire disert" de son ironie habituelle pour se pencher sur son côté le plus sombre. Tout commence dans un des nombreux Multivers. Wade Wilson, devenu incontrôlable, est enfermé par les X-Men dans l'asile de Ravencroft. Mais l'établissement n'est pas aussi sûr qu’il y paraît : le Dr. Benjamin Brighton, censé soigner Wade, n'est autre que Psycho-Man déguisé. En tentant de reprogrammer l’esprit du mercenaire, il ne fait qu'aggraver la situation : Deadpool sombre alors dans une folie froide et méthodique. Sa nouvelle mission ? Sauver l’univers… en exterminant chaque être doté de superpouvoirs. Pas de jaloux : super-héros et super-vilains tombent les uns après les autres sous ses coups. Thor, Thanos, les figures les plus iconiques de Marvel, aucun n’échappe au massacre, parfois en à peine quelques cases. Les cinq épisodes de cette folie furieuse sont ainsi un véritable déluge d’hémoglobine, où l'humour noir habituel cède la place à une violence brute, presque nihiliste. Talajić illustre ce carnage avec un style dynamique et tendu, qui traduit à merveille l'urgence et la brutalité des événements. 



Si le rythme effréné de l'album séduit par son énergie destructrice, il souffre aussi de certaines faiblesses : affrontements bâclés, incohérences, et une écriture qui sacrifie profondeur et émotions sur l'autel du spectaculaire. On regrette par exemple que la bromance légendaire entre Deadpool et Spider-Man soit balayée d’un revers de crayon, Spidey étant expédié aussi vite que n'importe quel second couteau. Cette œuvre s’inscrit d’ailleurs dans la tradition des "What If...?", ces récits hors-continuité que Marvel publie depuis 1977 pour explorer toutes sortes de scénarios délirants, sans conséquences sur son cher univers principal. Une idée séduisante sur le papier, mais qui, comme souvent, donne des résultats inégaux. Deadpool massacre Marvel en est la preuve éclatante : ambitieux dans son concept, jouissif dans son exécution, mais qui n'a pas d'autre ambition que d'être un pur divertissement. Faut-il pour autant bouder son plaisir ? Certainement pas, surtout pour les amateurs de défouloir ultra-violent et de déconstruction sauvage des mythes super-héroïques. Mais ceux qui espèrent retrouver l’esprit satirique d’un Deadpool "classique" risquent de ressortir de cette lecture avec un goût de sang — et peut-être d’inachevé — dans la bouche. Pour ma part, je ne suis pas un fan du personnage, si ce n'est les débuts de la période Duggan et Posehn, que j'avais trouvés très pertinents. Mais bon, après tout, Deadpool reste Deadpool : imprévisible, excessif, et prêt à dynamiter tout ce qu’il touche, y compris ses propres histoires. Et je ne sais pas si je vous l'ai déjà dit, mais j'adore Dalibor Talajić, le dessinateur mais aussi le bonhomme, tout simplement.  


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THANOS POUVOIRS COSMIQUES : RETOUR AUX 1990s AVEC RON MARZ


 Dans les années 1990, Thanos possède un statut pour le moins variable. Parfois présenté comme la pire engeance que l’univers ait jamais engendrée (Thanos Quest, Infinity Gauntlet…), parfois comme le grand vilain repenti, flanqué d’une sagesse naissante (Infinity Crusade), le personnage apparaît tour à tour sous des visages différents — voire franchement contradictoires. Une seule constante cependant : dès qu’il s’ennuie, Thanos retrouve immanquablement sa vocation première, à savoir la quête de savoir — et donc de pouvoir — par tous les moyens possibles. Y compris, bien entendu, la violence et les abus en tous genres… Dans Les Maîtres du cosmos (le nom à l'origine de cet album, chez Semic), nous le retrouvons en pleine scène de carnage sur une planète lointaine. Thanos ne demande rien : il prend. Et c’est précisément ce qu’il est en train de faire. Ce qu’il convoite n’est pas un trésor de joyaux ou de métaux précieux, mais un but bien plus noble (ou sinistre, selon le point de vue) : la connaissance. Pendant ce temps-là, rien ne va plus dans la galaxie. Le dernier héraut en date de Galactus, un certain Morg — ancien bourreau sanguinaire sur son monde d’origine et amateur de tortures en tout genre — a été capturé par Tyrant, une entité surpuissante dont les racines remontent à un passé très lointain, et qui entretient une rivalité ancestrale avec le Dévoreur de Mondes. Disparu depuis si longtemps que plus personne ne pensait à lui, Tyrant ne revient pas sur le devant de la scène pour faire de la figuration. Il représente un défi colossal, irrésistible, même pour le Titan fou — qui sait néanmoins qu’il ne pourra pas triompher d’un tel adversaire par la seule force brute. C’est ainsi que Thanos se choisit un premier allié : Terrax, lui aussi ancien héraut de Galactus — et ce n’est pas un poète. Armé de sa hache cosmique, Terrax laisse dans son sillage cadavres et mutilations. Lorsque nous le retrouvons, il est prisonnier dans une arène, forcé de se battre pour sa liberté. Mauvaise idée que d’avoir voulu faire de lui un simple gladiateur de foire. Sans surprise, il s’évade — et fait payer cher ses geôliers, ainsi que ceux qui espéraient tirer profit de sa souffrance. Peu à peu, une force de frappe se constitue face à Tyrant, et un choc cosmique se profile, le tout orchestré par Ron Marz, qui assemble une à une les pièces de ce vaste puzzle / jeu de massacre.



