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THE LAST RONIN : LOST YEARS CHEZ HICOMICS


 Vous avez peut-être eu l'occasion de lire The Last Ronin, qui fut un des succès récents chez Hi Comics et un des albums indispensables, lorsqu'on est fan des Tortues Ninja (notre article ici). Bien évidemment, si cet univers ne rencontre pas votre intérêt, tout ce qui va suivre n'a guère de sens. The Last Ronin, c'était surtout le dernier combat de Michelangelo, seul rescapé de la célèbre bande de mutants chère à Maître Splinter, protagoniste de la résolution définitive de la rivalité ancestrale entre les clans Foot et Hamato. Reste néanmoins à répondre à la question suivante : quelles sont les aventures vécues par Michelangelo entre le moment où il s'est retrouvé orphelin de ses trois frères et celui où il va vivre les événements dépeints dans The Last Ronin ? Autrement dit mettre au point ce qu'on appelle une préquelle, pour un récit qui est en soi une suite possible de tout ce que nous avons déjà lu jusque-là, une sorte de fin pour les Tortues Ninja, dans un futur hypothétique. Kevin Eastman et Tom Waltz nous proposent donc une sorte de voyage à travers l'Asie et l'Europe pour un personnage qui va passer du Japon à la Corée en passant par la Chine, la Mongolie, le Kazakhstan et même l'Italie… à chaque fois, Michelangelo va se heurter au rejet, à la méfiance suscitée par sa condition si particulière, qui fait de lui un monstre aux yeux de bien du monde. Mais il va aussi faire des rencontres décisives, comme par exemple le maître Yip, qui va lui transmettre un enseignement précieux pour la suite de sa mission, ou bien un campement nomade en Mongolie, où il va momentanément trouver repos, affection, presque une seconde famille, à un moment où il en a particulièrement besoin puisqu'il perd un temps l'usage de ses yeux.



Certes, nous savons déjà que Michelangelo finira par triompher des pires épreuves qui se dressent devant lui, y compris une série de combats à mort dans des arènes de fortune, face à des adversaires tout aussi innocents que lui, pour la plupart. Pour autant, cette sorte de croisade/road trip à la recherche d'un individu ou d'une organisation au nom sinistre de Ver de la mort s'avère d'une violence et d'une introspection fort pertinentes, qui surprendraient notablement le lecteur peu habitué à ce qu'est en réalité l'univers des Tortues Ninja et qui en serait resté au vieux dessin animé naïf d'autrefois. L'histoire se déroule en deux temps, puisque d'un côté nous avons le passé (c'est-à-dire le voyage tragique de Michelangelo, qui est en fait un futur hypothétique par rapport à notre temps présent, je ne sais pas si vous me suivez) mais aussi le présent, qui concerne avant tout une April O'Neil désormais âgée et qui est devenue la grand-mère tutrice d'une nouvelle génération de tortues : quatre petites créatures qui apprennent à se battre et probablement promises à un grand destin. Contrairement à celles que nous connaissons déjà, elles ne sont pas juste distinguées par un bandeau de couleur mais semblent représenter différentes formes, voire différents types de tortues. Elles sont aussi différenciées par un caractère ou des aptitudes différentes, mais possèdent un patronyme commun, décidé sur la base de la traduction du chiffre "un" en plusieurs langues. Pour ce qui concerne la partie graphique, deux artistes sont au travail (SL Gallant et Maria Keane au dessin et à l’encrage pour le passé, ainsi que Ben Bishop pour le présent) et nous trouvons parfois quelques planches de Kevin Eastman lui-même. Comme dit au début de cette petite chronique, Lost Years n'a quasiment aucune chance de séduire un lecteur qui a décidé d'entrer parce qu'il a vu de la lumière. Pour ce qui est de celui qui par contre nourrit une réelle affection pour les Tortues Ninja, il est inutile de dire que c'est une sortie qui ne se refuse pas !


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IMMORTAL SERGEANT : ROAD TRIP PÈRE FILS CHEZ HI COMICS


 L'officier James P. Sargent (Sarge) est sur le point de partir en retraite. Un sort enviable (plus les années passent, plus cela ressemble à un privilège) qui n'est pas de son goût. En gros, c'est pire que la mort, à ses yeux ! C'est un homme d'un autre temps, cette époque où on pouvait se permettre des remarques et des comportements sexistes, bourrins, homophobes et racistes, lever le coude, sans que cela dénote vraiment. Sa femme a refait sa vie avec une nouvelle compagne (!) tandis que son fils (Michael) vit à quelques états de distance. Hors, il se trouve que l'anniversaire de ce dernier coïncide avec la date fatidique du départ à la retraite. Du coup, on embarque à bord de la voiture du paternel, pour un road trip qui ne ressemble à rien d'autre et fait tout le sel d'un album à classer au rayon des bonnes surprises de la fin d'année 2023. Joe Kelly et Ken Niimura se connaissent bien et n'en sont pas à leur coup d'essai, puisqu'au début de ce siècle, I Kill Giants fut une réussite incontestable. Ils tentent ici d'ausculter la société occidentale "moderne" et la manière dont elle a évolué (ainsi que le concept de cellule familiale) ces dernières années. Tout oppose le père et le fils. Aussi bien le caractère, la manière d'organiser sa vie (le fiston bosse dans les jeux vidéos, a des enfant dont il s'occupe vraiment, la violence et le sang ne sont pas sa tasse de thé, il est rongé par le stress et le doute); la seule chose sur laquelle ils tombent d'accord, c'est qu'il vaut mieux passer le moins de temps possible ensemble. Pas de chance, il reste une enquête non résolue qui revient comme un boomerang à notre "sergent", au point qu'il se met en tête d'y apposer un point final, en sollicitant l'aide de Michael, qui ne se voyait pas refuser… La recette, vous la connaissez : deux individus que tout semble opposer, de l'humour inévitable et souvent bien barré, pour une collaboration improbable mais qui porte ses fruits. 



