Certes, nous savons déjà que Michelangelo finira par triompher des pires épreuves qui se dressent devant lui, y compris une série de combats à mort dans des arènes de fortune, face à des adversaires tout aussi innocents que lui, pour la plupart. Pour autant, cette sorte de croisade/road trip à la recherche d'un individu ou d'une organisation au nom sinistre de Ver de la mort s'avère d'une violence et d'une introspection fort pertinentes, qui surprendraient notablement le lecteur peu habitué à ce qu'est en réalité l'univers des Tortues Ninja et qui en serait resté au vieux dessin animé naïf d'autrefois. L'histoire se déroule en deux temps, puisque d'un côté nous avons le passé (c'est-à-dire le voyage tragique de Michelangelo, qui est en fait un futur hypothétique par rapport à notre temps présent, je ne sais pas si vous me suivez) mais aussi le présent, qui concerne avant tout une April O'Neil désormais âgée et qui est devenue la grand-mère tutrice d'une nouvelle génération de tortues : quatre petites créatures qui apprennent à se battre et probablement promises à un grand destin. Contrairement à celles que nous connaissons déjà, elles ne sont pas juste distinguées par un bandeau de couleur mais semblent représenter différentes formes, voire différents types de tortues. Elles sont aussi différenciées par un caractère ou des aptitudes différentes, mais possèdent un patronyme commun, décidé sur la base de la traduction du chiffre "un" en plusieurs langues. Pour ce qui concerne la partie graphique, deux artistes sont au travail (SL Gallant et Maria Keane au dessin et à l’encrage pour le passé, ainsi que Ben Bishop pour le présent) et nous trouvons parfois quelques planches de Kevin Eastman lui-même. Comme dit au début de cette petite chronique, Lost Years n'a quasiment aucune chance de séduire un lecteur qui a décidé d'entrer parce qu'il a vu de la lumière. Pour ce qui est de celui qui par contre nourrit une réelle affection pour les Tortues Ninja, il est inutile de dire que c'est une sortie qui ne se refuse pas !
THE LAST RONIN : LOST YEARS CHEZ HICOMICS
IMMORTAL SERGEANT : ROAD TRIP PÈRE FILS CHEZ HI COMICS
On peut en rire (et on le fait vraiment) mais être un père, ce n'est pas une sinécure. Ni communiquer, quand on n'a jamais appris ou eu les codes pour le faire. L'autre, si semblable et pourtant si différent, c'est ce que dévoile au fil de la route ce comic book. Tout ne peut pas être excusé ou racheté en une phrase ou une simple demande, mais tout peut être compris, n'advient pas par hasard. On creuse dans ce qui a pu amener la situation présente, la nature du rapport dysfonctionnel, les zones d'ombre et les contradictions d'un homme, d'un flic qui semble raciste dans sa façon d'être mais qui s'acharne à coffrer le meurtrier d'une fillette afro-américaine 35 ans après le drame et qui déteste voir chez les autres ce qui se niche au fond de lui. Joe Kelly n'oublie pas non plus de réserver de beaux instants aux personnages féminins que sont Val et Rhonda, respectivement la femme de Michael et l'ex de son père. Qui développe l'idée qu'agir ou ne pas agir, cela revient de toute manière à faire potentiellement du mal ou du tort. On ne vit qu'une fois, on ne peut pas savoir ou recommencer. L'improvisation qu'est l'existence, c'est l'assurance de se tromper. Du reste, la dernière partie d'Immortal Sergeant est très forte en ce sens et sait conclure avec brio ces réflexions intimistes truffées de rires endiablés. C'est le dessin qui peut éventuellement rebuter certains d'entre vous. Ici, nous allons droit à l'essentiel, les personnages sont des caricatures ébauchées, avec l'influence très prégnante du manga, un genre dans lequel Niimura a régulièrement brillé et qui exploite ce noir et blanc essentiel qui accompagne les neuf épisodes. Les touches de gris servent elles à isoler des éléments, à leur faire prendre une importance particulière, ou à creuser le passé et les relations entre père et fils, avec une mise en abime des dégâts qu'une éducation à l'ancienne et certains des travers de la masculinité exacerbée peuvent provoquer dans une famille. Les bonus sont non seulement fournis mais réellement pertinents, permettent de comprendre la génèse de l'ouvrage, la manière de travailler, comment certaines planches ont été bâties ou exclues. Cet Immortal Sergeant ne ressemble pas au comic book le mieux apprêté ou le plus séduisant du monde, quand on le prend en main, mais il a le mérite de vous happer au fil des épisodes, en révélant des richesses insoupçonnées au premier abord, avec toujours quelque chose d'autre derrière le rire, une fragilité apparente qui rend le duo et sa relation touchante et sincère.