Si Thanos est la figure centrale de la première partie de cette histoire — Cosmic Powers en VO —, elle se divise en réalité en six volets. En France, Semic avait publié l’intégralité de cette mini-série sous la forme de trois albums, contenant chacun deux épisodes. Panini y rajoute quelques inédits tirés de Secret Defenders, histoire d'enrichir la sauce. Et au fil des pages, la distribution s’étoffe. Ce qui semblait au départ une série de portraits fouillés et introspectifs de personnages à la psychologie tourmentée se transforme en une immense bataille rangée, qui oppose des êtres aux pouvoirs démesurés. Outre Thanos et Terrax, les dessins de Ron Lim — pilier des grandes sagas cosmiques des années 1990 — et de Jeff Moore — qui insuffle un véritable souffle d’énergie brute à ses planches — donnent vie à une galerie de personnages hauts en couleur. Andy Smith, quant à lui, illustre un duo aussi étrange qu’attachant : le Valet de Cœur, condamné à une solitude éternelle dans un costume qui le maintient en vie tout en l’empêchant de vivre normalement, et Ganymède, redoutable combattante et dernière survivante de sa race, dont la mission ultime est la destruction de Tyrant. Ce couple improbable n’échappera pas, lui non plus, aux machinations de Thanos. Autre protagoniste impliqué dans cette épopée : Legacy, le fils du Captain Marvel originel. Encore impulsif, malhabile avec ses nouveaux pouvoirs, il fonce tête baissée et se retrouve face à Nitro, l’assassin indirect de son père, responsable de son empoisonnement au gaz mortel à l’origine d’un cancer foudroyant. Les deux derniers épisodes sont consacrés à Morg, avec les dessins âpres et surprenants de Tom Grindberg — dans un style qui n’est pas sans évoquer celui de Mignola. Si beaucoup de lecteurs de l’époque n’appréciaient guère ses planches, j’ai pour ma part toujours eu un faible pour cet artiste que je considère comme largement sous-estimé. Enfin, Scott Eaton prend en charge la déflagration finale : l’heure du règlement de comptes général a sonné, et tout le monde se tape joyeusement dessus — pour notre plus grand plaisir. Bien sûr, Thanos n’est pas qu’une créature malfaisante et surpuissante : c’est aussi un maître incontesté de la manipulation et des plans tordus, toujours au service de ses ambitions. L’ensemble se lit encore aujourd’hui avec un plaisir non dissimulé, même s’il est évident que cette histoire porte en elle toutes les marques stylistiques des comics de l’époque : grandiloquence cosmique, poses héroïques, dialogues sentencieux et affrontements titanesques. Mais pour qui a grandi avec ces antagonistes aujourd’hui remis à l’honneur, cette parution inattendue reste une madeleine de Proust interstellaire, à tremper dans un bon bol d'hémoglobine.


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ABSOLUTE POWER TOME 2 : FOIRE D'EMPOIGNE !


 Nous voici donc aux prises avec le second volume consacré au nouveau grand événement DC Comics publié chez Urban, Absolute Power, qui se décline en trois volets. Très honnêtement, le problème vient de la nécessité de publier de nombreux épisodes qui sont certes en rapport avec l'histoire principale, mais qui en fait ne font qu'en explorer les marges, de manière plus ou moins convaincante. Par exemple, ce second tome ne propose qu'un seul épisode de la série mère, le troisième, et ce sont les dernières pages au menu. Tout le reste est consacré à un autre titre satellite (Absolute Power Task Force VII) et aussi à ce qu'on appelle les tie-in, c'est-à-dire les épisodes des différentes séries régulières des personnages, qui sont impliquées dans un événement plus général. On va ainsi assister à une tentative d'évasion de Green Lantern, jusqu'ici détenu par Amanda Waller, et qui va utiliser tous les artefacts des différents héros et vilains qui ont été saisis pour parvenir à ses fins. Ou encore le parcours de Superman et Zatanna, à travers les différents chemins de la magie, dans le but de trouver un moyen pour pénétrer directement dans le sanctuaire d'Amanda. C'est l'occasion aussi de voir tous les super-héros qui n'ont pas été capturés en train de panser leurs plaies et de préparer une contre-attaque. Pour obtenir des informations, certains n'hésitent pas à recourir à la violence, comme Robin (Damian), ou au contraire, à tenter la voix de la persuasion, celle de "l'amour". Tout ceci est au menu d'un épisode de Wonder Woman assez drôle, illustré par Tony Daniel par ailleurs, mais qui évidemment contraste avec tout ce qu'on a lu auparavant dans le titre écrit par Tom King. Bref, vous l'aurez compris, Absolute Power est une histoire intéressante, comme nous avons déjà eu le cas de le dire (lire ici), qui joue sur des codes modernes et présente un récit pertinent et adapté aux enjeux de l'époque. Le problème, c'est que tout est loin d'être à la hauteur des ambitions, que ce soit au niveau du scénario ou des dessins. Il y flotte comme un parfum de fourre-tout, avec du très bon et du clairement dispensable.



Il est par exemple regrettable de voir le titre mensuel Batman s'engager dans cette aventure, au prix de rebondissements complètement improbables, qui manquent cruellement de conviction. Batman et Catwoman se retrouvent sur la planète de Lobo, pris en chasse par les sbires d'Amanda Waller, et tentent désespérément de regagner la Terre en empruntant un tunnel boom. Le récit est marqué par une confusion omniprésente – et pas seulement dans ces pages, mais dans d'autres également. C’est précisément l’effet produit par ce tome 2 de Absolute Power : un trop-plein d’explosions, de batailles, de vilains qui cognent sur des héros. Et – c’est peut-être là le comble – une menace permanente de pertes humaines massives plane sur l’ensemble… sans jamais se concrétiser. Car à la dernière page, le bilan demeure désespérément vierge : aucun super-héros de poids n’est tombé au champ d’honneur. Même lorsqu’un personnage semble dans une position critique – en l’occurrence Red Tornado –, il s’agit en fait d’un androïde. Autrement dit, un simple redémarrage de ses systèmes devrait suffire à le remettre en état de marche dans un avenir proche. Reste Dan Mora, dont les planches sont réellement excellentes. Il est, et de loin, l’artiste pour lequel l’achat de l’album se justifie pleinement. Absolute Power aurait réellement gagné à plus de simplicité, en proposant des enjeux plus recentrés, plutôt que de prétendre, en l’espace de quelques heures, faire table rase de toute la diversité héroïque et criminelle de l’univers DC. Transformer tous les personnages en captifs privés de leurs pouvoirs, voilà une ambition trop démesurée… pour un résultat très déséquilibré, tant sur le plan narratif qu’artistique, les différentes équipes créatives étant par ailleurs très disparates. Il n’en reste pas moins qu’il s’agit bel et bien d’un moment charnière pour l’histoire récente de DC Comics. Et au milieu de ce tumulte, on trouve aussi quelques épisodes inspirés, qu’il est essentiel de lire pour comprendre les événements à venir chez l’éditeur. À vous donc de vous forger votre propre opinion. Mais une chose est sûre : si vous n’êtes ni un lecteur régulier, ni familier de l’univers DC, il y a de fortes chances que vous n’y compreniez absolument rien.