On peut en rire (et on le fait vraiment) mais être un père, ce n'est pas une sinécure. Ni communiquer, quand on n'a jamais appris ou eu les codes pour le faire. L'autre, si semblable et pourtant si différent, c'est ce que dévoile au fil de la route ce comic book. Tout ne peut pas être excusé ou racheté en une phrase ou une simple demande, mais tout peut être compris, n'advient pas par hasard. On creuse dans ce qui a pu amener la situation présente, la nature du rapport dysfonctionnel, les zones d'ombre et les contradictions d'un homme, d'un flic qui semble raciste dans sa façon d'être mais qui s'acharne à coffrer le meurtrier d'une fillette afro-américaine 35 ans après le drame et qui déteste voir chez les autres ce qui se niche au fond de lui. Joe Kelly n'oublie pas non plus de réserver de beaux instants aux personnages féminins que sont Val et Rhonda, respectivement la femme de Michael et l'ex de son père. Qui développe l'idée qu'agir ou ne pas agir, cela revient de toute manière à faire potentiellement du mal ou du tort. On ne vit qu'une fois, on ne peut pas savoir ou recommencer. L'improvisation qu'est l'existence, c'est l'assurance de se tromper. Du reste, la dernière partie d'Immortal Sergeant est très forte en ce sens et sait conclure avec brio ces réflexions intimistes truffées de rires endiablés. C'est le dessin qui peut éventuellement rebuter certains d'entre vous. Ici, nous allons droit à l'essentiel, les personnages sont des caricatures ébauchées, avec l'influence très prégnante du manga, un genre dans lequel Niimura a régulièrement brillé et qui exploite ce noir et blanc essentiel qui accompagne les neuf épisodes. Les touches de gris servent elles à isoler des éléments, à leur faire prendre une importance particulière, ou à creuser le passé et les relations entre père et fils, avec une mise en abime des dégâts qu'une éducation à l'ancienne et certains des travers de la masculinité exacerbée peuvent provoquer dans une famille. Les bonus sont non seulement fournis mais réellement pertinents, permettent de comprendre la génèse de l'ouvrage, la manière de travailler, comment certaines planches ont été bâties ou exclues. Cet Immortal Sergeant ne ressemble pas au comic book le mieux apprêté ou le plus séduisant du monde, quand on le prend en main, mais il a le mérite de vous happer au fil des épisodes, en révélant des richesses insoupçonnées au premier abord, avec toujours quelque chose d'autre derrière le rire, une fragilité apparente qui rend le duo et sa relation touchante et sincère. 



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LES TORTUES NINJA - TMNT RENAISSANCE AVEC SOPHIE CAMPBELL


 La situation et le contexte pourraient bien surprendre tous ceux qui pensent que les Tortues Ninja, c'est un univers de fiction régressif destiné à des enfants en mal de dessins animés. L'excellent run de Eastman et Waltz vient donc de se terminer et c'est au tour de Sophie Campbell de prendre la relève (scénario et dessins). Le premier tome des nouvelles aventures des Tortues est publié chez Hi Comics, avec le titre emblématique de Renaissance. Il règne pourtant d'emblée comme un parfum d'apocalypse. Bien des choses ont changé dans le quotidien de nos personnages, à commencer par un manque tragique : ils ont perdu leur mentor, leur père Splinter. Ensuite, une bombe génétique qui a explosé dans Manhattan a provoqué l'apparition de plusieurs milliers de mutants, c'est-à-dire de croisements entre l'homme et l'animal. Un événement totalement inattendu qui a rapidement entraîné une forme de ségrégation et bien des difficultés à vivre chez ceux qui ont subi cette mutation. De leur côté, les Tortues sont au plus mal et ont décidé volontairement (ou involontairement) de se séparer, de se recentrer. Comme cela est déjà arrivé dans le passé, Raphaël a choisi d'exprimer sa colère et sa frustration en solo. Les autres passent le plus clair de leur temps isolés, complètement KO après ce qui leur est arrivé. Leonardo joue au jardinier, Michelangelo passe son temps avec son chat et Donatello est désemparé. Le récit se concentre aussi sur Jenny, récemment transformée en tortue, qui décide de se rendre utile, notamment en s'impliquant dans la distribution de nourriture à ceux que l'on appelle les mutanimaux. Hob est également un des personnages importants de cette nouvelle histoire. Si d'un côté il tente d'organiser la sauvegarde et le quotidien des siens, en leur proposant nourriture et refuge, de l'autre il compte bien également vendre certains spécimens au clan Foot. Bref, ombre et lumière sur un protagoniste à part, qu'on peut aimer détester ou détester aimer.



On ne va pas y aller par quatre chemins et on va tout de suite lâcher l'avis définitif : nous sommes face à une excellente histoire et indiscutablement, les Tortues Ninja restent au sommet de la vague et s'imposent comme un des titres indispensables de ces dernières années. Il faut dire qu'avec Sophie Campbell, les héros ont l'air d'être entre de bonnes mains, aussi bien pour ce qui est du scénario (elle parvient notamment à représenter le traumatisme et le sentiment de manque vécus par chaque tortue avec une grande justesse) mais aussi du côté des dessins, qui sont vraiment attachants, truffés de détails, avec des vignettes souvent chargées mais qui reste lisibles, très généreuses. Campbell n'oublie pas d'élargir au possible l'univers des TMNT, que ce soit avec Alopex et son refuge pour mutanimaux, Jenny qui s'impose de plus en plus comme "un collant" entre les autres tortues, ou les jeunes poussent qui vont être invitées à faire leur premières armes et apprendre l'art du ninja, dans le dojo improvisé de leurs aînés. C'est désormais un univers complexe et vraiment séduisant qui est proposé au lecteur. Fatalement, puisque cet album s'appelle Renaissance, la séparation - voire même la dépression traversée par les Tortues Ninja - est destinée à déboucher sur un nouveau départ, une nouvelle cohésion, basée sur la mémoire de celui qui n'est plus là. Et nous vous laissons la surprise et le plaisir de voir comment les personnages vont évoluer, sachant que très vite, un premier rebondissement d'importance va se dresser sur leur route. Si jusqu'ici vous suiviez les aventures de Raphaël et compagnie, vous le savez. Si vous en avez juste entendu parler, sachez qu'il ne s'agit pas d'un mensonge mais d'une vérité établie : cette série fait partie de ce que vous devez placer dans votre comicsothèque, point à la ligne !



