
Et si Alfred Pennyworth n’était pas ce majordome flegmatique qu’on a toujours connu ? Et si, au lieu de préparer chaque matin le petit déjeuner de Bruce Wayne, il crapahutait dans les bas-fonds de Gotham, en véritable agent secret sorti d’un vieux roman de John le Carré ? C’est le point de départ d’Absolute Batman, une nouvelle manière d'aborder l'univers du Dark Knight, signée Scott Snyder et Nick Dragotta, qui secoue les fondations mêmes du mythe. Ici, oubliez les perles de Martha, le manoir gothique et les gadgets sortis de la Bat-cave familiale. Bruce Wayne, version Absolute, est un gros gaillard ouvrier/architecte, élevé par sa mère (toujours vivante, et adjointe au maire Jim Gordon), qui tape sur des clous la journée et sur des voyous la nuit. Sa base d’opérations ? Crime Alley. Sa salle d’entraînement ? Une salle de sport de quartier tenue par un certain Waylon Jones (que vous connaissez). Ses amis ? Selina, Harvey, Ozzie et Edward… des noms qui sonnent curieusement familiers. Et quand ce Bruce endosse le masque, ce n’est pas pour faire de la figuration. Sa cape sent la sueur, son armure est faite de bouts de tôle et de technologie de récup, et son emblème de chauve-souris ? Une hache stylisée qui ferait rougir Rob Liefeld lui-même. Bienvenue dans une Gotham post-industrielle, aussi crade que crédible, où la criminalité se déchaîne sous l’égide des Bêtes de Soirée, une bande bigarrée menée par un Black Mask plus déchaîné que jamais. En face, Alfred. Loin de servir le thé, il infiltre, il manigance, et il observe ce Batman de l’ombre, se demandant s’il est un allié ou une menace. Ce jeu du chat et de la chauve-souris installe une tension narrative étonnamment riche, entre deux personnages destinés à se rapprocher, ça va de soi, mais dont les méthodes et les objectifs différent, dans un premier temps. Graphiquement, Nick Dragotta se lâche. Les scènes d’action explosent comme des feux d’artifice de muscles et de tôle froissée. C’est fluide, c’est puissant, et parfois délicieusement too much. Le tout baigne dans une esthétique "années 1990 boostées aux hormones" entre clins d’œil postmodernes et gros sabots assumés.

Absolute Batman, c’est un peu comme si Frank Miller avait pris un café (très serré) avec Mark Millar, en relisant un bon paquet de comics des années 1990. Loin d’être une simple redite, ce nouveau départ targué Absolute ose, bouscule, et surtout réinvente le mythe à sa façon. Ce qui fait la force de ce Batman là, c'est-à-dire la décomplexion totale au niveau de l'histoire et du dessin, peut aussi être son talon d'Achille, notamment pour tous les pisses froid ou ceux qui sont allergiques au travail de Scott Snyder. Celui-ci continue d'œuvrer sur un personnage qu'il connaît très bien et il en renouvelle encore la personnalité, mais aussi le background, tout en conservant son caractère inflexible et une manière expéditive d'agir. J'ai déjà parlé de Martha, la mère de Bruce Wayne, mais il convient de dire que c'est ici son père, simple enseignant qui rêvait pourtant d'une carrière de grand chirurgien, qui a connu tragiquement la mort lors d'une sortie au zoo de Gotham. C'est d'ailleurs en cherchant refuge dans une sorte de dépôt à chauve-souris que le petit Bruce a fait la rencontre des chiroptères qui vont l'inspirer pour devenir la grande figure de la lutte contre le crime dans sa ville. Plus que de crime, en fait, parlons de décadence, de délitement de la société : tout ici est plus violent, tout ici semble exagéré et en même temps furieusement contemporain, étant donnée l'époque trouble à laquelle nous vivons. Cerise sur le gâteau, l'emblème sur le costume de Batman, donc, qu'il est possible de détacher et qui est en fait une plaque thoracique de métal, qui se transforme en une hache tranchante, au besoin ! Vous l'aurez compris, le Batman Absolute n'est pas là pour plaisanter et son titre se présente comme un comic book qui appuie sur l'accélérateur, une descente pied au plancher dans les méandres d'une Gotham plus corrompue que jamais, avec comme seule paladin un justicier privé de la proverbiale et colossale fortune qui l'assiste en temps normal, mais toujours animé par une croisade qui ne connaît ni pose, ni atermoiement. Sortie le 30 mai, pour finir le mois en fanfare et fureur, chez Urban Comics.

Retrouvez UniversComics chaque jour, sur Facebook !