Tome 1 chroniqué ici


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DARK KNIGHTS OF STEEL ALLWINTER : DEATHSTROKE LE VIKING


 DC Comics aime revisiter certains de ses héros, présenter une version inédite de son univers, en plaçant l'ensemble dans des contextes improbables, surprenants, historiques ou relevant de l'uchronie. Elseworlds, qu'on appelle ça. Tom Taylor a ainsi lancé la gamme Dark Knights of Steel, à savoir les héros DC dans un monde médiéval, où la magie rivalise avec le fer des épées. C'est de cela qu'il s'agit ici, avec le prolongement à la série initiale, sous le nom d'Allwinter (vous pouvez ressortir la grosse couette remisée au fond du placard pour cause d'arrivée du printemps). Slade Wilson (Deathstroke) est ainsi réimaginé en guerrier viking et il est engagé par Vandal Savage pour une mission périlleuse à travers les hautes mers, pour affronter une mystérieuse créature. Mais lorsqu’il atteint sa destination, Wilson découvre la véritable nature de la proie qu'il est censé abattre. Il réalise alors que cette dernière a des pouvoirs formidables, qui pourraient ébranler l’hiver éternel qui s’est abattu sur son royaume. Avant d'aller plus loin dans le contenu de cet album, il faut donc s'arrêter sur le travail graphique de Tirso Cons : tout le dessin est en noir et blanc (ou pour être plus exact, absolument gris) : il s'agit d'incarner la rigueur de l’hiver qui frappe le royaume, qui est plus de nature mystique que météorologique. L'artiste ne se laisse nullement freiner par cette palette monochrome, et livre des scènes d’une violence saisissante, où Slade sème derrière lui des traînées de sang d’un noir d’encre. Un combat particulièrement intense et féroce est mis en scène lorsqu’il affronte un kraken. Mais celui que nous connaissons en tant que Deathstroke est ici usé, fatigué intérieurement par ce qu'on lui demande encore et toujours de faire. Ce qu'il souhaite avant tout, c'est être payé. Et dans ses pensées, obsédante, l'image de son épouse perdue le ronge (qu'il va finalement retrouver, même si ça ne va pas se passer comme prévu).


 


Allwinter, c'est du combat bien bourrin dans l'essentiel des pages. Bien que des allusions récurrentes aux événements de Dark Knights of Steel soient présentes, il s’agit d’une histoire entièrement indépendante, avec une version totalement différente de Deathstroke. Le scénariste Jay Kristoff y présente un Slade rendu encore plus aigri par la guerre, et, par extension, par ceux qui s’en servent comme prétexte pour assouvir leur soif de sang. C'est aussi l'occasion de retrouver la version jeune ado de Alec (Holland), destiné à devenir l'incarnation de la sève, forcément celui qui pourrait mettre un terme à l'hiver mystique. Vous allez croiser aussi d'autres personnages comme Freeze, Killer Frost, ou encore la fille de Deathstroke (Rose Wilson Worth, Ravager), sans oublier Batman, dans un périple mouvementé et particulièrement violent. En fin d'album, Urban publie également les petits récits qui ont été présentés sous forme de back-up stories au format original. Ce récit est très important car il permet de retrouver Martha et Jonathan Kent, ici dans le rôle de jeunes guerriers fougueux, qui vont se voir investis d'une mission de la plus haute importance : élever un jeune garçon et lui inculquer les valeurs les plus nobles de l'humanité. Alors là, forcément, vous pensez à Superman… sauf qu'en réalité, c'est le petit Arthur (autrement dit Aquaman dans notre univers DC traditionnel) qu'ils vont prendre sous leurs ailes. Les dessins sont de Riccardo Federici, dans un style pictural très réussi, tandis que le scénario est signé Tom Taylor, le grand artisan du monde Dark Knights. Et croyez-le ou non, mais ces pages de complément s'avèrent plus intéressantes et touchantes que tout ce qu'on a lu avant, qui reste tout de même à réserver aux amateurs de comic books tranchants et bourrins. En tous les cas, si vous êtes devenus fans de ce contexte médiéval, sachez que nous sommes encore loin d'en voir la fin et que vous aurez bientôt d'autres parutions à vous mettre sous la dent.




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PEACH MOMOKO CHEZ MARVEL : HYBRIDATION MARKETING


 Arrivée dans l'industrie des comic books de super-héros il y a à peine cinq ou six ans, Momoko a rapidement fait sensation avec ses couvertures chez Marvel. Elle est devenue incontournable pour la "Maison des Idées", notamment grâce au succès de sa première œuvre mettant en scène des personnages dotés de pouvoirs incroyables, Demon Days, rééditée illico sous toutes les coutures et en plusieurs formats (parce que non, les lecteurs ne sont pas des vaches à lait, voyons). Comme toujours, les Américains, très sensibles aux opportunités économiques – appelons un dollar un dollar – ont flairé le potentiel de cette artiste. Résultat : Momoko est devenue une figure publicitaire et artistique incontournable, exploitée jusqu’à la dernière goutte d’encre. Sa carrière est éblouissante : née dans les pages d’obscurs magazines japonais (parfois pour adultes), elle a conquis la scène internationale à coups de dizaines de couvertures alternatives et d’illustrations promotionnelles. Une ascension fulgurante, marquée par une rencontre décisive avec Grant Morrison, qui l’a propulsée dans la mythique revue Heavy Metal à l'occasion de son anniversaire. Ce parcours, résolument vertical, illustre à sa manière la lente capitulation du comic book américain face à l’esthétique manga, devenue reine auprès des nouvelles générations. Peach Momoko incarne ainsi ce que les grandes maisons d’édition occidentales – sans doute à tort, mais enfin, on ne va pas gâcher une bonne projection fantasmatique – considèrent comme la mangaka japonaise idéale. Des personnages kawaï à souhait, une élégance graphique délicate, une palette de couleurs pastel digne d’une boîte de macarons, et des thématiques en boucle sur l’adolescence ou la vie scolaire. En résumé : malgré un talent évident, Momoko s’est ajustée comme un gant à ce que les éditeurs attendent pour afficher une modernité on ne peut pas plus caricaturale.