Lisez aussi : 


The Last Ronin chez Hi Comics

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TMNT : LES TORTUES NINJA L'INTEGRALE TOME 1 CHEZ HI COMICS


 Petit rappel de l'histoire éditoriale récente des Tortues Ninja en France : après que Soleil ait publié 4 premiers tomes de la série d'Eastman et Waltz, c'est Hi Comics qui a racheté les droits et ajouté les personnages à son catalogue. Au départ, le nouvel éditeur a simplement enchaîné à partir de l'équivalent du tome 5 et par la suite, il a republié ce qui l'avait déjà été (devenu entre temps le paradis de la spéculation) dans un gros volume de seize épisodes appelé "tome 0". Ce sont ces épisodes, ainsi que quelques inédits qui se concentrent en particulier sur un protagoniste à chaque fois, qui sont au menu du premier volume de l'Intégrale. Bonne nouvelle donc, on repart depuis les origines, ce qui permet cette fois à tout le monde de vraiment pouvoir comprendre tout ce qui se joue dans ce titre à succès. Faisons ainsi la connaissance de April O'Neil, qui est stagiaire chez Stockgen, et à qui on a fait croire qu'elle doit juste travailler sur des missions agroalimentaires de routine. Sauf qu'en réalité, le laboratoire où elle exerce est en train de mettre au point un sérum formidable et affiner quelques petites manipulations génétiques de premier ordre à des fins militaires. April travaille dans un contexte particulier puisqu'il y a des petites tortues au bureau, mais aussi souvent un rat qui vient se balader et qui va avoir un rôle fondamental dans ce qui va suivre. Vous avez compris, ce sont là tous ces personnages qui par la suite occuperont le devant de la scène en tant qu'animaux anthropomorphes combatifs et attachants. Un soir d'intrusion dans le laboratoire, des produits sont déversés : nos petites bébêtes se retrouvent en liberté, entrent en contact avec la substance toxique et vont se réveiller sous une forme inédite. Pas tous ensemble en fait, puisqu'il manque Raphaël. Les premiers mois, celui-ci est éloigné de ses compagnons (ce qui au passage permet de mieux comprendre qui est Old Hob, le Chat Borgne, qui subit un procédé semblable à celui des Tortues) qui vont le rechercher indéfectiblement pendant longtemps. Plus violent, moins tacticien et surtout privé de l'affection du père et mentor que représente Splinter pour les autres, Raphaël découvre toutefois le travail d'équipe et l'amitié avec Casey, un jeune homme qui est régulièrement battu par son père et qui se défoule le soir, en endossant un masque de hockey, pour aller tabasser des petites frappes dans la rue. Tout ceci est très important, car il est indéniable que la série TMNT repose en bonne partie sur le concept de franche camaraderie et de transmission filiale/familiale. Et si vous voulez comprendre pourquoi ces épisodes ont très bien fonctionné, pourquoi ils sont le socle sur lequel s'appuie une franchise désormais adoré des fans chez Hi Comics, jetez donc un œil à cette intégrale. 


Les Tortues Ninja ont souffert d'une certaine forme d'infantilisation, les personnages n'étaient pas forcément pris au sérieux et rattachés systématiquement à un très bon dessin animé certes, mais qui avait peu de chance de parler à celles et ceux qui ne l'ont pas connu en prise directe et se gargarisent des grandes bandes dessinées matures d'aujourd'hui. Le pari d'Eastman et Waltz, c'était de récupérer tout ce qui a été fait jusque-là (il y en a eu des tentatives différentes et des relaunch...) pour offrir une version plus mûre, violente, pertinente et toujours très intéressante. Ce premier tome de l'Intégrale vous permet donc de comprendre tout ce qui (peut-être) vous avait échappé jusqu'ici, y compris la génèse des Tortues et l'apparition de la secte ninja Foot, qui trouve d'emblée de sérieux concurrents en la personne de ninjas qui pratiquent la savate, grand art de la boxe française.  On y découvre également une histoire de vies antérieures et de souvenirs qui démontrent que le rapport paternel/filial entre Splinter et les Tortues n'est pas seulement l'union fortuite d'une expérience qui a dégénéré, mais quelque chose de très fort, qui s'est tissé dans le temps, une sorte de drame épique qui ressuscite de nos jours et qui explique quelques-uns des grands coups de théâtre à venir, dans les prochains tomes. Du côté du dessin, les deux principaux artistes de ce volume sont Dan Duncan et Andy Kuhn; on appréciera notamment le premier cité pour sa capacité à aller à l'essentiel, son trait brut et parfois caricatural, anguleux à souhait sans être agressif. Il y a en réalité dans les Tortues Ninja tout ce qu'on aime trouver dans une série de comics mainstream, c'est-à-dire des personnages attachants avec des liens qui n'en finissent pas d'apparaître ou de s'étoffer, des ennemis charismatiques dont on n'arrive pas à se débarrasser, des retournements de situation et de l'action, parfois avec de véritables conséquences lourdes à la clé. Ajoutez à cela des personnages secondaires qui sont vraiment soignés et vous obtenez les TMNT, dont la seconde jeunesse est promise à une jolie prolongation, avec la sortie en salle d'un animé qui s'avère soigné et enlevé. Cowabunga time again !


Fans des Tortues ? Deux choses :
1. Venez nous rejoindre et parlez des TMNT sur notre page FB
2. Ce dessin (et d'autres sur les TMNT) du Chat Encreur est à vendre. Contactez-nous si intéressés (universcomics.lemag@gmail.com)



