JUDGE DREDD : LES AFFAIRES CLASSÉES ET UN DIXIÈME TOME CHEZ DELIRIUM


 Le plaisir est rare, mais quand un nouveau volume de Judge Dredd débarque en librairie, inutile de jouer les blasés : on pose tout et on s’y replonge avec jubilation. Voici donc venir le dixième imposant pavé consacré aux Affaires Classées du plus inflexible des juges de Mega-City One, l’occasion rêvée de redécouvrir ces récits courts parus dans la mythique revue britannique 2000 AD. Toujours au programme : satire sociale corrosive et violence institutionnalisée dans un futur (pas si lointain ?) où l’ordre et la justice sont poussés jusqu’à la folie. Dès les premières pages, on est décoiffé par les péripéties du Midnight Surfer, qui participe à un concours de surf motorisé (formellement interdit, bien sûr) et s’apprête à enflammer la mégalopole. À peine le temps de ranger la planche qu’on tombe nez à nez avec Nosferatu, une créature extraterrestre au look de vampire-araignée, échappée d’une des lunes de Callisto. Les amateurs d’humour grinçant seront ravis : on y trouve aussi un épisode hilarant consacré à des bonbons prétendument « futés », censés rendre plus intelligents ceux qui les croquent… mais évidemment, c’est tout l’inverse. Plus inquiétant encore, un dysfonctionnement pousse une série de robots domestiques à assassiner leurs propriétaires, persuadés que la mort les rendra plus heureux. Comme toujours, le regard porté par les auteurs est acéré, mordant, et fait écho à nos propres sociétés, le tout simplement transposé dans un futur où la démesure est devenue norme absurde. Dans l’un des récits les plus marquants, un journaliste découvre que les juges diffusent un gaz tranquillisant pour prévenir toute révolte. « C’est immoral ! C’est monstrueux ! » proteste-t-on — mais Dredd tranche : c’est la loi. Tout est dit. Après tout, qu’importe d’abandonner un peu de liberté si, en échange, une main de fer nous promet la paix et la sécurité ? Le plus ironique, c’est que le désordre règne partout dans l’univers de Dredd. Il suffit de voir le retour du redoutable Mean Angel, ce psychopathe repenti qu’on relâche en pleine période de Noël, une saison décidément peu propice à la rédemption. Très vite, ses fameux « coups de boule » reprennent du service, et Dredd doit à nouveau imposer sa conception de la justice. Bref, le juge continue de faire régner la loi à coups de sarcasmes et de matraque, dans un monde où la satire n’a jamais paru aussi actuelle.




Parce que oui, ce que beaucoup ignorent lorsqu’ils ne connaissent pas l’univers du Judge Dredd, c’est que ses histoires ne se résument pas à une accumulation de clichés, de gros flingues et de science-fiction musclée. La série offre aussi une réflexion, souvent grinçante, sur ce que nous faisons de notre société et sur la direction que nous prenons. Sous ses dehors satiriques, elle explore avec acuité les dérives du pouvoir, de la technologie et du contrôle social. On y croise par exemple Tony, un participant au concours des “Fatties”, ces individus qui accumulent de la graisse jusqu’à atteindre un poids délirant. Lui est le premier homme à dépasser les deux tonnes, un record absurde qui, évidemment, lui vaut une place dans les annales de Mega-City One. Passons sur une histoire en plusieurs volets où un seigneur nippon débarque dans la mégalopole pour invoquer son samouraï personnel (à mon sens, l’un des temps faibles inévitables de l’album) pour nous concentrer sur les récits courts, bien plus percutants et pertinents. Certains abordent de front des questions essentielles, comme celle de la démocratie, à travers un groupe de rebelles rêvant d’un ordre plus juste, mais dont l’idéal finira dans le sang. Dans un autre épisode marquant, un juge découvre l’amour et se voit contraint de vivre sa relation dans la clandestinité, quitte à risquer le chantage et la disgrâce. Dans ce monde autoritaire, la passion est un crime, et un agent de la loi ne peut entretenir la moindre relation amoureuse sans être banni. On trouve aussi une perle d’humour noir racontée du point de vue d’un cafard ainsi qu’un enchaînement d’épisodes centrés sur les Gribbligs, de charmantes petites créatures qu’on rêverait d’avoir pour animaux de compagnie, si elles n’étaient pas strictement interdites. Et pour cause : elles se reproduisent à la vitesse de la lumière et font preuve d’une intelligence redoutable, capable de plonger leurs propriétaires dans de sérieux ennuis. Dans un univers aussi absurde que celui de Judge Dredd, le seul qui semble tirer son épingle du jeu est peut-être le fou, le timbré, comme le suggère l’un de ces savoureux épisodes courts où la folie devient une forme de lucidité. Le scénario est signé par le tandem John Wagner et Alan Grant, tandis que le dessin est confié à une impressionnante brochette d’artistes : Carlos Ezquerra, le créateur du personnage, Steve Dillon (bien connu des lecteurs de Marvel), mais aussi Cam Kennedy, Ron Smith, Ian Gibson, et même le maître Bryan Talbot. Ce dixième volume s’impose dignement aux côtés des neuf précédents, et ne souffre finalement que d’un seul véritable défaut : provoquer chez le lecteur une impatience spasmodique, celle d’attendre plusieurs mois avant de pouvoir mettre la main sur le onzième tome.


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SON OF ORIGINS - STAN LEE RACONTE LES SUPER-HEROS MARVEL


 En 1975, un an après le triomphe retentissant d’Origins of Marvel Comics, Stan Lee récidivait avec Son of Origins of Marvel Comics, toujours sous l’égide de Fireside Books, la branche grand public de Simon & Schuster. L’idée ? Reprendre exactement la même formule qui avait si bien fonctionné : un florilège d’histoires fondatrices, commentées par le maître en personne, entre deux clins d’œil complices et quelques envolées d’ego trip. Bref, ce qui est la recette même du succès du maître des comics modernes, avant tout meilleur publicitaire de lui-même, plus encore que scénariste génial (et ultra prolifique). Talent Editions nous a gratifié, l'an passé, du premier livre cité (lire ici). Par chance, l'éditeur récidive en 2025 et vous allez voir débarquer la suite incessamment sous peu, dans toutes les bonnes librairies. L’ouvrage, à la couverture peinte par John Romita (où la Sorcière Rouge fait une apparition aussi énigmatique qu’injustifiée), rassemble les origines de sept piliers du panthéon Marvel : les X-Men (dans leur première aventure en 1963), Iron Man, Daredevil, Nick Fury, Les Avengers (Les Vengeurs, quoi), Le Gardien et dulcis in fondo le Silver Surfer. Certains, comme Iron Man ou Daredevil, ont droit à une double ration de récits, histoire de suivre leur évolution graphique et narrative. L’ensemble dépasse les 250 pages en couleurs, soit un beau pavé de nostalgie susceptible de ravir aussi bien le lecteur chevronné que celui qui n'y connaît pas grand chose, et souhaite ardemment s'y mettre, en commençant par le commencement. Comme dans le premier tome, la véritable richesse du livre ne réside pas seulement dans les planches bigarrées mais dans les introductions signées Stan Lee. Toujours volubile, parfois cabotin, il raconte la naissance des héros avec une verve légendaire qui mêle mythologie pop et autopromotion assumée. Il dévoile, mine de rien, sa méthode : combiner des archétypes modernes, injecter de la faille dans le héros, saupoudrer d’humour, et signer d’un « Excelsior ! » qui a fait date dans la pop culture.