Selon les dernières études, 47 % des lecteurs de comics aux États-Unis sont des femmes, et les mangas explosent les compteurs de vente. Des chiffres vertigineux pour ceux qui s’accrochent à une vision passéiste et testostéronée de la culture populaire – pour les bonshommes, les vrais. Une évidence, aussi, pour quiconque a mis les pieds dans une librairie ces vingt dernières années. Les incels peuvent trembler, ils sont en voie de grand remplacement, finalement. Et peu importe si la carrière de Peach Momoko a commencé dans des magazines pour adultes (allez voir, obsédés que vous êtes), ou si sa première percée sur le marché occidental fut une affiche alternative pour le film gore Meatball Machine de Yūdai Yamaguchi – pas exactement l’esthétique mignonne qu’on lui connaît chez Marvel. Ce que la "Maison des Idées" attend d’elle au départ, c’est une vision du manga lisse, cristallisée, immédiatement identifiable, réduite à une poignée de clichés confortables. Rien de neuf sous le soleil éditorial. Cela fait plus de trente ans que les comics américains cherchent à s’approprier l’influence japonaise, surfant sur la moindre tendance venue de l’archipel. Du boom du début des années 2000 – avec des records de vente signés Jim Lee et Todd McFarlane chez Marvel – à la fondation d’Image Comics, le marché oscille sans cesse entre innovation sincère et récupération stratégique. Et toutes les tentatives d’hybrider les super-héros à la sauce nipponne ont fini, à terme, par se casser les dents. Comme si l’hybridation, poussée trop loin, menait inévitablement à un rejet. Sauf que, cette fois, ce sera peut-être différent. Peut-être. Les Ultimate X-Men version Peach Momoko amusent, séduisent, et parviennent même à capter l’attention d’un public éloigné de la cible initiale. Comparer ses mutants à leurs incarnations classiques devient un jeu de piste plaisant, tout comme tenter de deviner où l’autrice veut en venir (spoiler : va falloir débiter un bon paquet de pages avant de comprendre). On réalise alors pourquoi Marvel a décidé de miser sur elle, au-delà des seuls calculs cyniques de son département marketing. C’est une bouffée d’air frais – pour le moment – et une opération de communication menée tambour battant. Vous avez vu les réactions au festival d’Angoulême 2023 ? Momoko est une star. Que cela vous semble mérité ou totalement surévalué, c’est secondaire : elle est là, et bien là.



Quand à son titre Ultimate X-Men, il puise ses racines dans la culture japonaise. Une influence évidente, portée autant par l’identité de l’autrice que par celle de son héroïne, Hisako Ichiki. Cette adolescente japonaise, bien connue des lecteurs les plus attentifs, n’est pas une new entry dans l’univers Marvel : créée par Joss Whedon et John Cassaday dans la très bonne série Astonishing X-Men, elle y tenait un rôle secondaire. Sous le nom de code d’Armor – en lien avec son pouvoir mutant – Hisako avait brièvement combattu aux côtés des "vrais" X-Men du monde Marvel classique. Aujourd’hui, Momoko lui offre un rôle central, en faisant l’étoile montante de sa version des mutants. Nous reviendrons dans le détail sur cette série dans pas très longtemps, revenez nous voir à l'occasion, true believers. Sayōnara.


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ABÎMES: LA BOULEVERSANTE GÉNÉAOLOGIE DE LUCILE CORBEILLE


 Lucile est photographe, mère de deux enfants, et elle vit avec un mari aimant et compréhensif. Sur le papier, elle aurait donc tout — ou presque — pour être heureuse. Sauf qu’un vague à l’âme, un spleen poisseux, lui colle à la peau. Où est passée la petite fille souriante que l’on peut admirer sur les photos de sa jeunesse ? Peut-être est-elle enterrée — au sens propre comme au figuré — avec son père. Ce dernier est récemment décédé, et Lucile a glissé dans le cercueil un joli cliché où elle figure toute petite. Elle porte cette robe bleue qui lui allait si bien, image d’une époque plus insouciante. Mais pour commencer à vraiment se retrouver, Lucile va devoir creuser — littéralement et symboliquement — afin de remonter à ses origines. Comprendre d’où l’on vient, c’est déjà éclairer qui l’on est… et peut-être deviner où l’on va. Il faut dire que la mort du père n’a rien d’anodin : elle est largement liée à l’alcoolisme. Et il n’est pas le seul de la famille à en avoir subi les ravages. Un oncle aussi a connu un destin funeste, dans les mêmes eaux troubles. Alors, il va falloir démêler patiemment les fils, remonter le temps, prendre le train, partir en Normandie, jusqu’à retrouver le dernier oncle encore en vie. Ouvrir les malles. Déterrer les souvenirs. Y découvrir un trésor inestimable : la connaissance. Celle qui mène droit à l’essence même de l’identité. Sous les yeux de Lucile, ce sont ses grands-parents, ses parents, et toute une galerie de personnages familiaux qui se dressent, prêts à lui raconter leur existence. Des vies marquées par leur condition sociale, leur époque, et les mœurs d’alors. Car les temps changent : certaines choses, aujourd’hui devenues banales, pesaient autrefois bien plus lourd dans le regard de la société.