BLUE IN GREEN : LA SUBLIME ENVOLÉE DE RAM V CHEZ HI COMICS


 Erik Dieter est saxophoniste; c'est un passionné de musique jazz et même s'il a vraisemblablement beaucoup de talent, il est passé à côté d'une opportunité, celle de faire carrière, pour ne pas avoir saisi l'instant quand il s'est présenté ou pour ne pas avoir été assez persévérant. Du coup, il enseigne la musique le samedi matin et se contente d'une existence quelque peu morne, loin de ce qu'il aurait probablement désiré. Les choses vont commencer à changer quand arrive le décès de sa mère, qui l'oblige à rentrer chez lui, pour retrouver une sœur qui elle a su être présente durant toute la maladie, qui a emporté celle qui vient de partir. Erik doit se confronter à nouveau avec un milieu dans lequel il ne se sentait plus à l'aise et qui ne lui a pas laissé uniquement des bons souvenirs. Il retrouve toutefois une femme qu'il a autrefois aimée, mais qui l'a finalement délaissé pour se marier avec un autre et faire des enfants. Ce qui va faire basculer sa vie, c'est la découverte d'une simple photo sur laquelle figure un musicien en action, littéralement envoûté par la musique qu'il joue. Qui est l'artiste présent sur ce document ? Un mystère qui s'ajoute à celui d'une mère particulièrement énigmatique, dont au final Éric ne sait pas grand-chose. C'est une enquête qui démarre dès lors, une enquête qui pourrait bien placer notre saxophoniste devant ses démons, ses peurs, mais aussi ses ambitions, à la recherche de l'identité de l'homme mystérieux. Erik s'absorbe en lui-même et dans la musique, il perd lentement le fil de la réalité et le récit nous emmène dans un territoire inconnu, où on se sent à la fois à l'aise et étranger, où l'on est en tous les cas happé par ce qui ressemble à une œuvre d'art totale, dont on admire chaque page.



La grande qualité de Blue in green, c'est la manière dont se répondent ou se confondent les différentes strates qui peuvent participer à la création d'un comic book. Difficile de dire si ce sont les mots, la prose de Ram V qui ont inspiré les dessins de Anand RK, si c'est ce dernier qui a distillé sa magie au fil des pages et sublimé le travail du lettreur Aditya Bidikar, ou si tout ceci a fortement influencé le scénariste pour écrire une œuvre singulière et magnifique. Toujours est-il qu'on reste bouche bée devant de très nombreuses planches, qui ont très souvent cet aspect peint que nous connaissons chez David Mack par exemple et qui jouent habilement des frontières poreuses qui existent entre l'onirisme et la réalité, entre le quotidien prosaïque d'un homme à la recherche de ses racines et la métaphysique, voire l'épouvante, ce qui se cache dans son esprit et qui n'a jamais été abordé frontalement jusque-là. D'ailleurs, il est même possible d'oublier carrément le sujet principal de Blue in green. Erik rencontre-t-il véritablement le surnaturel ou est-il victime de visions ? L'histoire d'amour (re)naissante puis immédiatement avortée avec Vera, une ancienne petite amie, va-t-elle être importante ou ne sera-ce qu'une station sur un chemin de croix perturbant ? Est-ce une réflexion sur la nécessité de brûler la chandelle par les deux bouts, consumé par le désir de l'art, ou au contraire une mise en garde sur ce qui attend celui qui se laissera séduire et inconsidérément tourmenté par ses muses ? Lisons-nous un drame familiale et intime ou une plongée glaçante et lente dans l'horreur ?Rarement nous refermons un album en considérant qu'il existe autant de réponses que de lecteurs, et même - et c'est cela qui est extraordinaire - l'interrogation n'a peut-être aucun sens ! Ce qui compte, c'est un peu la même chose que ce qui peut importer dans de nombreux disques de jazz, c'est le sentiment qui se dégage, l'émotion qui peut prendre aux tripes… si ce n'est qu'ici on ne fermera jamais les yeux pour se laisser transporter, mais au contraire, on les gardera grand ouverts jusqu'à la dernière planche et son insondable tristesse. Bref, vous pouvez très bien faire l'impasse sur ce titre, si vous ne lisez uniquement que du super-héros en costume bariolé. Inversement, si vous prétendez avoir entre les mains quelque chose d'aussi insaisissable que bouleversant, je vous recommande fortement d'investir dans ce qui sera (on peut déjà le dire, même si nous sommes en janvier) une des sorties marquantes de l'année 2023 sur le marché français. On n'obtient pas un Eisner Award par hasard, après tout. Au passage, n'hésitez pas à caresser la très belle couverture que vous a réservé Hi Comics, avec son effet "vinyle/micro sillons" des plus réussis. C'est de l'art jusqu'au bout du bout des doigts, que demander de plus ? 

(sortie mercredi 18 janvier)






TEENAGE MUTANT NINJA TURTLES : THE LAST RONIN CHEZ HI COMICS


 Les meilleures choses ont une fin. Les Tortues Ninja semblaient éternelles, mais la réalité est bien plus cruelle. Faisons un bon en avant dans le futur et retrouvons une ville de New York post apocalyptique, socialement et technologiquement organisée en plusieurs couches, de manière à ce que les plus nantis surplombent le chaos des plus pauvres. Une cité déshumanisée et fascisante où règne sans partage le clan Foot, avec un sa tête le petit-fils de Shredder. Notre histoire commence avec le dernier survivant, le Last Ronin, à savoir Michelangelo, seule de nos quatre tortues à avoir échappé au drame terrible qui a vu l'implosion de l'univers des TMNT. Vous souhaitez des détails sur la manière dont les trois autres sont mortes, sur ce qui a pu se produire pour en arriver là, et bien il vous suffira de lire, car des nombreux flashback viennent expliquer au lecteur tout ce qui a pu se produire et lui permettent de faire la jonction entre ce que nous avons l'habitude de rencontrer, et cette histoire hautement différente, particulièrement amère et poignante, où il est question d'une vengeance, d'une dernière mission qui s'apparente de toute manière à une forme de suicide. Michelangelo y converse continuellement avec les ombres de ses amis défunts. D'entrée de jeu, il se rend à la tour où réside son grand ennemi, dans le but de se débarrasser de l'adversaire, qui cela dit en passant aurait tout de même pu être représenté avec un charisme plus prononcé. Lais l'assaut est un échec patent et non seulement le héros ne parvient pas à trucider celui qu'il était venu châtié, mais en plus, il est victime d'une terrible chute qui en temps normal l'aurait probablement laissé pour mort. Il va être soigné et recueilli dans les tunnels de la ville (là où autrefois se trouvaient les appartements des Tortues Ninja) par April, la journaliste que les fans des Tortues connaissent bien. Elles aussi a vécu des drames, elle a vieilli et a désormais une fille, qui va pouvoir apporter son aide à notre malheureux Ronin. Il y a vraiment un côté poisseux à ce récit, quelque chose de terrible de voir ce que sont devenus ces personnages qui semblent tous s'embarquer pour un ultime round. 