Son of Origins est un ouvrage qui se doit de respecter la légende dite canonique, et n'a pas vocation à creuser pour faire jaillir la vérité derrière les petites histories. Les artistes sont cités, mais rarement célébrés. Gene Colan, omniprésent dans le volume, bénéficie d’une mention spéciale, tandis que Jack Kirby, pourtant co-créateur des Avengers, des X-Men et du Silver Surfer, n’est évoqué qu’à demi-mot et surtout sans la moindre allusion à la rancune tenace qu’il nourrissait alors contre Lee. Ceux qui savent et suivent depuis cette époque bénie y verront le témoignage d’un moment précis : celui où Stan, devenu porte-parole officiel de la Maison des Idées, décida d'écrire la légende Marvel… à sa manière, selon son point de vue. Sur le plan éditorial, Son of Origins est bien un document précieux, avec les qualités et les défauts de ces livres qui osent remettre les années 1960 sur le tapis. Par exemple, les méchants asiatiques d’Iron Man arborent toujours un jaune criard qui témoigne d’un exotisme (racisme ?) daté, et les personnages féminins sont plus jolis qu'héroïques. Malgré ces réserves, le charme agit toujours. En 1975, cette anthologie offrait à des milliers de lecteurs la possibilité de (re)découvrir des récits devenus quasi introuvables. Aujourd’hui, cinquante ans plus tard, c'est tout aussi nécessaire et fondamental : on peut certes trouver ces récits dans bien des formats, mais les voir ainsi compilés, et commentés, a tout du cadeau irrésistible qui vous chatouille les doigts et le porte-monnaie. D'autant plus que les épisodes sont retraduits, ce qui fera plaisir à ceux qui critiquent vertement les VF bien connues. L'enthousiasme et l'exubérance des premiers pas des super-héros, sous le regard attendri et la verve loquace de leur créateur, ce n'est pas seulement une manière de parler et aimer les comics, c'est aussi, disons-le carrément, tout un pan de notre société pop moderne qui reprend vie sous nos yeux.



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M IS FOR MONSTER : TALIA DUTTON CHEZ DELCOURT


 En 2022, Talia Dutton ressuscitait le mythe de Frankenstein pour en faire un drame intime sur la reconstruction, la différence et la quête d’identité. Publié chez Surely Books (maison d’édition dédiée aux artistes LGBTQIA+), M is for Monster réinvente le célèbre récit de Mary Shelley à travers une approche plus humaine, et résolument contemporaine. Ici, la foudre ne donne pas seulement la vie : elle éclaire aussi les zones d’ombre que la société préfère ignorer. Le récit s’ouvre sur une scène familière : une scientifique exaltée, des éclairs, un corps inerte sur la table. Mais cette fois, le docteur Frankenstein s’appelle Frances Ai, dite Frankie, et la créature qu’elle tente de ramener n’est autre que sa sœur Maura, morte dans un accident de laboratoire. L’expérience est un succès… ou presque. Car la jeune fille qui se réveille n’est plus Maura ; elle choisit bientôt de s’appeler simplement M. Sans souvenirs, sans repères, M refuse de rejouer la vie de celle dont elle n’est que l’écho charnel. Frankie, de son côté, s’obstine à lui faire endosser le rôle de la sœur perdue, incapable de faire son deuil autrement que par la science. Entre ces deux femmes se tisse un lien fait d’amour, de culpabilité et de maladresse : l’histoire d’une créature qui veut exister pour elle-même, et d’une créatrice qui doit apprendre à lâcher prise. Amour toxique et mensonges au menu, bon appétit. Dutton reprend les figures archétypales de Shelley, c'est-à-dire surtout le savant démiurge et sa création en quête d’humanité, pour les transposer dans un territoire plus émotionnel que gothique. Là où Victor Frankenstein se perdait dans l’orgueil et l’isolement, Frankie avance, trébuche, mais finit par reconnaître ses erreurs. Quant à M, elle n’est pas le monstre rejeté par le monde : elle est une jeune fille en devenir, en apprentissage de soi, qui cherche à comprendre comment être « quelqu’un » dans un corps et une identité imposés. Son parcours métaphorique résonne avec les interrogations de nombreux lecteurs adolescents : comment se définir lorsque tout autour de soi prétend savoir mieux que nous qui nous sommes ?



Graphiquement, Dutton est capable à la fois de nous écorcher le cœur et les yeux, et de nous apaiser. Le trait, souple et expressif, s’appuie sur une palette restreinte de teintes turquoise, noires et blanches : quelque part entre la froideur clinique du laboratoire et la mélancolie romantique des films expressionnistes. Les coutures visibles de M deviennent un symbole double : cicatrice des attentes qu’on lui impose, mais aussi motif récurrent d’une possible reconstruction. Les éclairs, les ombres, les reflets sont autant de métaphores visuelles de la fragmentation et de la recomposition du soi. Dutton se fait virtuose quand il s'agit de dessiner la simultanéité du passé et du présent sur la même page, de traduire la confusion intérieure, ou encore faire naître des silences qui valent plus que les dialogues. M is for Monster n’est pas un récit d’horreur, mais une histoire d’apprentissage. On y parle moins de création contre nature que d’amour et rébellion contre les apparences. La question devient alors : et si le « monstre » avait été aimé ? Et s’il avait eu la chance de se choisir lui-même ? Et si Frankenstein, au lieu de fuir, avait accepté sa créature ? Sous ses airs de conte mélancolique, cette bande dessinée aborde avec délicatesse la pression des attentes familiales, la peur de ne pas correspondre, et le droit d’exister selon ses propres définitions. Talia Dutton signe un premier roman graphique d’une étonnante maturité. Delcourt nous propose cette pépite, qui en appelle d'autres.