Pour obtenir un résultat fascinant, il faut parfois savoir mettre en place une démarche innovante ou, du moins, capable de réunir le meilleur de plusieurs formes d’art. Avec Lucile Corbeille, nous sommes précisément à la croisée des chemins : là où se rencontrent la photographie et le dessin à l’aquarelle. Ce choix artistique s’avère d’autant plus pertinent que tout le récit est rythmé par les clichés photographiques — ancrés dans la mémoire par le pouvoir évocateur de l’image, témoin de microtraumatismes familiaux figés à jamais, et qui n’attendent que l’œil attentif d’un observateur pour être transmis, contribuant ainsi à leur manière à une généalogie familiale qui, sans cela, sombrerait dans l’oubli. Les personnages ici représentés n’ont, le plus souvent, pas de visage identifiable. À l’endroit où devraient apparaître des yeux, une bouche, un nez, s’ouvre un blanc, un vide. Les décors eux-mêmes semblent flotter dans une brume cotonneuse, presque fantomatique, qui finit par se dissiper pour révéler la vérité tapie dans les photographies du passé — et la conserver pour les générations futures. Lucile Corbeille parvient ainsi à montrer combien notre récit familial est traversé, guidé, parfois façonné, par les enjeux régionaux, sociaux, économiques et politiques. Elle révèle à quel point les racines profondes de nos prédécesseurs irriguent l’identité même de ce que nous sommes aujourd’hui : le désir d’échapper à une condition modeste, l’impact d’une certaine éducation sur les enfants et le couple, la volonté de s’affranchir des carcans sociaux… ou, plus simplement, la nécessité de trouver un refuge, une illusion dans laquelle s’oublier — comme peut l’être l’alcool. Il est ici question du quotidien des ouvriers, des couches les plus modestes de la population. On notera d’ailleurs cette ironie nationale : la consommation de drogues et la vente de stupéfiants sont interdites en France, mais l’alcool, ressource précieuse pour l’État, reste grandement valorisée— jusqu’à devenir, parfois, une fierté nationale. Un exemple de plus du double discours d’un pays qui sait se montrer hypocrite quand cela l’arrange. L’ensemble compose Abîmes, une bande dessinée poignante, bouleversante, dont il est presque impossible de se détacher une fois que l’on y a pénétré.



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THE NICE HOUSE BY THE SEA : C'EST PARTI POUR LE CYCLE DEUX


La première fois, Walter avait réuni dix personnes qui, à des titres divers, avaient compté dans son existence, afin de leur permettre de vivre la fin du monde dans une villa de rêve au bord d’un lac, où les désirs de chacun étaient exaucés à mesure qu’ils leur venaient à l’esprit. The Nice House by the Lake a finalement obtenu le Fauve d’or de la meilleure série en 2024 au Festival d’Angoulême. Le titre est rapidement devenu un best-seller chez Urban Comics, et sa suite était donc attendue avec beaucoup de curiosité. Cette fois, le décor change quelque peu, tout en restant aquatique et attrayant : du lac, nous passons à la mer. The Nice House by the Sea reprend le même principe : deux albums au grand format, de très belle facture, pour ce que l’on appellera désormais le second cycle du récit imaginé par James Tynion IV. Le projet consiste à nouveau à réunir dix personnes, choisie par Max, qui vont avoir l’occasion d’échapper à la fin du monde. Mais cette fois, place à dix figures d’exception : un acteur, une chanteuse, un mathématicien, une politicienne… Tous sont des pointures dans leur domaine, des individus dont les compétences ou les talents justifiaient sans doute une place à part dans l’humanité. Les règles sont à peu près les mêmes, les conséquences aussi, mais avec une nouveauté dans l’équation : ces personnalités n’ont aucune raison de cohabiter et n’ont, a priori, aucun lien entre elles — ce qui risque fort de provoquer quelques tensions… Parmi ces dix nouveaux venus, c’est Oliver Landon Clay, surnommé "l’Acteur", qui occupe le devant de la scène. Il devient notre guide un poil désabusé dans ce nouvel environnement, en nous accompagnant à la découverte des habitants de ce petit paradis baigné de lumière méditerranéenne. Tynion excelle dans l’art de donner à chacun de ses personnages une singularité bien marquée, ce qui les rend immédiatement reconnaissables. Si l’attention est au départ centrée sur Oliver, on sent vite poindre une multitude de pistes intrigantes, prêtes à être explorées, quitte même à perdre le lecteur distrait. Fait important à garder en tête : Oliver entretenait autrefois une relation très étroite avec Walter dans le monde réel, et il s’est montré, au départ, très réticent à l’idée même de faire partie de la "sélection" de Max pour cette nouvelle maison.




Walter (qui est censé être mort, rappelons-le) n’avait, de toute évidence, pas respecté le postulat de départ : les individus choisis par ses soins ne présentaient rien d’exceptionnel et n'incarnaient en rien le parangon de leur discipline respective. Le plus inquiétant, c’est que ces différentes « maisons », au sein desquelles subsistent des groupes d’individus, vont tôt ou tard prendre conscience de l’existence des autres. Et l’on peut parier sans trop de risques que ce ne sera ni l’entraide ni la compréhension qui domineront leurs relations, mais bien l’idée qu’il faut éliminer la concurrence pour pouvoir prétendre à l’immortalité définitive. Oliver, électron libre au cœur de ce dispositif, semble être celui qui en sait le plus. C'est lui que trois des "autres" vont rencontrer en premier. C’est aussi l’une des raisons pour lesquelles il devra se méfier de ceux qui partagent pourtant son camp : ces derniers sont prêts à tout pour obtenir les informations qu’ils convoitent — y compris à recourir aux tortures les plus abominables. Il règne dans cette série un parfum étrange, un petit quelque chose de Bret Easton Ellis mâtiné de science-fiction. Les personnages portent en eux un passé fait de trahisons, de relations déçues, d’égocentrisme exacerbé ou, à l’inverse, d’un vide intérieur jamais comblé. Ils ne semblent exister qu’à travers le regard des autres et exhibent, presque malgré eux, des failles béantes, dans l’espoir qu’un jour, peut-être, quelqu’un parviendra à les refermer. La prestation graphique d’Alvaro Martinez Bueno est, quant à elle, tout bonnement exceptionnelle. Son talent éclabousse chaque page (avec l'aide des couleurs de Jordie Bellaire), transformant chacune d’elles en une peinture saisissante, capable de sublimer même les scènes les plus calmes ou explicatives, les élevant au rang d’expériences immersives. Certes, on pourra sourire devant cette manie qu’ont presque tous les personnages de soliloquer, de se confier sans relâche, livrant à tout bout de champ leurs états d’âme et la manière dont ils se projettent dans la grande fresque de l’histoire. Mais il faut malgré tout saluer le travail d’orfèvre accompli par Tynion IV, avec une montée en puissance émotionnelle et narrative qui tient le lecteur en haleine jusqu’à la dernière page (à partir du troisième épisode le récit s'emballe), et qui donne furieusement envie de découvrir au plus vite la seconde partie de ce cycle 2.
Sortie la semaine prochaine, chez Urban Comics.