Et là, vous allez me demander : oui, mais moi qui ne suit habituellement pas les Tortues Ninja chez Hi Comics (vous avez tort, au passage, les 18 très bons tomes déjà publiés n'attendent que vous), vais-je y comprendre quelque chose? Ou encore, ces personnages, ce ne serait pas de la bande dessinée pour cours préparatoire première année, gros maximum? Première réponse, oui, même un novice de passage, pour peu qu'il sache qui sont les Turtles grâce (même vaguement) au dessin animé célébrissime, ne perdra rien de l'essentiel de cet ouvrage. Certes, un peu de connaissance renforce le pathos et l'affection, mais ce n'est pas du tout indispensable. Ensuite, pas du tout. C'est d'ailleurs un terrible lieu commun dont souffre ce titre, depuis bien longtemps. Il y a bien plus de profondeur dans l'univers des Tortues que dans nombre de séries mainstream chez Marvel ou DC Comics, et ici il s'agit d'une histoire plus "adulte" et sombre que d'habitude, une sorte de "Dark Turtle returns", qui ne laisse pas indifférent. Tel un drame shakespearien où seule la mort peut couronner une haine atavique, la rivalité entre les clans Hamato et Foot connaît une fin crépusculaire, que vous auriez tort de bouder. Kevin Eastman et Peter Laird, accompagnés de Tom Waltz, sont les scénaristes d'un récit qui unit alors la tradition, les esprits derrière ce monde qui a connu depuis la gloire mondiale, à une forme de continuité à succès, qui fait les beaux jours de HI Comics. Qui nous offre un joli cadeau de fin d'année, avec un contenant qui s'adapte au contenu, et s'avère très réussi, dès la couverture qu'il est agréable de caresser (pas que des yeux), sans oublier des bonus fournis et pertinents. Esau et Issac Escorza soignent le show au dessin, en ne négligeant pas de truffer leurs planches de nombreux détails; ils savent faire exploser l'action, vite et fort au besoin, sur le modèle de ce qu'est la philosophie du maître Splinter, dont on découvre également le tragique destin. Antonio Delgago joue avec expertise des couleurs, modifie les teintes et la lumière en fonction de la chronologie du récit, qui rembobine souvent les enjeux pour clarifier ce que nous sommes en train de lire. Un très bel hommage à la mythologie TMNT que ce Last Ronin, qui n'oublie pas non plus les trois autres ninjas, dont le caractère et la personnalité se reflètent dans ces moments où le seul survivant converse avec lui-même, avec ses amis et frères tombés au champ d'honneur. On hésite entre la tristesse insondable de la solitude, et la poésie de la résilience et du souvenir, malgré tout. Par moments, c'est vraiment, vraiment beau, et il y a fort à parier que vous ne serez point déçus!  




BLEED THEM DRY : NINJA/VAMPIRE ACTION CHEZ HI COMICS!


 Une des raisons pour lesquelles ce Bleed them dry pourrait bien être un joli succès, c'est la pluralité des styles et des sujets qui sont présents dans cette histoire. Vous aimez les vampires, vous aimez aussi les enquêtes policières, vous préférez l'action ou encore voir des ninjas... tout ceci vous attend et fait partie du voyage. Nous sommes en 3333, dans la cité-Etat d'Asylum, et la Terre a bien changé. Tout d'abord les vampires existent! Ce n'est pas qu'une fable; la population a fini par s'habituer et ils vivent en plus ou moins bon rapport avec les humains. Les faits se déroulent dans une ville japonaise ultra sophistiquée et stratifiée, où en fin de compte les vampires se comportent comme les humains lambdas. On en trouve des bons, on en trouve des moins bons, et il y a même des gens qui aimeraient bien le devenir et qui occupent donc un statut un peu à part, puisque ils peuvent aller jusqu'à infecter volontairement. La situation devient explosive lorsque un mystérieux tueur de vampires s'en prend aux immortels. Impossible de savoir qui il est et comment il fait pour atteindre ses cibles, mais il ne rate jamais son coup. Au bout du quatrième meurtre, il est temps pour la détective Harper Halloway de mener l'enquête. Elle est accompagnée par Atticus Blacke, un autre membre de la police locale, qui lui est un vampire, et donc connait un peu mieux la population interlope de la ville. Ce qui est bien pratique quand il faut récupérer des informations de manière plus officieuse. En apparence le duo semble bien fonctionner mais dans les faits, c'est très différent. Tout d'abord parce que Harper est du genre méfiante et consciencieuse, elle ne s'arrête pas aux évidences mais elle approfondit ses dossiers, jusqu'à ce que se dévoile vraiment la vérité. Ensuite parce que Atticus a la victoire facile; il met la main très rapidement sur le prétendu assassin, sans pour autant pouvoir fournir d'explications sur les moyens qu'il a mis en œuvre pour l'arrêter. Bon, le lecteur n'est pas dupe et d'entrée il a la puce à l'oreille... quelque chose de particulier se trame là-dedans, et il est vraisemblable que notre propre détective soit en fait quelqu'un de beaucoup moins ragoutant. Et bien ça ne manque pas, voici que notre vampire policier semble être en réalité quelqu'un de différent de ce qu'il voudrait faire croire... à partir de là Bleed them dry explose littéralement, dans le sens où l'action peut monter de plusieurs crans, et le récit empreinte alors de multiples chemins de traverse qui incluent donc également des ninjas. Attention, le parcours va être chaotique, accrochez vos ceintures! 