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LE PODCAST LE BULLEUR PRÉSENTE : SOLI DEO GLORIA


 Dans le 209e épisode de son podcast, Le bulleur vous présente Soli Deo Gloria, album que l’on doit au scénario de Jean-Christophe Deveney ainsi qu’au dessin d’Édouard Cour, un ouvrage édité chez Dupuis. Cette semaine aussi, le podcast revient sur l’actualité de la bande dessinée et des sorties avec :


- La sortie de l’album Rock’n’roll suicide que l’on doit à Louise Laborie ainsi qu’aux éditions Sarbacane


- La sortie de l’album Ulis que l’on doit à Fabien Toulmé ainsi qu’aux éditions Delcourt


- La sortie de l’album Le paradoxe de l’abondance que l’on doit au scénario conjoint de Vincent Ravalec et Hugo Clément, au dessin de Dominique Mermoux et c’est sorti chez Dargaud


- La sortie de l’album Leave them alone, un titre signé Roger Seiter au scénario et Chris Regnault au dessin pour un album paru aux éditions Grand angle


- La sortie de l’album Pénis de table 2 que l’on doit à Cookie Kalkair ainsi qu’aux éditions Steinkis


- La sortie d’un beau livre aux Editions Glénat, baptisé La nef des songes, il revient sur les 35 ans de carrière d’Olivier Ledroit dans un entretien que mène Arnaud Pagès.



 
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DAKOTA 1880 : VOICI VENIR LE LUCKY LUKE D'APPOLLO ET BRÜNO




 Outre les aventures traditionnelles de celui qui tire plus vite que son ombre, on peut également découvrir Lucky Luke dans une série d’albums qui lui rendent hommage. Ces volumes, réalisés par des équipes artistiques variées, proposent à chaque fois une approche singulière et personnelle, entre respect du mythe et réinterprétation moderne, pour le plus grand plaisir des lecteurs (même si certains puristes grognent toujours). Cette fois, c’est au tour du duo composé d’Appollo et de Brüno de s’y coller, avec Dakota 1880, un album dont le titre adresse un clin d’œil appuyé à la toute première publication du cow-boy solitaire, Arizona 1880, publiée en 1947. Il s’agit d’ailleurs d’une suite spirituelle à ce premier jet : on y retrouve un Lucky Luke en début de carrière, encore sans son célèbre cheval Jolly Jumper, et dont les exploits n’ont pas déjà traversé tout le continent nord-américain. Jeune et inexpérimenté, Luke se met souvent dans des situations périlleuses : dès le premier des sept petits épisode qui se succèdent, on le découvre roué de coups par une bande de malfaiteurs, et, dans le second, pendu à une corde avant d’être sauvé in extremis par Baldwin, un jeune garçon noir. Ce dernier va ensuite accompagner notre héros à bord de la diligence qu’il conduit jusqu’en Californie. Le gamin en question n’est supposément pas un inconnu : il s’agit de Baldwin Chenier, personnage ayant réellement existé (nous assure-t-on en fin d’album avec malice), et qui aurait contribué, à sa manière, à nourrir la légende du Far West à coups de dime novels, ces romans à bon marché qui sentent la poussière et la poudre. Lucky Luke et lui nouent ici une relation d’amitié touchante, dans laquelle le jeune Baldwin apprend maladroitement à tirer, sous le regard amusé du cow-boy, qui remarque en revanche les talents précoces d’une fillette de treize ans, future tireuse d’élite capable d’atteindre n’importe quelle cible. Annie Oakley, elle, est bien un personnage historique. Car la fiction s’entrelace (comme souvent avec Lucky Luke) habilement avec la réalité : les auteurs glissent de nombreuses références au contexte de l’époque. Et au fil des pages, le mythe de Lucky Luke s’enrichit, gagne en humanité et en profondeur, tout en préparant, à petits pas, la naissance du héros légendaire que l’on connaît.




À bien y regarder, plusieurs particularités et thématiques originales se dégagent de cet album. On notera d’abord la présence marquée des femmes : la grand-mère de Baldwin et son destin inachevé, une voyageuse d’origine irlandaise qui traverse les États-Unis pour retrouver le militaire qu’elle doit épouser après une correspondance passionnée, ou encore, dans le sixième épisode intitulé Brasier, Lucie, une jeune femme de dix-neuf ans contrainte de travailler dans un saloon, où ses « talents » n’ont guère à voir avec ceux d’une simple serveuse. Lassée d’être prisonnière de sa condition, elle choisit de s’émanciper en incendiant littéralement son lieu de captivité. Lucky Luke, dans ce recueil, apparaît plus posé, plus réfléchi que jamais. Il ne fait parler la poudre (ou les poings) que lorsque la situation l’exige absolument, comme face à l’homme qui a décidé de châtier Lucie. Un parfum de désillusion flotte d’ailleurs sur ces pages, un sentiment de lendemain qui déchante. Il est même question, à un moment, du pouvoir rédempteur de la poésie. Le dernier épisode, quant à lui, évoque la façon dont la modernité finira inévitablement par supplanter l’Ouest américain traditionnel. La photographie y symbolise cette évolution imminente, prête à dévorer un monde condamné à l’oubli ou, au mieux, à la légende. Appollo (Olivier Appollodorus) réussit ainsi le tour de force de livrer une soixantaine de pages denses et équilibrées : un voyage à travers un pays à construire à la fois agité, rocambolesque et pourtant d’une étonnante simplicité. Quant à Brüno, il s’éloigne radicalement du style de Morris : son Lucky Luke épuré, ses visages faussement figés, et ces planches où la neige et les éléments s’expriment en silence, tout cela confère à l’ensemble une beauté mélancolique, profondément touchante. On remarquera d’ailleurs que Lucky Luke apparaît souvent sans bouche, comme si Brüno faisait du silence le compagnon idéal de cette traversée des grands espaces. Un album sans fanfare ni trompette mais d’une justesse rare, et d’une émotion discrète, durable.
Sortie le 31 octobre chez Lucky Comics / Dargaud



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LA TOMBE : ADAPTATION DE LA NOUVELLE DE LOVECRAFT CHEZ LES HUMANOS


 Certes, la situation n'a rien de réjouissant du côté des Humanoïdes Associés (même la branche américaine des Humanos vient d'être déclarée en cessation de paiement), mais on continue (pour le moment ?) de voir débarquer quelques nouveautés attendues en librairie, à commencer par une adaptation d'une nouvelle de Lovecraft, La Tombe. Écrite en 1917 mais publiée seulement en 1922, cette histoire marque sans doute la première véritable œuvre « adulte » de l'écrivain culte. On y sent déjà la main ferme du conteur macabre, le goût du passé qui pourrit lentement dans les recoins d’une mémoire décadente, et l’ombre des grandes thématiques qui hanteront tout son univers : la folie, la dégénérescence, l’héritage maudit et le vertige d’une identité qui s’effrite entre rêve et réalité. Le narrateur, Jervas Dudley, est un jeune homme « rêveur et visionnaire », autrement dit un doux inadapté (un branleur, presque). Comme souvent chez Lovecraft, ce marginal se réfugie dans les livres anciens, fuit les conventions de son époque et cherche la beauté dans les ruines du passé. Sa solitude devient une porte ouverte sur l’irrationnel. Un jour, il découvre un vieux mausolée, celui de la famille Hyde, dont le manoir fut jadis consumé par la foudre. Châtiment divin, murmurent les villageois, histoire de corser l'atmosphère. Dès lors, Jervas se met à rôder autour du caveau, fasciné, possédé par l’idée d’y entrer, comme si sa propre vie l’attendait à l’intérieur. Ce n’est pas un hasard si cette fascination a des allures de désir interdit : l’attirance du vivant pour la mort, de la chair pour la poussière, de l’homme pour un passé qui n’est plus le sien. Dans ce texte, l’obsession est moins un élan romantique qu’une maladie du sang. Jervas revendique même un lien imaginaire avec les Hyde, persuadé d’être l’un des leurs, réincarné ou ressuscité à travers les siècles. À mesure qu’il s’abandonne à son délire, il dort à côté de la tombe, puis finit par y pénétrer, trouvant dans le cercueil vide une place toute désignée : la sienne. Bonne nuit les petits.