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LES TORTUES NINJA - TMNT RENAISSANCE AVEC SOPHIE CAMPBELL
On ne va pas y aller par quatre chemins et on va tout de suite lâcher l'avis définitif : nous sommes face à une excellente histoire et indiscutablement, les Tortues Ninja restent au sommet de la vague et s'imposent comme un des titres indispensables de ces dernières années. Il faut dire qu'avec Sophie Campbell, les héros ont l'air d'être entre de bonnes mains, aussi bien pour ce qui est du scénario (elle parvient notamment à représenter le traumatisme et le sentiment de manque vécus par chaque tortue avec une grande justesse) mais aussi du côté des dessins, qui sont vraiment attachants, truffés de détails, avec des vignettes souvent chargées mais qui reste lisibles, très généreuses. Campbell n'oublie pas d'élargir au possible l'univers des TMNT, que ce soit avec Alopex et son refuge pour mutanimaux, Jenny qui s'impose de plus en plus comme "un collant" entre les autres tortues, ou les jeunes poussent qui vont être invitées à faire leur premières armes et apprendre l'art du ninja, dans le dojo improvisé de leurs aînés. C'est désormais un univers complexe et vraiment séduisant qui est proposé au lecteur. Fatalement, puisque cet album s'appelle Renaissance, la séparation - voire même la dépression traversée par les Tortues Ninja - est destinée à déboucher sur un nouveau départ, une nouvelle cohésion, basée sur la mémoire de celui qui n'est plus là. Et nous vous laissons la surprise et le plaisir de voir comment les personnages vont évoluer, sachant que très vite, un premier rebondissement d'importance va se dresser sur leur route. Si jusqu'ici vous suiviez les aventures de Raphaël et compagnie, vous le savez. Si vous en avez juste entendu parler, sachez qu'il ne s'agit pas d'un mensonge mais d'une vérité établie : cette série fait partie de ce que vous devez placer dans votre comicsothèque, point à la ligne !
TMNT : LES TORTUES NINJA L'INTEGRALE TOME 1 CHEZ HI COMICS
BLUE IN GREEN : LA SUBLIME ENVOLÉE DE RAM V CHEZ HI COMICS
La grande qualité de Blue in green, c'est la manière dont se répondent ou se confondent les différentes strates qui peuvent participer à la création d'un comic book. Difficile de dire si ce sont les mots, la prose de Ram V qui ont inspiré les dessins de Anand RK, si c'est ce dernier qui a distillé sa magie au fil des pages et sublimé le travail du lettreur Aditya Bidikar, ou si tout ceci a fortement influencé le scénariste pour écrire une œuvre singulière et magnifique. Toujours est-il qu'on reste bouche bée devant de très nombreuses planches, qui ont très souvent cet aspect peint que nous connaissons chez David Mack par exemple et qui jouent habilement des frontières poreuses qui existent entre l'onirisme et la réalité, entre le quotidien prosaïque d'un homme à la recherche de ses racines et la métaphysique, voire l'épouvante, ce qui se cache dans son esprit et qui n'a jamais été abordé frontalement jusque-là. D'ailleurs, il est même possible d'oublier carrément le sujet principal de Blue in green. Erik rencontre-t-il véritablement le surnaturel ou est-il victime de visions ? L'histoire d'amour (re)naissante puis immédiatement avortée avec Vera, une ancienne petite amie, va-t-elle être importante ou ne sera-ce qu'une station sur un chemin de croix perturbant ? Est-ce une réflexion sur la nécessité de brûler la chandelle par les deux bouts, consumé par le désir de l'art, ou au contraire une mise en garde sur ce qui attend celui qui se laissera séduire et