Si le premier numéro de cette série est avant tout consacré à l'exposition des faits, et peut même sembler confus dans sa partie initiale, tout devient ensuite clair et très rythmé, car Eliot Rahal parvient à donner corps et épaisseur psychologique à ses personnages principaux, sans même sembler faire beaucoup d'efforts pour y parvenir. Le plaisir de tomber parfois sur une lecture qui parait de prime abord trop riche en informations, mais devient rapidement une évidence! Le second numéro est celui des révélations. Les premières pistes sont contredites, ou tout du moins approfondies et explicitées. Avec l'origine des vampires, comment les immortels ont pu prendre place parmi les hommes, la réaction de ces derniers, et l'explication de la présence des ninjas dans le récit, tout en suivant l'évolution forcée d'Harper, qui va devoir reformater de fond en comble sa place et son identité (je vous laisse le soin de découvrir pourquoi et comment, c'est vraiment un des enjeux majeurs de Bleed them dry). Autre excellente pioche, le dessinateur Dike Ruan. Tout le monde ne le connaît pas encore (on l'a vu chez Marvel, avec Spider-Verse ou Shang-Chi), même si ceux qui suivent notre page Facebook, où on vous propose les plus belles œuvres (covers, commissions...) des artistes du monde entier, ont déjà croisé ce dessinateur chinois adopté par l'Italie, au style nerveux, ultra efficace, qui excelle dans les corps à corps, l'occupation de l'espace, faire vivre une planche sans la surcharger, sans effets spéciaux, rien qu'en y insufflant force vitale et dynamisme, l'ensemble très bien appuyé ici par les couleurs de Miquel Muerto. L'occasion de rappeler deux vérités éditoriales. Aux States il y a une vie en dehors du grand duopole Marvel/Dc, voire Image. Vault Comics est la maison naturelle de Bleed them dry, par exemple. En France aussi, nous avons de splendides étiquettes et des éditeurs passionnés, qui osent sortir des sentiers battus. Hi Comics se constitue un catalogue "indie" qui force le respect. La balle est dans votre camp. 




WE ONLY FIND THEM WHEN THEY'RE DEAD : LE SPACE OPERA DE L'ÉTÉ CHEZ HI COMICS


 Les ressources naturelles de notre planète ne sont pas exploitables à l'infini et arrivera le moment où notre avidité ne nous aura laissé qu'un grand vide; il sera bientôt trop tard pour pleurer. Cap donc sur la fin du 24e siècle. La conquête spatiale a changé la donne et l'homme voyage désormais au fin fond du cosmos, où fidèle à son habitude il a trouvé de nouveaux matériaux à piller. Mais il s'agit de quelque chose de totalement inattendu! Les corps flottants en suspension dans l'éther de dieux géants, qui n'apparaissent aux yeux des hommes qu'après leur mort. Ces organismes fabuleux font l'objet d'une course acharnée entre différents vaisseaux d'exploitation (qu'on définira "necropsiques"), qui se précipitent comme des charognards ou des insectes se délectant de la putréfaction des cadavres. Chacun choisit une zone, qui peut-être la bouche, le cœur (particulièrement prisé) ou le front, et s'attelle a sa tâche, c'est-à-dire découper, emporter, puis faire fructifier le précieux butin. L'avidité n'a pas de limite et cette idée de départ est particulièrement bien présentée, notamment lorsqu'on voit les rayons et les lames qui tranchent des pans entiers de chair inerte. C'est bien entendu un récit de science-fiction, une odyssée spatiale qui s'ouvre, avec ce premier tome, mais c'est donc également une histoire ancrée dans notre réalité, avec une portée sociale évidente. Al Ewing (le scénariste) nous présente également l'équipage d'un vaisseau en particulier (le Vihan II) piloté par le capitaine Georges Malik, et les trois membres de l'équipage, parce que en parallèle avec tout ce que nous venons de décrire, il y a aussi des destins individuels qui vont se dévoiler, se télescoper, pour densifier la trame d'une série qui est incontestablement présentée comme un des incontournables de l'été. Pour compliquer l'ensemble, les explorateurs "nécrophiles" doivent aussi faire très attention et jouer selon les règles, car il existe une patrouille chargée de faire respecter la loi, c'est-à-dire d'éloigner les pillards qui alimentent le marché noir, si possible de manière radicale, en les anéantissant. Les sommes en jeu sont colossales et clairement, devant la perspective de s'enrichir rapidement quitte à risquer sa vie, beaucoup choisissent l'option de tenter le tout pour le tout. Première constatation générale, pour que cet album fonctionne, il fallait aussi trouver un dessinateur capable de se mettre au diapason d'Al Ewing, et d'envouter le lecteur avec des planches de toute beauté. Là encore succès garanti puisque Simone Di Meo est un choix évident, et il réussira probablement à emporter votre adhésion après un seul regard. 



Ses planches sont de toute beauté et nous emmènent dans le froid clinique de l'espace, avec une utilisation splendide du digital et une colorisation particulièrement inspirée, qui joue des contrastes en les poussant à leur paroxysme, et "mange" littéralement toute possibilité de laisser la moindre zone blanche, en remplissant le vide par l'espace et ce qui s'y déroule. Parfois la page se libère des contingences du récit classique pour démultiplier les petites vignettes ou les petites scènes, prenant ainsi le risque d'étourdir le lecteur, mais cette attention aux détails, cette minutie qui souligne des faits en particulier, sont couplées a des doubles pages ou des splash pages à très fort impact. Les combats sont épiques, au point de figurer parmi les représentations les plus saisissantes du genre depuis bien longtemps.  Le layout est inventif, cherche en permanence à jouer avec l'équilibre et les contingences classiques du média, et l'histoire oscille entre plongées dans l'immensité sidérale, parsemée de ces cadavres fantasmagoriques qui ne sont pas sans rappeler les Célestes de l'univers Marvel, colosses inanimés et dépecés, et percées claustrophobiques à l'intérieur des vaisseaux spatiaux, où c'est une orgie de néons, de lasers, qui nous assaille. Di Meo ne triche jamais, et là où beaucoup d'autres semblent rechercher le moyen de travailler en digital tout en conservant une "âme" traditionnelle, ici tout est adouci, définitivement assumé, patiné, et merveilleusement soigné. S'il faut trouver un petit point faible dans ce WOFTWTD (plus simple que le titre original à rallonge) on ira titiller Al Ewing qui après les deux premiers épisodes totalement dingues et porteurs de grandes promesses, commence à livrer un récit plus classique, où les interactions entre les personnages, avec des sauts récurrents entre passé et présent, éclipsent un peu les grands enjeux du départ. Heureusement quand on insiste on se rend compte que cette introspection est essentielle pour maintenir une attache humaine à cette histoire, qui autrement prendrait le risque de se désincarner. D'ailleurs on referme le premier tome avec le grand événement que nous attendions (ça semble assez évident) et sans avoir la moindre idée ou la moindre réponse sur le pourquoi ces dieux colossaux n'apparaissent qu'à leur mort. Et ce n'est pas un reproche, juste l'assurance qu'il nous faut la suite, et vite! Une fresque humaniste et politique, sociale et dramatique, que cette nouvelle série publiée chez Boom! et qui s'ajoute au catalogue décidemment alléchant de Hi Comics. Succès attendu et garanti. 