Le ton reste celui d’une confession fiévreuse, classique chez Lovecraft : le narrateur parle depuis un asile, conscient que ses mots paraîtront fous. Il affirme pourtant décrire des faits réels. Ce jeu entre la démence et le surnaturel est l’une des réussites du texte. Ce que Jervas croit voir (la lumière dans le caveau, la clé providentielle, le bal spectral des Hyde ressuscités) peut être lu comme les hallucinations d’un esprit brisé, ou comme les preuves d’un héritage maudit revenu le hanter. Certains critiques ont reproché à La Tombe un excès de prose ampoulée, des phrases interminables qui donnent à l’ensemble un parfum d’archaïsme. Mais d’autres y voient justement comme un charme. La maladresse stylistique devient presque un effet de style, une manière de brouiller la frontière entre le rêve et la réalité, entre le XIXe siècle décadent et l’horreur moderne. La version en bande dessinée est écrite par Bastian D.D et parvient bien à retranscrire le ton et la prose, en opérant des choix qui assurent une transition fidèle et efficace au format dont les Humanos sont de fervents défenseurs. Le dessin est confié à Nino Cammarata et c'est une grande réussite. Aussi bien quand la mise en page est classique, sous la forme d'un gaufrier régulier, que dans les splendides pleines pages ou les vignettes qui respirent amplement, le trait est élégant, soigné, ne souffre d'aucune baisse de régime ou approximation. On peut reprocher à La Tombe de n’être qu’un canevas encore rigide, un brouillon d’idées qui écloront plus tard. Le récit est parfois trop explicite, la psychologie esquissée sans profondeur. Mais l’essentiel se prête très bien à une adaptation en bande dessinée, l'image appuyant l'aspect lugubre et macabre des propos de Lovecraft, nous séduisant par sa préciosité. C'est beau et à conseiller vivement aux fans de l'écrivain de l'horreur.



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ZORRO D'ENTRE LES MORTS DE SEAN MURPHY : LE COFFRET CHEZ URBAN COMICS


 Zorro appartient à la culture populaire, mais aussi à une époque bien différente de la nôtre, à tous points de vue. Le personnage évolue dans le Mexique de la première moitié du XIXᵉ siècle, dans un univers de combats d’agilité menés à la pointe de l’épée, où dominent les chevaux, la ruralité et le pouvoir militaire. Mais la culture populaire est un phénomène cyclique : ce qui s’éclipse finit toujours par revenir, tel un satellite en orbite. Les mêmes bases, les mêmes recettes, mais revisitées, transformées pour s’adapter à leur temps. Or, depuis quelques mois, Zorro revient justement sur le devant de la scène, sous diverses formes. Côté comics, ce renouveau est (en partie) à mettre au crédit de Sean Murphy, l’un de ces dessinateurs un peu fous dont le style explosif et immédiatement reconnaissable a marqué plusieurs productions à succès, du White Knight au très bon The Plot Holes. Murphy a eu l’intelligence de ne pas raconter une énième aventure de Zorro dans le passé, mais de transposer le concept à l’ère moderne. Dans sa version, Zorro est devenu une légende que les habitants mexicains de la région de La Vega honorent et célèbrent chaque année pendant la fête des Morts. Mais cette ferveur contraste avec la peur quotidienne : la région vit sous la coupe des cartels de la drogue, responsables, vingt ans plus tôt, de l’assassinat d’un notable local. L’homme, alors en costume de Zorro pour les festivités, fut exécuté sous les yeux de ses deux enfants par un tyran surnommé El Rojo. Ce meurtre a laissé des traces profondes. La fillette, Rosa, a tout fait pour survivre, allant jusqu’à travailler pour les cartels qu’elle hait, tout en nourrissant une vengeance impossible. Son frère, Diego (le nom n’est évidemment pas un hasard), est quant à lui devenu muet. Il vit désormais dans un château transformé en musée dédié à Zorro, auprès de son grand-père. Là, il s’entraîne inlassablement, apprend à manier l’épée, à devenir un combattant accompli… prêt, peut-être, à incarner à son tour le justicier masqué qu’il vénère.



Le Zorro de Sean Murphy n’est donc pas un personnage réel. Il ne s’agit pas d’une réincarnation magique d’une icône de la pop culture, ressuscitée grâce à un prétexte fumeux, mais plutôt d’un descendant possible du justicier originel. Le jour où il reçoit l’épée ayant appartenu au héros légendaire, il se découvre investi d’une mission : libérer les siens, devenir l’étendard de l’espoir d’un peuple, en revêtant le célèbre costume noir. Le lecteur sourira souvent devant son langage fleuri et sa fausse naïveté, surtout lorsqu’il constate que les armes de ses adversaires ont, elles, bien évolué : fini les duels à cheval, place désormais aux véhicules blindés lourdement armés ! Pourtant, ce nouveau Zorro n’en demeure pas moins redoutable. Il accomplit pleinement sa tâche : inspirer les autres, devenir la figure de proue d’une rébellion née du désespoir, pour tous ceux qui refusent de plier l’échine et décident qu’il est temps de reconquérir une part de leur liberté confisquée. Murphy signe un scénario intelligent, quoique relativement simple. En quatre épisodes, il n’a pas vraiment le loisir d’approfondir son microcosme, mais compense largement par la puissance visuelle de son trait. Car sur le plan graphique, c’est tout simplement spectaculaire. Vous voulez de l’action ? Vous allez être servis. Vous voulez des compositions dynamiques, des prouesses plastiques, des planches qui claquent dès le premier regard ? Vous en aurez pour votre argent, croyez-moi. On retrouve le style nerveux et anguleux propre à Murphy : silhouettes saccadées, lignes saillantes, personnages massifs et burinés, à l’image d’El Cementiero, un Américain venu prêter main-forte aux rebelles. Ce Zorro moderne évolue dans une lumière sablonneuse, souvent nocturne ou filtrée par des lampes tamisées. Il bondit, frappe, esquive, se fond dans l’ombre comme une légende qui renaît sous nos yeux. Comment devient-on celui qui, sans doute, n’a jamais existé, mais incarne pourtant l’essence même du courage et des espoirs des humbles ? Telle est la question que pose Murphy. Et sa réponse est éclatante : voici Zorro comme on ne l’avait jamais vu, et pourtant comme une évidence. Sous la plume et les pinceaux de Sean Murphy, l’ancien justicier masqué retrouve tout son éclat et toute sa raison d’être. Urban Comics repropose l'ouvrage dans une version Deluxe. On y trouve 1 poster, 1 ex-libris, et Zorro de Sean Murphy avec une nouvelle couverture inédite, le tout dans un coffret, à 26,50 euros. 