inconsidérément tourmenté par ses muses ? Lisons-nous un drame familiale et intime ou une plongée glaçante et lente dans l'horreur ?Rarement nous refermons un album en considérant qu'il existe autant de réponses que de lecteurs, et même - et c'est cela qui est extraordinaire - l'interrogation n'a peut-être aucun sens ! Ce qui compte, c'est un peu la même chose que ce qui peut importer dans de nombreux disques de jazz, c'est le sentiment qui se dégage, l'émotion qui peut prendre aux tripes… si ce n'est qu'ici on ne fermera jamais les yeux pour se laisser transporter, mais au contraire, on les gardera grand ouverts jusqu'à la dernière planche et son insondable tristesse. Bref, vous pouvez très bien faire l'impasse sur ce titre, si vous ne lisez uniquement que du super-héros en costume bariolé. Inversement, si vous prétendez avoir entre les mains quelque chose d'aussi insaisissable que bouleversant, je vous recommande fortement d'investir dans ce qui sera (on peut déjà le dire, même si nous sommes en janvier) une des sorties marquantes de l'année 2023 sur le marché français. On n'obtient pas un Eisner Award par hasard, après tout. Au passage, n'hésitez pas à caresser la très belle couverture que vous a réservé Hi Comics, avec son effet "vinyle/micro sillons" des plus réussis. C'est de l'art jusqu'au bout du bout des doigts, que demander de plus ?
(sortie mercredi 18 janvier)
TEENAGE MUTANT NINJA TURTLES : THE LAST RONIN CHEZ HI COMICS
BLEED THEM DRY : NINJA/VAMPIRE ACTION CHEZ HI COMICS!
Si le premier numéro de cette série est avant tout consacré à l'exposition des faits, et peut même sembler confus dans sa partie initiale, tout devient ensuite clair et très rythmé, car Eliot Rahal parvient à donner corps et épaisseur psychologique à ses personnages principaux, sans même sembler faire beaucoup d'efforts pour y parvenir. Le plaisir de tomber parfois sur une lecture qui parait de prime abord trop riche en informations, mais devient rapidement une évidence! Le second numéro est celui des révélations. Les premières pistes sont contredites, ou tout du moins approfondies et explicitées. Avec l'origine des vampires, comment les immortels ont pu prendre place parmi les hommes, la réaction de ces derniers, et l'explication de la présence des ninjas dans le récit, tout en suivant l'évolution forcée d'Harper, qui va devoir reformater de fond en comble sa place et son identité (je vous laisse le soin de découvrir pourquoi et comment, c'est vraiment un des enjeux majeurs de Bleed them dry). Autre excellente pioche, le dessinateur Dike Ruan. Tout le monde ne le connaît pas encore (on l'a vu chez Marvel, avec Spider-Verse ou Shang-Chi), même si ceux qui suivent notre page Facebook, où on vous propose les plus belles œuvres (covers, commissions...) des artistes du monde entier, ont déjà croisé ce dessinateur chinois adopté par l'Italie, au style nerveux, ultra efficace, qui excelle dans les corps à corps, l'occupation de l'espace, faire vivre une planche sans la surcharger, sans effets spéciaux, rien qu'en y insufflant force vitale et dynamisme, l'ensemble très bien appuyé ici par les couleurs de Miquel Muerto. L'occasion de rappeler deux vérités éditoriales. Aux States il y a une vie en dehors du grand duopole Marvel/Dc, voire Image. Vault Comics est la maison naturelle de Bleed them dry, par exemple. En France aussi, nous avons de splendides étiquettes et des éditeurs passionnés, qui osent sortir des sentiers battus. Hi Comics se constitue un catalogue "indie" qui force le respect. La balle est dans votre camp.