Pour acheter cet ouvrage si vous n'avez pas un comic shop ou une librairie indépendante près de chez vous :

SHANGAI RED : VENGEANCE RADICALE ET HALETANTE CHEZ HI COMICS


 Au départ, tout est affaire d'identité(s). Molly n'est pas celle que l'on croit. La jeune fille, que tout le monde appelle Red, revêt l'apparence d'un garçon, depuis très jeune, dans le but de subvenir aux besoins de sa famille. Une éducation à la dure, au cœur du XIX° siècle, dans une ville de Portland qui a tout de la cité malfamée et corrompue comme le veut l'imaginaire collectif de l'ouest américain d'alors. Dans les tavernes, on peut y faire de drôles de rencontres, et notre héroïne, sous les traits de Jack, est enlevée par une bande de délinquants sans scrupules, au service du capitaine d'un navire prêt à embarquer pour Shangaï. Le but est simple, se fournir en main d'œuvre bon marché, des "muscles" qu'on kidnappe au milieu de la nuit, des individus qui se font "shangaïer" et servent à bord des bateaux, tels des esclaves, pendant deux ans. Passé ce délai, on leur propose un choix tout aussi inique; poursuivre l'aventure (façon de parler...) sur les océans, mais cette fois en tant que chiourme rémunérée, ou retrouver la liberté, mais sans la moindre ressource, à l'autre bout du monde. Deux ans d'angoisse et de torture donc, pour Red et ses compagnons d'infortune, jusqu'à ce qu'arrive le jour fatidique où il faut prendre une décision. Qui sera surprenante et radicale, à savoir l'extermination atroce de ceux qui ont tenu le fouet durant cette captivité, pour ensuite faire route vers les Etats-Unis, et châtier les vrais responsables, les cerveaux et ceux qui financent ce genre d'exaction. Red voit rouge (facile...) et sa vengeance est inexorable. On pourrait même parler d'obsession, tant il ne reste plus grand chose au fond du cœur et de l'âme de celui/celle qui a perdu tout contact, tout lien avec sa famille. Faire couler le sang en abondance est l'exutoire le plus immédiat, le moyen de se réapproprier un peu de dignité, de ces mois volés, tout en représentant également un chemin de perdition, l'assurance d'une existence brève et chaotique, qui ne peut finir autrement que brisée par les balles d'un revolver ou une lame de couteau. Une fuite éperdue droit devant, mais le regard en arrière, avec une liste de noms à éliminer, sans faire la moindre concession. 

Rarement une histoire aussi sombre aura brillé d'un tel éclat mortifère. Oui, Shangai Red est une réussite indéniable, et si c'est le cas, c'est principalement car Christopher Sebela, le scénariste, est parvenu à éviter les pièges inhérents au genre, et à renouveler les enjeux. Ainsi, nous ne lirons pas un récit féministe engagé, ou une énième dénonciation de la condition féminine, où la faiblesse des héroïnes succombe devant l'outrecuidance et la violence masculine. Ici Red/Jake/Molly possède différentes identités, mais sa quête de vengeance, les ressorts intérieurs du personnage, peuvent très bien être interprétés de façon asexuée. Le reste du cast féminin (la soeur, une tenancière d'un local égrillard et les employées des lieux) ce sont d'ailleurs des figures assez fortes voire carrément agressives, qui ne s'en laissent pas remontrer. La vengeance n'est pas l'apanage d'un homme, d'une femme, elle est consubstantielle à tous, et rien ni personne ne peut la contrôler et la revendiquer pour lui/elle seul(e). Ensuite, les auteurs évitent de nous réserver une surprise finale et tirée par les cheveux, un dernier chapitre où tout à coup Jake se révélerait être une jolie rousse longiligne grimée en homme. Non, on a vite compris de quoi il en retourne, par un biais scénaristique malin et délicat (le changement du timbre de voix, qui met la puce à l'oreille de l'équipage). Pour finir, le dessin s'accorde à merveille avec les intentions de départ. La violence et la mort ne sont pas le prétexte à des vignettes ou des planches morbides et esthétisantes, mais on plonge bien dans la crasse, le sordide, les souterrains où la pègre organise ses petites affaires. On y est, immergé jusqu'au cou, par la dextérité de Joshua Hixon, dans un style qui ressemble un peu au télescopage des oeuvres d'Azaceta et de Maleev (même si le travail des textures est fort différent). L'équipe artistique instaure une ambiance glauque à souhait, tout en brossant des portraits crédibles et attachants. Shangai Red est haletant d'un bout à l'autre, fonctionne comme un jeu de montagnes russes émotionnelles, fait entrevoir une possibilité de bonheur pour vite l'éclipser ou la remettre à plus tard. Une fuite éperdue vers le néant, guidée par une obsession personnelle, doit-elle nécessairement finir mal, ou peut-elle espérer une rédemption inattendue? Vous le découvrirez en donnant sa chance à cette nouvelle belle trouvaille de Hi Comics, dont le catalogue de titres indés commence à avoir sérieusement de la gueule. 

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INVISIBLE KINGDOM : TOME 1 LE SENTIER CHEZ HI COMICS


Vous avez tous, à un moment ou l'autre, eu recours aux services d'Amazon, pour mettre la main sur des biens de consommation qui n'ont rien d'impérissables ou d'indispensables. Dans le futur de science-fiction que nous présente G Willow Wilson avec Insivible Kingdom, c'est la compagnie Lux qui assure plus ou moins le même service, et ces chancres du consumèrisme n'aiment pas voir les équipages chargés de transporter la marchandise en rade dans l'espace. Surtout quand en faisant le point sur le contenu des colis, les transporteurs remarquent quelque chose de louche... Pendant ce temps là, le lecteur suit aussi le destin d'une jeune extra-terrestre qui décide de tout plaquer sur son monde natal, pour "rentrer dans les ordres" à des années lumières de là. Pour devenir une "non-un" et intégrer la grande "Renonciation" Vess est prête à tout sacrifier, et sa foi inébranlable est son meilleur atout. Mais même les intentions les plus pures peuvent vaciller, devant une révélation inattendue et déconcertante. Si les mystiques sont radicalement opposés à Lux et son univers matérialiste, il n'en reste pas moins que des détournements colossaux de fonds sont réalisés entre les deux factions censées être ennemies. Bref, une position intenable pour Vess, qui est animée par une foi véritable, et se retrouve dans l'obligation de fuir lorsque tout part en vrille, définitivement.