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SPECTATEURS : PULSIONS ET VOYEURISME AVEC VAUGHAN ET HENRICHON


 Avec Spectateurs, Brian K. Vaughan et Niko Henrichon nous offrent une œuvre aussi fascinante qu’inconfortable, un sorte de miroir tendu à une humanité obsédée par ses pulsions, sa solitude numérique et son voyeurisme compulsif. Le duo, déjà remarqué sur Pride of Baghdad, signe ici une fable macabre et sensuelle où sexe et violence s’enlacent dans un ballet troublant et très contemporain. Forcément, à ne pas mettre en toutes les mains. Tout commence dans un cinéma, décor banal d’un rendez-vous raté. Val, quadragénaire solitaire, s’y rend pour son date Tinder, qui tourne court. Dépitée, elle s’enfonce dans son siège, sort son téléphone et noie sa déception à l'aide d’un site pornographique. Le dessin, cru, intrusif mais fichtrement juste, capte cette tension entre désir et ennui, jusqu’à ce qu’un tireur fasse irruption dans la salle et transforme la scène en massacre. Le contraste est brutal : la chair, objet de plaisir une seconde plus tôt, devient matière à carnage. Val a beau se cacher, supplier, elle est abattue, froidement. C’est dans cette collision de pulsions que Vaughan trouve sa matière première. La mort de Val la propulse dans un au-delà singulier, où les âmes errantes observent les vivants sans pouvoir interagir. Ils deviennent les spectateurs éternels d’un monde qui se consume, en noir et blanc (à leurs yeux). Un autre fantôme, Sam, guide dans Val dans cet étrange purgatoire et offre une chance de développer la réflexion et l'échange : c'est clairement la foire au voyeurisme pur, tous les morts épient la vie qu’ils ont perdue. Le récit avance alors par strates philosophiques : que signifie « vivre », lorsque l’on passe son existence à regarder celle des autres ? Vaughan pousse la métaphore jusqu’au vertige. On fait alors un bond dans le temps, toujours avec Val, presque cent ans plus tard : les survivants de notre monde décadent s’adonnent à des orgies technologiques (avec des robots masturbateurs à longueur de pages), des combats à mort en direct, des dérives sexuelles ou meurtrières diffusées comme des divertissements planétaires. La société n’a pas évolué : elle a simplement perfectionné ses pulsions. Elle est dominée par ses (plus bas) instincts.



Niko Henrichon, de son côté, livre un travail vraiment remarquable : son trait parvient à conjuguer sensualité, dégoût et attirance morbide dans le même mouvement. Chaque page évoque vraiment la moiteur du désir et la froideur du néant dans lequel l'humanité semble se complaire. L'artiste s'en sort admirablement bien, aussi bien quand il s'agit de présenter des planches statiques, où c'est le dialogue qui est roi, que lorsqu'il faut laisser l'érotisme et la chair s'emparer de la scène, avec des verges turgescentes ou des pénétrations offertes sans fard. Spectateurs peut déconcerter, comme si l'ouvrage ne cherchait jamais à séduire. Plutôt, on dirait que son but est de choquer, émoustiller, inviter à une forme d’introspection douloureuse. Car en suivant Val (et Sam), cette âme condamnée à contempler, on réalise combien nous partageons sa condition. Nos vies, rythmées par les réseaux sociaux, se nourrissent des images des autres : couples parfaits, drames médiatisés, violence virale et omniprésente. Nous sommes devenus des spectateurs / poulets sans tête, incapables de détourner le regard du spectacle du monde en déliquescence, auquel nous appartenons sans appartenir. Spectateurs interroge notre complicité silencieuse. Le monde est laid, il est régi par le sexe, le sensationnalisme, le manque d'empathie. Mais nous sommes tous une partie du problème. En guise de conclusion, un pied de nez final très intelligent, où le regard du spectateur des personnages prend conscience d'être observés (d'être lu), dans un jeu de miroirs et tiroirs déprimant de justesse. Préparez Sour Times de Portishead en guise de fond sonore (si vous souhaitez être raccord avec les intentions de Vaughan dans les dernières pages) et regardez. Contemplez. C'est dégoûtant, c'est fascinant. C'est humain, en somme. 



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PUNISHER JOURNAL DE GUERRE : CARL POTTS ET JIM LEE SANS CONCESSION




 En 1986, tandis que Frank Miller redéfinissait le mythe du justicier urbain avec The Dark Knight Returns, un autre héros sans cape, ni gloire, ni morale commençait à faire parler la poudre du côté de Marvel. Ce croisé psychorigide, c’est Frank Castle, alias le Punisher. Un vétéran du Vietnam qui, après avoir vu sa famille exécutée dans un parc new-yorkais, décide de consacrer le reste de sa vie à la guerre, littéralement. Pas de superpouvoirs, pas de credo humaniste, juste une méthode : éliminer le crime un chargeur après l’autre, sans la moindre once de pitié. Une punition quotidienne. La première série régulière du Punisher fut un tel succès qu’elle entraîna rapidement une prolifération de spin-offs. L’un d’eux, War Journal, reste aujourd’hui le plus marquant, non seulement pour ses histoires plus ancrées dans la psyché de Castle, mais aussi parce qu’il révéla au monde un jeune prodige : Jim Lee. Sous la houlette de Carl Potts, l’ancien responsable éditorial devenu scénariste, le tandem livra une chronique de guerre urbaine au ton froid et clinique, où chaque page vibrait comme un rapport de mission rédigé à la première personne du carnage. Le fameux journal de bord du Punisher, en somme. Potts fit du Punisher un personnage presque introspectif, hanté par ses souvenirs du Vietnam et sa soif de vengeance. Le titre War Journal n’est donc pas un effet de style : c’est réellement le journal de bord d’un homme en croisade, où chaque ligne correspond à un mort de plus, à une cible rayée de la carte. Dans les premiers épisodes, Frank revisite la journée maudite de Central Park, croise Matt Murdock venu lui rappeler qu’il existe encore une frontière entre justice et meurtre (frontière que Castle a depuis longtemps franchie), et retrouve d’anciens compagnons d’armes devenus trafiquants ou mercenaires. Le tout dans un enchevêtrement de missions où se mêlent corruption militaire, opérations secrètes et gadgets high-tech fournis par Microchip, son partenaire de l'époque, génie informatique tragique.