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DIBBOUK : THRILLER ET MYTHOLOGIE JUIVE CHEZ LES HUMANOS


 De Toulouse à Paris, aller-retour en l’espace de vingt ans. Marie a quitté la Ville rose il y a deux décennies — ou, pour être plus exact, elle s’en est enfuie. Au fil des pages, on découvrira les raisons qui l’ont poussée à fuir le milieu juif orthodoxe dans lequel elle a grandi. La tragédie qui l’a frappée l’a contrainte à une décision radicale : tourner le dos aux siens, fuir dans la capitale et initier une vie nouvelle. Celle qui autrefois s’appelait Myriam se fait donc désormais appeler Marie. Elle a rencontré un homme avec qui elle a eu deux enfants, et semble avoir fondé une famille équilibrée — même si la situation économique du couple est loin d’être idéale. Elle est journaliste, mais ses revenus restent modestes ; lui, actuellement au chômage, espère rebondir à Toulouse. La maison dans laquelle la famille va s’installer est particulièrement spacieuse… mais tombe en ruine par endroits. Et, cerise sur le gâteau : elle est réputée hantée. Lorsque le lecteur comprendra ce qui s’y est réellement passé, il ne sera guère surpris. C’est en fouillant dans une des malles installées dans une chambre à l’étage que le petit garçon du couple, Félix, va faire une découverte qui bouleversera sa vie. Petit à petit, l’enfant — qui, à Paris, avait été victime de harcèlement scolaire — adopte un comportement de plus en plus étrange. Chaque fois qu’on le contredit ou qu’il est soumis à un stress intense, son nez se met à saigner (oui, il y a peut-être un soupçon d’influence Stranger Things ici), et des phénomènes de violence extrême se produisent. Ainsi, un camarade de classe finit dans le coma après avoir été roué de coups dans les toilettes. Quant à Lise, la fille, elle entre de plain-pied dans l’adolescence et s’inscrit, bien évidemment, dans une forme de rébellion envers ses parents — d’autant que les secrets que sa mère lui avait jusqu’ici dissimulés commencent peu à peu à remonter à la surface. Et croyez-moi, ce ne sont pas de petits secrets…



Le dibbouk, dans la culture juive, c'est l’esprit d’un mort qui, pour diverses raisons (péché non expié, mort violente, incomplétude spirituelle), ne parvient pas à trouver le repos et s’accroche à un vivant, souvent en prenant possession de son corps. En gros, une métaphore de la mémoire, du traumatisme, du péché ou du non-dit, qui hante les générations suivantes. Ici, un meurtre dans la famille, le poids des interdits et des attentes, qui peut plomber sérieusement ceux qui vivent dans le carcan de l'orthodoxie à outrance. S’il est possible de qualifier Dibbouk de thriller, c’est parce que les indices sont distillés progressivement tout au long de l’histoire. Au départ, on a du mal à croire à ce récit de possession démoniaque, mais il faut se rendre à l’évidence : les phénomènes qui accompagnent la frustration ou la colère de Félix relèvent du surnaturel, et semblent bel et bien guidés par un esprit malveillant. Déborah Hadjed-Jarmon parsème également son récit de références à la religion hébraïque, n’hésitant pas, d’ailleurs, à orienter résolument la conclusion dans cette direction. Ce sera une sorte de retour aux sources pour Marie, contrainte de se tourner vers son passé pour tenter de mettre un terme aux tragédies qui frappent son présent. Des révélations viennent renforcer cette lecture, et peu à peu, tout prend sens. Ce qui fonctionne particulièrement bien dans cette bande dessinée, c’est la dynamique entre les personnages, et la façon dont ils sont écrits. Chacun possède une personnalité distincte ; tous se trompent, souffrent, doutent de leur place. C’est précisément cette humanité qui rend cette petite cellule familiale à la fois attachante et crédible. Le dessinateur italien Alberto Zanon (héritier de l'école Disney) insuffle corps et vie à l’ensemble, en variant les angles de vue et en adoptant un trait incisif, parfois anguleux, qui insuffle mouvement et énergie à chaque planche. Même si la dernière partie est un peu difficile à avaler et atténue quelque peu l’impression de réussite globale, Dibbouk (publié chez les Humanoïdes Associés) demeure une lecture réellement plaisante, à laquelle on souhaite sincèrement de trouver son public.

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LE PODCAST LE BULLEUR PRÉSENTE : KRIMI


 Dans le 197e épisode de son podcast, Le bulleur vous présente Krimi que l’on doit au scénario de Thibault Vermot, au dessin d’Alex W. Inker, un ouvrage publié chez Sarbacane. Cette semaine aussi, je reviens sur l’actualité de la bande dessinée et des sorties avec :


- La sortie de l’album Dix secondes que l’on doit à Max de Radiguès et aux éditions Casterman


- La sortie de l’album Le cahier à spirale que l’on doit à Didier Tronchet, un album édité au sein du label Aire libre des éditions Dupuis


- La sortie de l’album Dans ses yeux que l’on doit à Marc Cuadrado, un titre publié chez Grand angle


- La sortie de l’album C’est la faute à Molière ! Sur la création de la comédie française, un titre que l’on doit au scénario de Michaël Le Galli, au dessin de Virginie Augustin et qui est édité chez Rue de Sèvres


- La sortie de Wilbur, le premier tome d’Electric miles que l’on doit au scénario de Fabien Nury, au dessin de Brüno, un titre publié chez Glénat


- La réédition de Fatherland, album que l’on doit à Nina Bunjevac et publié chez Gallimard.