La fuite de Vess se télescope alors avec le destin des convoyeurs de la compagnie Lux, en particulier avec Grix, pilote chargée du fret. Ce sont des forces puissantes qui se dressent entre eux, et les deux extrêmes vont devoir cohabiter et se compléter, pour simplement survivre. Willow Wilson sait de quoi elle parle quand elle aborde le thème de la foi. Convertie à l'Islam, le véritable, pas celui des dingues prêts à revêtir l'absurde manteau du martyre, elle livre ici un discours intéressant sur l'incompréhension du monde, qui regarde avec défiance et préjugés les individus qui opèrent des choix sur la base de convictions qui semblent si étranges à d'autres. Ce sont d'ailleurs des convictions aussi, même si d'un autre ordre, qui poussent d'autres individus, bien plus nombreux, à s'adonner aux plaisirs de la consommation sans aucun critère. Bref ces deux visions du monde, le dépouillement et l'introspection, face à l'opulence et l'ostentation, sont mis en balance et intelligemment pesés, dans ce qui constitue un titre ambitieux et qui conjugue le space opéra et l'analyse sociale de notre époque troublée, placée dans une perspective inédite, au fins fonds du cosmos. Elle emporte dans ses bagages Christian Ward, qui utilise sa science de la mise en couleurs pour livrer une version de l'espace attrayante et fort en contrastes et teintes saturées, qui magnifie véritablement l'ensemble. Si certains visages sont sommaires et le trait peu fouillé, Ward mise avant tout sur l'alchimie finale de la colorisation, et on ne pourra pas lui donner tort, tant les pages "accrochent" le regard même distrait. Encore une parution digne du plus grand intérêt chez Hi Comics, dont le catalogue a de quoi aiguiser bien des appétits. Prix Eisner de la meilleure nouvelle série 2020, au passage.


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LOCKE AND KEY : EPOUVANTE ET MYSTERES AVEC JOE HILL ET GABRIEL RODRIGUEZ

Je ne vais rien vous apprendre, lorsqu'une série de comics a droit à son adaptation télévisuelle, il y a de fortes chances pour que de nombreux nouveaux lecteurs se ruent dessus, ou tout du moins découvrent son univers propre. Netflix proposant donc Locke and Key, un projet maintes fois annoncé, retoqué, modifié, il est donc probable que celles et ceux qui n'ont jamais ouvert un volume de la série (publiée chez Milady, puis chez HI Comics) ressentiront l'envie, ou tout du moins la curiosité, de voir de quoi il retourne.
En gros, il s'agit d'une famille, les Locke, qui part s'installer, de force, dans une élégante et mystérieuse demeure de la Nouvelle-Angleterre, à Lovecraft (le nom est déjà un indice en soi...). De force, car le déméngement intervient suite au meurtre brutal du père, et le viol de la mère, par un adolescent complétement dingo, camarade de lycée de l'ainé des Locke. Ce dernier, Tyler, l'a neutralisé et défiguré, et il a tué son complice, ce qui fait qu'il rumine malgrè tout un fort sentiment de culpabilité, amplifié par les rapports cahotiques qu'il entretenait avec son géniteur décédé (il souhaitait même parfois sa mort!). Kinsey fait de son coté tout ce qu'elle peut pour se rendre transparente et ne pas devenir "la victime dont on a pitié" alors que le petit dernier, Bode, va vivre une expérience métaphysique en franchissant une des portes du manoir, sortant de son corps, pour errer sous forme de fantome, à la rencontre de ceux et ce à qui ou quoi il pense. Le manoir, donc. Il porte le nom de Keyhouse, la maison des clés. Car de clés il va être question dans cette série (ça n'importe quel novice pouvait y arriver...)
Bon, il s'avère que le père, Rendell Locke, n'avait pas forcément dit toute la vérité à ses enfants... Que le lieu où il a grandi recèle bien des mystères, et pas des plus ragoûtants. Locke and Key, écrit par le romancier Joe Hill, c'est un titre qui joue beaucoup sur l'horreur, le suspens, qui prend assez vite aux tripes, car la narration est fluide, intelligente, dévoile tout autant qu'elle attise de nouvelles pistes, pour composer une mosaïque vertigineuse où les révélations succèdent aux écrans de fumée.




Les personnages sont tous parcourus de failles et de doutes qui les humanisent. La mère touche trop souvent à la bouteille, l'ainé réprime une violence qui le dégoûte en même temps, Kinsey est paumée, et le petit dernier trop jeune pour être pris au sérieux quand il découvre les prémices d'un insondable mystère. Et dans le fond d'un puits du manoir, se trouve une étrange créature qu'on imagine être dans un premier temps une sorcière, et qui va utiliser à la fois l'assassin des Locke, et le benjamin de la famille, pour arriver à ses fins et entamer la reconquête d'une série de clés, de passes-partout, qui ouvrent des portes sur ailleurs, sur partout.
Gabriel Rodriguez au dessin est vraiment très bon. Tout d'abord, sa composition des planches laisse parfois poindre quelques saillies franchement bluffantes, et le style propre et assez réaliste est un bon choix pour fidéliser le plus de lecteurs possibles. Le manoir de Keyhouse devient une toile de fond crédible, minutieusement représentée, et tous les jeunes héros sont attachants et caractérisées de belle manière. Locke and Key est vite addictif, fait frissoner, s'interroger. C'est une de ces séries encore trop méconnues du vrai grand public, qui dépasse largement le cadre des "comics" traditionnels, pour aller séduire au sens large les amateurs de bd.  



Essayez donc le tome 1, chez HI Comics


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