Jim Lee, encore au début de sa carrière, est pourtant déjà le genre d'artiste qui vous saisit par la gorge dès les premières pages : des silhouettes tendues, héroïques jusqu’à la démesure, des visages ciselés ou burinés dans la rage, des compositions qui transforment la violence en ballet. Le visage de Frank Castle, carré comme un obus, porte cette même expression de fatigue et de haine rentrée qui correspond parfaitement au caractère inflexible et obsédant qui anime l'anti-héros inconsolable. On sent qu’il pourrait chuter, être éliminé à chaque page, et c’est ce fragile équilibre entre puissance et autodestruction qui rend la série si touchante. La force du Punisher de Potts et Lee, c’est sa crédibilité brute. On y croit. On entend presque le métal du chargeur glisser dans la chambre. La violence n’est pas gratuite : elle est organique, méthodique, froide comme le regard de son auteur. Potts réussit là où beaucoup ont échoué après lui, c'est-à-dire à rendre le Punisher humain, sans jamais l’excuser. En comparaison, nombre d’itérations ultérieures (jusqu’aux relectures de Garth Ennis, pourtant brillantes mais beaucoup plus grandguignolesques) paraissent s’être égarées dans la caricature ou le sadisme vide de sens. Un signe des temps, probablement. Punisher War Journal témoigne d’une époque où Marvel osait encore traiter un antihéros sans le désamorcer par le cynisme ou l’humour forcé. C’est une série dure, presque ascétique, qui respire la poudre et la solitude. Avec des morceaux d'anthologie, épisodes inoubliables comme ceux de la Jungle Saga avec Wolverine, ou des invités de marque, comme Black Widow, ou Fatalis. Un carnage annoté et commenté par celui qui ne baisse jamais les yeux. Chroniques de la consécration d'un justicier tragique. 45 euros pour 504 pages sans concession.

Sortie cette semaine chez Panini


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LA GUERRE DE SINESTRO : LE JAUNE DE LA PEUR EN DC PAPERBACK


Sinestro Corps War appartient à l'ère bénie des comics DC, celle coincée entre Crisis on Infinite Earths et Flashpoint, avant que les New 52 ne viennent tout réinitialiser. C’est à bien des égards une guerre sainte au cœur du cosmos DC, et l’un des sommets du travail de Geoff Johns, artisan patient d’une mythologie spatiale devenue tentaculaire et foisonnante. Tout part, comme souvent, d’un ancien mentor ou héros devenu ennemi. Sinestro, autrefois le plus brillant des Green Lanterns, qui s'est transformé en l'incarnation même du chaos. Avec sa moustache autoritaire et son sens certain de la dictature éclairée (tendance chancelier du Reich), il fonde son propre corps de justiciers jaunes, le Sinestro Corps, nourri non plus par la volonté, mais par la peur. Face à lui, les Lanternes vertes (les gentils shérifs interstellaires dont l’anneau matérialise les pensées) sont submergés par une armée de monstres et de tyrans : le Cyborg Superman Hank Henshaw, Superboy-Prime dans sa version la plus hystérique, l’Anti-Monitor en personne, et toute une légion de brutes cosmiques prêtes à faire plier la galaxie. C’est dire si le vert a du souci à se faire. Place au jaune ! Au premier rang de la mêlée, on retrouve Hal Jordan, revenu d’entre les morts après avoir été Parallax, puis fusionné avec le Spectre. Personnage héroïque mais souvent fade, il est ici bien aidé par la densité du casting : Guy Gardner, John Stewart, Kyle Rayner, tous participent à cette guerre totale où les anneaux virevoltent par milliers, cherchent de nouveaux porteurs au milieu d’un ballet d’explosions et de morts glorieuses. Johns orchestre tout cela avec la rigueur d’un général et la passion d’un lecteur de longue date. Il tisse un récit qui aurait pu servir de trame à un crossover à l’échelle de tout l'univers de DC Comics (l'idéal pour un reboot, même). L’intensité est telle qu’on croirait parfois lire du Jack Kirby sous amphétamines, le lyrisme cosmique en plus.



Le dessin, signé notamment par Ivan Reis, Patrick Gleason et Ethan Van Sciver, contribue largement à cette impression d’ampleur. Chaque planche semble prête à devenir une affiche, chaque bataille une fresque monumentale. L’univers des Lanterns prend enfin toute la mesure de sa folie conceptuelle : les émotions ont des couleurs, les anneaux deviennent des armes de foi, et la peur s’érige en force physique. Ce que Johns a compris mieux que quiconque, c’est que la mythologie Green Lantern n’est pas qu’un gadget lumineux mais une réflexion sur le pouvoir, le contrôle et la responsabilité. Et dans cette guerre, les Gardiens de Oa finissent par franchir la ligne rouge en autorisant le recours à la force létale. Un détail moral d’importance, qui fissure à jamais la façade idéaliste du Corps. Bien sûr, tout n’est pas parfait. Certaines séquences publiées dans la série Green Lantern Corps sont plus inégales, parfois expédiées, parfois confuses. Mais l’ensemble tient remarquablement debout, d’une cohérence rare pour une histoire éclatée entre plusieurs titres. Même Superman, quand il apparaît dans la bataille finale, se tait : ce n’est pas son histoire. C’est celle d’une confrérie d’hommes et de femmes (ou de créatures vaguement humanoïdes) consumés par la peur, la culpabilité, la volonté. Le sommet tragique, peut-être, d’un âge héroïque où les couleurs ont cessé d’être symboles pour devenir des armes. Les lecteurs français, moins familiers du pan galactique de DC que de celui de Marvel, n'ont pas forcément pris la mesure de cette odyssée. Publiée d’abord dans DC Universe en 2009, puis reprise par Urban Comics, La Guerre de Sinestro demeure pourtant un monument, à la fois spectaculaire et fondateur. C’est ici que s’esquisse le spectre émotionnel complet qui conduira à Blackest Night. Et c’est ici que le vert, couleur de la volonté, apprend (dans la douleur) qu’il n’est pas seul dans la palette de l’univers, et que la lumière la plus pure ne brille jamais sans sa part d’ombre. Un récit à la fois baroque et grandiose, traversé d’éclairs de génie visuel, où chaque page repousse les frontières du cosmos et de l'imaginable. Indispensable album de la collection DC Paperback, on vous aura averti. 