 
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ABSOLUTION : LA TÉLÉ-RÉALITÉ MACABRE DE PETER MILLIGAN


 Faites-vous partie de ceux qui pensent qu’un criminel ne peut jamais se racheter ? Que les pires éléments de notre société — ceux qui transgressent les règles, les lois, les normes — méritent à jamais l’enfermement, voire la peine capitale ? Dans l’univers dérangeant imaginé par le scénariste britannique Peter Milligan, il existe pourtant une échappatoire. Une porte de sortie. Un espoir totalement foutraque. Mais pour cela, il faut accepter de se livrer à une mécanique de rédemption particulièrement vicieuse : participer à une émission de télé-réalité ultra-violente, baptisée Absolution. Le principe ? Simple. Cruel. Parfaitement cynique. Le candidat — souvent un criminel lui-même, contraint plus que volontaire — est armé jusqu’aux dents, propulsé en terrain hostile, et chargé de traquer d’autres malfaiteurs dans un jeu de chasse à l’homme aux allures de purgatoire sanglant. Pendant ce temps, des millions de spectateurs suivent ses moindres gestes en temps réel, à travers les caméras greffées sur son corps, en commentant à tout va, comme on le fait aujourd’hui sous une vidéo YouTube ou un stream Twitch. Sauf qu’ici, ce ne sont pas des parties de jeu vidéo ou des bêtisiers de chatons qui sont à l’écran, mais la vie, la mort, le sang, et cette forme moderne de la crucifixion médiatique qu’est l’humiliation publique. Le personnage principal, Nina Ryan — ancienne agente de la paix et meurtrière involontaire — tente de racheter sa faute en jouant ce jeu de massacre en direct, tout en sachant que son salut dépendra du bon vouloir d’un public versatile, friand de violence, prompt à juger et à la condamner depuis le confort de son salon. Milligan pousse à l’extrême la logique du divertissement contemporain, où la frontière entre justice et spectacle s’est depuis longtemps dissoute dans un bain (sanglant) de pixels.



Avec Absolution, Peter Milligan livre une charge brutale contre une société où la justice est devenue un produit de consommation, et où le pardon se monnaie à coups de clics et de coups de feu. Pour parvenir à l'absolution, Nina doit évidemment tenir compte du caractère voyeuriste de ceux qui la suivent en ligne. Plus ses interventions seront spectaculaires, plus elle se complaira dans les meurtres et dans les moyens employés pour y parvenir ; et plus elle aura de chances de susciter l’adhésion de ses suiveurs. Bien entendu, ces courageux lions cachés derrière leur clavier se permettent aussi de l’insulter, de commenter de la pire des façons ce qu’ils voient, bien à l’abri de leur écran. C’est extrêmement bien écrit par Milligan, car il propose une vision parfaitement crédible, sarcastique et tristement contemporaine de cette manière qu’ont tant d’internautes de venir vomir leur ennui sur le Net. Peut-on vraiment se racheter quand on est exposé comme un gladiateur numérique ? Est-ce encore de la justice, ou juste une nouvelle forme de cirque romain, avec des drones à la place des fauves ? Absolution n’apporte pas de réponse facile. Mais il oblige à poser les bonnes questions et c'est un sacré bon divertissement ! Côté dessin, Mike Deodato, avec sa mise en page désormais caractéristique et son style en grande partie photo-réaliste, renforce le ton glaçant de l’histoire. Il livre des planches d’une grande efficacité, qui transforment cette bande dessinée en une sorte de B-movie d’action dramatique. Publié en V.O. chez AWA Studios, Absolution est toujours en attente d'un éditeur français. On peine à comprendre pourquoi. 


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BARNSTORMERS : VOLTIGE, AMOUR ET MEURTRE AVEC SNYDER ET LOTAY


 Bienvenue à bord de Barnstormers, le dernier bolide scénaristique de Scott Snyder et Tula Lotay, qui décolle en trombe depuis les années 1920, entre cascades aériennes, amours contrariés et cavale à la Bonnie & Clyde. Un récit rondement mené et addictif, dans lequel l’élégance vintage d’une couverture du Saturday Evening Post peut rencontrer la tôle froissée de vieux biplans. À la manœuvre, Hawk/Bix, pilote nomade au sourire ravageur et aux secrets bien arrimés, et Tillie, passagère clandestine au bagage émotionnel bien plus lourd qu’un moteur d’avion. Dès les premières planches, le lecteur averti est prévenu par Scott Snyder, ça risque de virer au looping narratif. Les deux héros, tout droit sortis d’un casting de vieux films d’aventure, sont des figures presque trop parfaites pour être vraies – et c’est justement ça, le plan de vol. Snyder, vieux briscard du scénario, vise une montée en puissance tout en turbulences maîtrisées : archétypes d’abord, révélations ensuite. Et pour corser le tout, une galerie d’éléments intrigants : agents secrets, vieux dossiers, trahisons, amour en chute libre… Il faut dire que notre pilote charmeur n'est pas exactement celui qu'il prétend être, et que certains épisodes de son passé récent (qui vous seront dévoilés dans le troisième épisode) font de lui un casse-cou assez instable. C'est sur le tas qu'il a appris à piloter, pour épater la galerie et fasciner les foules en délire, à travers l'Amérique. C'est ce qu'on appelle le Barnstorming, une pratique spectaculaire née aux États-Unis dans les années 1920, à la croisée de l’aviation pionnière et du show à l’américaine. Mais en l'absence des réseaux sociaux ou de la presse complice, il faut séduire les jeunes opératrices pour s'annoncer de ville en ville, et c'est parfois extrêmement compliqué ! 