WE ONLY FIND THEM WHEN THEY'RE DEAD : LE SPACE OPERA DE L'ÉTÉ CHEZ HI COMICS
Ses planches sont de toute beauté et nous emmènent dans le froid clinique de l'espace, avec une utilisation splendide du digital et une colorisation particulièrement inspirée, qui joue des contrastes en les poussant à leur paroxysme, et "mange" littéralement toute possibilité de laisser la moindre zone blanche, en remplissant le vide par l'espace et ce qui s'y déroule. Parfois la page se libère des contingences du récit classique pour démultiplier les petites vignettes ou les petites scènes, prenant ainsi le risque d'étourdir le lecteur, mais cette attention aux détails, cette minutie qui souligne des faits en particulier, sont couplées a des doubles pages ou des splash pages à très fort impact. Les combats sont épiques, au point de figurer parmi les représentations les plus saisissantes du genre depuis bien longtemps. Le layout est inventif, cherche en permanence à jouer avec l'équilibre et les contingences classiques du média, et l'histoire oscille entre plongées dans l'immensité sidérale, parsemée de ces cadavres fantasmagoriques qui ne sont pas sans rappeler les Célestes de l'univers Marvel, colosses inanimés et dépecés, et percées claustrophobiques à l'intérieur des vaisseaux spatiaux, où c'est une orgie de néons, de lasers, qui nous assaille. Di Meo ne triche jamais, et là où beaucoup d'autres semblent rechercher le moyen de travailler en digital tout en conservant une "âme" traditionnelle, ici tout est adouci, définitivement assumé, patiné, et merveilleusement soigné. S'il faut trouver un petit point faible dans ce WOFTWTD (plus simple que le titre original à rallonge) on ira titiller Al Ewing qui après les deux premiers épisodes totalement dingues et porteurs de grandes promesses, commence à livrer un récit plus classique, où les interactions entre les personnages, avec des sauts récurrents entre passé et présent, éclipsent un peu les grands enjeux du départ. Heureusement quand on insiste on se rend compte que cette introspection est essentielle pour maintenir une attache humaine à cette histoire, qui autrement prendrait le risque de se désincarner. D'ailleurs on referme le premier tome avec le grand événement que nous attendions (ça semble assez évident) et sans avoir la moindre idée ou la moindre réponse sur le pourquoi ces dieux colossaux n'apparaissent qu'à leur mort. Et ce n'est pas un reproche, juste l'assurance qu'il nous faut la suite, et vite! Une fresque humaniste et politique, sociale et dramatique, que cette nouvelle série publiée chez Boom! et qui s'ajoute au catalogue décidemment alléchant de Hi Comics. Succès attendu et garanti.
Pour acheter cet ouvrage si vous n'avez pas un comic shop ou une librairie indépendante près de chez vous :
SHANGAI RED : VENGEANCE RADICALE ET HALETANTE CHEZ HI COMICS
INVISIBLE KINGDOM : TOME 1 LE SENTIER CHEZ HI COMICS
LOCKE AND KEY : EPOUVANTE ET MYSTERES AVEC JOE HILL ET GABRIEL RODRIGUEZ
PEACEMAKER TRIES HARD : BOUFFONNERIE, SATIRE ET SOLITUDE
Le super-héros ringard et super violent Christopher Smith (alias Peacemaker) sauve un chien errant après avoir neutralisé un groupe de terro...

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Comme chaque samedi désormais, nous vous proposons de plonger dans l'univers de la bande dessinée au sens le plus large du terme,...
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UNIVERSCOMICS LE MAG' 46 Octobre 2024 / 60 pages / gratuit Disponible ici (lecture + téléchargement) : https://madmagz.app/fr/viewer/...
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UniversComics Le Mag' 45 Septembre 2024 84 pages Dispo ici : https://www.facebook.com/groups/universcomicslemag/permalink/1049493353253...