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LA GUERRE DE L'INFINI : VOICI VENIR L'OMNIBUS THE INFINITY WAR


 Adam Warlock est certes parvenu à vaincre Thanos à la fin d’Infinity Gauntlet, mais cette victoire n’est pas restée sans conséquences. Il a dû, entre autres, endosser brièvement le manteau de la toute-puissance. Vous le savez, on ne sort pas indemne d’une telle expérience. Pour mener à bien sa mission, Adam avait tenté d’expulser de sa psyché le bien et le mal, mais ces deux aspects de son être allaient bientôt lui causer bien des tourments. À commencer par sa part sombre, incarnée par le Magus, l’un des personnages les plus marquants des grandes sagas cosmiques des années soixante-dix, le genre de lecture que tous les amateurs de bd américaine vintage se doivent d'avoir fait dans leur existence. Le Magus est mégalomane, impitoyable, arrogant et agressif. Lui aussi ambitionne de s’emparer de la création. Or, il ne peut plus compter sur les Gemmes de l’Infini, dont l’harmonie a été rendue caduque par une décision du Tribunal Vivant à la fin du "Défi de Thanos". Sa puissance découle donc d’une autre source : plusieurs Cubes cosmiques retrouvés à travers le cosmos et les dimensions, qui lui permettent notamment de lever une armée de doppelgängers, c'est-à-dire des doubles démoniaques des héros Marvel. Ces versions monstrueuses et corrompues de Spider-Man, des X-Men ou d’Iron Man cherchent à éliminer leurs originaux pour prendre leur place et ainsi faciliter le masterplan du Magus. Mémorable, la grande scène des retrouvailles entre super-héros au sommet du Four Freedoms Plaza, lorsque la vérité éclate littéralement aux yeux de tous. Nos héros vont devoir unir leurs forces pour contrecarrer les machinations de ce nouvel ennemi majeur. Et, parmi les alliés du bien, figure (fait rarissime) Thanos, le grand repenti de la précédente saga de Starlin.



Thanos reste une figure profondément ambigüe, et Starlin profitait de cette mini série pour en revisiter les contradictions, les tiraillements et les paradoxes moraux. Personnage culte pour nombre de lecteurs (est-ce bien raisonnable, nourrir une passion pour un adepte du génocide cosmique ?), le Titan fou assume ici un rôle inédit de leader, tout en conservant une part d’ombre suffisamment présente pour que nul ne lui fasse réellement confiance — à raison. Jim Starlin s’en donne à cœur joie : il orchestre l’ensemble de l’univers Marvel, multiplie les affrontements homériques entre forces du bien et du mal, et bouleverse sans cesse les équilibres en place. Jusqu’à, bien sûr, réactiver temporairement les Gemmes de l’Infini, sources à la fois d’innombrables désastres… et de jubilation infinie pour tout amateur de comicsAux dessins, Ron Lim finit par contre par devenir lassant. Lui qui avait fourni de bien belles planches sur Silver Surfer, et en relevant Georges Perez sur la saga précédente, semble là moins concerné, et a tendance à bâcler son travail, en négligeant les fonds de case, et en esquissant à peine certains visages qui deviennent inexpressifs, lors des réunions de groupe. On lui a demandé de travailler vite et bien pour fournir à temps six volets de quarante pages chacun, et il fait ce qu'il peut, c'est à dire qu'il se débrouille, mal secondé par l'encreur Al Milgrom, qui n'arrange rien. Comparé à Infinity Gauntlet, Infinity War est moins épique, moins dramatique, mais garde cette saveur des souvenirs propres au début des nineties, et met en scène une incroyable variété de personnages, en proie à une situation dramatique, voire psychédélique. Et puis l'omnibus, c'est un bon moyen de tout récupérer, épisodes annexes (les tie-in) avec des séries de qualité comme Warlock & the Infinity Watch, d'autres importants et chargés en nostalgie comme ceux des Fantastic Four, ou encore du Quasar ou du Sleepwalker vintage, personnages depuis voués aux oubliettes, ou presque. Bon, pour nous les anciens, ça restera à jamais la Guerre du Pouvoir, mais de l'infini, c'est pas mal aussi.


Lire aussi : Le gant de l'infini, omnibus

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LE PODCAST LE BULLEUR PRÉSENTE : MOONLIGHT EXPRESS


 Dans le 208e épisode de son podcast, Le bulleur vous présente Moonlight express, album que l’on doit au scénario de Thierry Smolderen ainsi qu’au dessin d’Alexandre Clérisse, un ouvrage édité au Seuil. Cette semaine aussi, le podcast revient sur l’actualité de la bande dessinée et des sorties avec :


- La sortie de l’album Café de la gare que l’on doit au scénario commun de Paul Vermersch et Inès Pollosson, cette dernière signant aussi le dessin, les dialogues sont de Thibault Vermot et le tout est publié aux éditions Sarbacane


- La sortie de l’album Rockabilly que l’on doit au scénario de Rodolphe, au dessin de Christophe Dubois et c’est publié aux éditions Daniel Maghen


- La sortie de l’album Punk à sein que l’on doit à Magali Le Huche et qui est paru chez Dargaud sous le label Chari Vari


- La sortie de l’album Bordeaux Shanghai du duo Mark Eacersall au scénario, Amélie Causse au dessin et c’est publié aux éditions Grand angle


- La sortie de l’album Une bouteille à la mer, titre co-signé Isabelle Autissier et Zelba, qui en signe les dessins, un album co-édité chez Futuropolis en même temps que chez Stock


- La réédition en intégrale de Malgré nous, titre que l’on doit au scénario de Thierry Gloris, au dessin de Marie Terray et c’est publié chez Quadrants, des éditions Soleil.



 
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THE CROW PAR JAMES O'BARR : ÉDITION DÉFINITIVE CHEZ DELCOURT


 Perdre quelqu’un, vraiment le perdre (pas un collègue sympa, un cousin éloigné, ou le hamster dans sa cage, mais l’amour absolu, celui qui tenait lieu d'ancrage et de raison de vivre), c’est une expérience qui broie. James O’Barr, lui, a trouvé une façon de ne pas être broyé : il a pris cette douleur, l’a trempée dans l’encre noire de sa colère, et en a fait The Crow. Peu d’œuvres au format comic book ont su, comme celle-là, transformer le deuil en rituel de purification. Un rituel sanglant, poétique et sans la moindre concession au confort du lecteur, quitte à perdre pas mal de monde en route. L’histoire, pour ceux qui n’ont pas vu le film d’Alex Proyas (à son tour marqué par une tragédie absurde, la mort de l'acteur Brandon Lee, le fils de Bruce), tient du cauchemar gothique : à Detroit, un jeune couple sur le point de se marier est agressé par une bande de voyous. Elle est violée, ils sont tous deux assassinés. Un an plus tard, le fiancé, Eric, revient d’entre les morts, escorté d’un corbeau, pour se venger. Rien d’original, direz-vous. Sauf que chaque planche, chaque phrase, respire la perte réelle de son auteur. O’Barr, à l’époque, pleurait encore sa fiancée tuée par un conducteur ivre. Un sentiment de culpabilité le dévore de l'intérieur (il venait de lui demander de venir le chercher en voiture) et The Crow devient alors une histoire et un traitement nécessaire. Du côté du cadre, la ville de Detroit dans The Crow n’en pas une : c’est une plaie ouverte. O’Barr la dessine comme un enfer industriel, où les anges brûlent à la lumière des néons. Les silhouettes se tordent, les visages s’effacent sous les hachures. L’art est d’une brutalité fascinante, un mélange de Bosch et de punk underground. En tendant l'oreille, on pourrait y percevoir des cris, des grincements, Joy Division ou The Cure, période Pornogaphy. Eric, quant à lui, a le corps souple d’un danseur et les traits presque féminins, comme s’il incarnait à lui seul la fusion impossible des amants.