Lorsqu'ils sont tous là-haut dans les cieux et qu'ils réalisent les acrobaties les plus audacieuses, les deux tourtereaux que sont Bix et Tillie échappent au commun des mortels, et incidemment, à tous leurs poursuivants. C'est qu'ils ont un point commun, l'envie de fuir, la nécessité de ne pas revenir en arrière, trouver la liberté dans les airs. Echapper non seulement à la gravité mais aussi à la justice d'un côté (Bix), et au mari de l'autre (Tillie) qui utilise sa position sociale et sa force pour dompter une épouse qu'il considérer comme sa chose, qu'il désire mettre en cage, la traiter comme une simple possession ou un animal qu'il faut savoir dresser. Un drame en deux temps, un couple contre le reste du monde, un privé qui leur collent aux basques, un époux détestable, des visions cauchemardesques, en voilà un menu qui donnent des ailes. Visuellement, Tula Lotay propulse le récit dans la stratosphère. Son dessin est un festival d’élégance et de détails, avec une mise en scène qui donne parfois envie d’applaudir à la fin de chaque page, comme à l’atterrissage d’un vol mouvementé. Ses pleines pages, où Hawk et Tillie sillonnent le ciel, sont de véritables envolées lyriques. Le coloriste Dee Cunniffe, lui, joue les contrôleurs aériens avec doigté et pilote une palette lumineuse qui donne à l’ensemble une atmosphère suspendue, presque tactile. Magnifique, vraiment. Snyder sort de sa zone de confort pour livrer un récit plus personnel, porté par un souffle romanesque et une ironie douce. Barnstormers ne réinvente pas la gravité, mais l'album plane avec style au-dessus des conventions. Disponible chez Delcourt.


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X-MEN : DIEU CRÉE, L'HOMME DÉTRUIT (INDISPENSABLE LECTURE MUTANTE)


 Il est sans doute inutile de revenir sur l'importance fondamentale de Chris Claremont dans l'histoire et le succès des X-Men : non seulement ce scénariste de génie savait tisser, longtemps à l'avance, des intrigues complexes aux ramifications multiples, mais il est aussi celui qui a su rendre crédible, mieux que quiconque, l’hystérie anti-mutants — l’un des thèmes majeurs de la série, comme le souhaitait d’ailleurs Stan Lee dès les origines. Année après année, le climat s’est fait de plus en plus tendu, et les mutants ont été placés sur la sellette, jusqu’à être stigmatisés comme l’ont été, et le sont encore aujourd’hui, certaines catégories de la population en raison de leurs origines ou de leurs croyances religieuses. Tout cela s’inscrit dans l’ère Jim Shooter, qui choisit d’offrir au lectorat des œuvres plus adultes et ambitieuses, à travers une série de graphic novels qui, sur la forme, se rapprochent davantage de la bande dessinée européenne que du comic book traditionnel. C’est dans cet écrin que naît ce qui deviendra l’une des pierres angulaires de la mythologie des X-Men. God loves, man kills. Claremont y dénonce l’hystérie qui s’empare des États-Unis dès qu’il est question de religion, et l’écoute complaisante accordée aux discours de la droite religieuse extrémiste. Autrefois, c’était le Ku Klux Klan qui s’en prenait à la population noire ; aujourd’hui, c’est le révérend William Stryker — sorte de double maléfique du professeur Xavier — qui lance une croisade contre l’Homo superior. À ses yeux, ce dernier représente une perversion absolue de l’humanité, et il est prêt à tout pour l’exterminer, jusqu’à tendre un piège à Xavier et à ses élèves, au terme d’un débat télévisé. Les Purificateurs recourent systématiquement à la violence, à l’enlèvement, au meurtre ; pour eux, tous les moyens sont bons pour éradiquer ce qu’ils considèrent comme une mauvaise herbe. Le climat social est d’ailleurs particulièrement tendu : il suffit de voir cette scène où la jeune Kitty Pryde en vient aux mains avec un camarade d’étude, simplement parce que celui-ci reprend à son compte les idées de Stryker. Fatalement, l’étau se resserre, et les mutants finissent par être perçus comme une menace par l’opinion publique — sans qu’ils aient la possibilité de se défendre ni de faire entendre un quelconque contradictoire.



Les X-Men ne se retrouvent pas face à un vilain traditionnel qu'il est possible de détruire à coup de super pouvoirs, mais face à un homme très dangereux qui utilise son influence, les médias, l'ignorance des masses, pour semer la haine dans la société. Tout le monde est victime, y compris les enfants, et il n'est pas facile d'extirper les préjudices quand ceux-ci ont atteint les cœurs et les cerveaux. Regardez-le donc, ce Diablo et sa fourrure bleue, n'est-ce-pas forcément un monstre, une engeance pour l'humanité, puisqu'il est si différent "des hommes" à première vue ? Conséquence ultime, nos mutants préférés en arrivent à s'allier avec Magneto, pourtant considéré comme un ennemi, et ils font front commun pour mettre sur pied une résistance illusoire mais nécessaire. Le dessin de Brent Anderson subit l'influence de Neil Adams et il vaut surtout par la mise en page, dense mais inventive, et la qualité de l'utilisation des ombres. Certes, certains premiers plans ne sont pas des plus gracieux, l'artiste fera beaucoup mieux par la suite, néanmoins cela reste un travail de bonne facture, qui nécessite de la part du lecteur un véritable investissement : les dialogues et les didascalies sont très présents et ce n'est pas un album qui se lit en un quart d'heure, entre le café et les photocopies, au boulot. Toujours aussi moderne et d'actualité, Dieu créé l'homme détruit nous rappelle la grandeur des X-Men du passé, la raison pour laquelle nous en sommes tombés amoureux, et dont Jonathan Hickman a su raviver récemment la flamme (qui vacille déjà, tant je m'ennuie ces derniers moi avec le nouveau relaunch). L'ouvrage reste tristement d'actualité tant nous avons l'impression d'entendre nombre de personnes influentes ou (ir)responsables politiques tenir des propos de la même trempe de ceux de Stryker, même si l'étranger remplace systématiquement le mutant. Ce qui revient, pour finir, à poser cette question fondamentale : comment est-il possible de nourrir un vote clairement xénophobe (dois-je vous rappeler les condamnations pour incitation à la haine raciale de certains ?) et de lire et apprécier l'univers des X-Men ? Un grand écart idéologique que des lecteurs parviennent à faire, apparemment. C'est la version Extended Cut de 2020 que vous trouverez dans le Must Have édité chez Panini ces jours-ci, avec dix pages supplémentaires inédites, une postface, des tas de couvertures, des pages en noir et blanc… De quoi se faire plaisir jusqu'au bout. 



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ABSOLUTE WONDER WOMAN TOME 1 : LA DERNIÈRE AMAZONE

 Quand on découvre Diana dans Absolute Wonder Woman , difficile de ne pas froncer un sourcil (ou deux) devant ce cocktail visuel aussi baroq...