Ce qui frappe en relisant The Crow par O'Barr (que Delcourt repropose dans sa version définitive), c’est à quel point cette œuvre annonçait certains éléments de Sandman. Difficile de ne pas penser à Neil Gaiman lorsque réalité et cauchemar se confondent, sans qu'on comprenne d'ailleurs très bien où se situe la limite entre les deux. Même la figure de la Mort, lorsqu’elle vient chercher Eric, semble préfigurer la jeune fille gothique au regard tendre qui hantera les pages de Vertigo quelques années plus tard. O’Barr, sans le savoir, venait d’ouvrir la porte d’un imaginaire où le deuil, la beauté et la mort se répondent avec élégance. Graphiquement, The Crow n’est pas une œuvre parfaite, il faut l'avouer. Les visages changent d’une page à l’autre, les ombres semblent avaler les formes, le style hésite entre réalisme fiévreux et symbolisme rageur. Mais cette maladresse fait partie de sa force. O’Barr ne cherchait pas à faire de l'art léché, il cherchait à survivre. Le noir et blanc tranché, les encres lourdes, le trait parfois hésitant, tout cela traduit la violence du geste. On sent qu’il ne s’agit pas d’un projet éditorial, mais d’un exorcisme. De la part d'un artiste qui a redessiné par la suite des pages et admis qu'à l'époque du premier jet, il n'avait pas encore les bases nécessaires pour tout représenter selon ses idées. L’édition intégrale, parue bien plus tard, permet de mesurer l’ampleur de son travail. Entre deux massacres méthodiques, O’Barr ménage des moments suspendus, d’une douceur presque insoutenable : des souvenirs avec Shelley, des fragments de lumière, quelques vers (Baudelaire, un autre comique troupier) griffonnés dans le silence. Ces séquences, baignées de blanc, rappellent que la vengeance n’est pas un plaisir pervers, seulement une façon de tenir encore debout. Frank Castle n'en dirait pas moins. C’est beau, désespéré, parfois maladroit, mais authentique. Clairement, ce n'est pas pour tout le monde, mais c'est à (re)découvrir. 



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MALICIA TERRE SAUVAGE : RETOUR EN 1990 AVEC MAGNETO ET DES DINOSAURES


 Ces dernières années ont vu fleurir chez Marvel une mode nostalgique : celle des récits censés s’intercaler et compléter des moments d'histoire connus de tous, confiés de préférence à des vétérans prestigieux. Bon, dans les faits, le résultat frôle souvent la curiosité malsaine. Parfois c'est sympa, sans plus (revoir du Ron Lim sur le Silver Surfer ou Warlock), d'autre fois un peu brouillon (Daredevil et son costume sombre) ou carrément inutile (Wolverine en pleine période Patch). Panini ne s'y est pas trompé, l'éditeur ayant annoncé sa volonté de faire l'impasse sur les titres à venir. Enfin, pas toujours et complétement, et c'est tant mieux pour nous. Je vous explique. Ouvrons donc le dossier Rogue : The Savage Land. Tim Seeley au scénario, accompagné de Zulema Scotto Lavina et Von Randal (pour un épisode clairement en dessous du travail de la jeune italienne) aux dessins, n’appartiennent pas à la génération de Chris Claremont. C'est bien, ça évitera de se laisser dévorer par le stress ou le respect servile. Plutôt que de rejouer la partition en mode caricature besogneuse, les jeunes loups choisissent de s’immerger en Terre Sauvage avec l’enthousiasme appliqué d’un fan qui a révisé ses fiches. Résultat : une mini-série qui s’insère avec une précision chirurgicale entre les numéros 269 et 274 d’Uncanny X-Men, période culte (1990) où Chris Claremont multipliait les intrigues et présidait au destin des mutants en expert mondialement reconnu. Seeley relève le défi, il n'a peur de rien. Et sur le plan graphique, la mini série tient la route et s'avère même joliment troussée. Zulema Scotto Lavina n’essaie pas de copier Jim Lee (un suicide), mais son trait énergique, appuyé par la mise en couleurs chatoyante de Rachelle Rosenberg, réussit à nous rafraîchir la mémoire et réalise un sans faute. Le tout respire la jungle luxuriante et le danger sexy : verts saturés, ciels pourpres, bleus nocturnes et jolies créatures en maillots de bain ou peaux de bête. De quoi en réjouir beaucoup.


Malicia est au centre du récit. Encore naïve et maladroite (nous sommes loin de la guerrière aguerrie qu’elle deviendra plus tard et que nous connaissons aujourd'hui) elle n’en est pas moins déterminée, courageuse et débrouillarde, au point de sauver Ka-Zar sans recourir à ses pouvoirs. Elle vient de passer à travers le Seuil du Péril et ne possède plus ses pouvoirs. De quoi l'aider à se reconstruire, séparée de la personnalité de Carol Danvers dont elle avait siphonné les dons et les souvenirs. Ses interactions avec Magneto sont finement écrites : le maître du magnétisme, dont le passé est sacrément à charge, lui parle de guerre avec une gravité teintée de douceur. Leur relation oscille entre méfiance et respect, donne au récit une densité émotionnelle inattendue. N'oublions pas que les deux antagonistes finissent par se rapprocher et que ça reste pas qu'au stade platonique. Ajoutez à cela des dinosaures, des tribus en conflit, des complots magiques menés par Zaladane, des hologrammes et des explosions, et vous obtenez une sorte de cocktail improbable mais assez goûtu, qui respecte bien ce que nous avons déjà lu durant nos chères années Special Strange, tout en ne tombant pas dans le redite stérile. Cette virée en Terre Sauvage accomplit ce que la plupart des récits qui creusent dans la continuité échouent à réaliser : recréer l’esprit d’une époque sans se contenter de la singer. On perçoit de la passion et une vraie intelligence narrative. Certes, l'histoire ne bouleverse en rien l'équilibre du Marvel Universe et n'ouvre aucune nouvelle porte, mais bon sang, un peu de nostalgie avec de beaux dessins, parfois, on prend !




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JUDGE DREDD : LES AFFAIRES CLASSÉES ET UN DIXIÈME TOME CHEZ DELIRIUM

 Le plaisir est rare, mais quand un nouveau volume de Judge Dredd débarque en librairie, inutile de jouer les blasés : on pose tout et on s’...