JUDGE DREDD : LES AFFAIRES CLASSÉES ET UN DIXIÈME TOME CHEZ DELIRIUM


 Le plaisir est rare, mais quand un nouveau volume de Judge Dredd débarque en librairie, inutile de jouer les blasés : on pose tout et on s’y replonge avec jubilation. Voici donc venir le dixième imposant pavé consacré aux Affaires Classées du plus inflexible des juges de Mega-City One, l’occasion rêvée de redécouvrir ces récits courts parus dans la mythique revue britannique 2000 AD. Toujours au programme : satire sociale corrosive et violence institutionnalisée dans un futur (pas si lointain ?) où l’ordre et la justice sont poussés jusqu’à la folie. Dès les premières pages, on est décoiffé par les péripéties du Midnight Surfer, qui participe à un concours de surf motorisé (formellement interdit, bien sûr) et s’apprête à enflammer la mégalopole. À peine le temps de ranger la planche qu’on tombe nez à nez avec Nosferatu, une créature extraterrestre au look de vampire-araignée, échappée d’une des lunes de Callisto. Les amateurs d’humour grinçant seront ravis : on y trouve aussi un épisode hilarant consacré à des bonbons prétendument « futés », censés rendre plus intelligents ceux qui les croquent… mais évidemment, c’est tout l’inverse. Plus inquiétant encore, un dysfonctionnement pousse une série de robots domestiques à assassiner leurs propriétaires, persuadés que la mort les rendra plus heureux. Comme toujours, le regard porté par les auteurs est acéré, mordant, et fait écho à nos propres sociétés, le tout simplement transposé dans un futur où la démesure est devenue norme absurde. Dans l’un des récits les plus marquants, un journaliste découvre que les juges diffusent un gaz tranquillisant pour prévenir toute révolte. « C’est immoral ! C’est monstrueux ! » proteste-t-on — mais Dredd tranche : c’est la loi. Tout est dit. Après tout, qu’importe d’abandonner un peu de liberté si, en échange, une main de fer nous promet la paix et la sécurité ? Le plus ironique, c’est que le désordre règne partout dans l’univers de Dredd. Il suffit de voir le retour du redoutable Mean Angel, ce psychopathe repenti qu’on relâche en pleine période de Noël, une saison décidément peu propice à la rédemption. Très vite, ses fameux « coups de boule » reprennent du service, et Dredd doit à nouveau imposer sa conception de la justice. Bref, le juge continue de faire régner la loi à coups de sarcasmes et de matraque, dans un monde où la satire n’a jamais paru aussi actuelle.




Parce que oui, ce que beaucoup ignorent lorsqu’ils ne connaissent pas l’univers du Judge Dredd, c’est que ses histoires ne se résument pas à une accumulation de clichés, de gros flingues et de science-fiction musclée. La série offre aussi une réflexion, souvent grinçante, sur ce que nous faisons de notre société et sur la direction que nous prenons. Sous ses dehors satiriques, elle explore avec acuité les dérives du pouvoir, de la technologie et du contrôle social. On y croise par exemple Tony, un participant au concours des “Fatties”, ces individus qui accumulent de la graisse jusqu’à atteindre un poids délirant. Lui est le premier homme à dépasser les deux tonnes, un record absurde qui, évidemment, lui vaut une place dans les annales de Mega-City One. Passons sur une histoire en plusieurs volets où un seigneur nippon débarque dans la mégalopole pour invoquer son samouraï personnel (à mon sens, l’un des temps faibles inévitables de l’album) pour nous concentrer sur les récits courts, bien plus percutants et pertinents. Certains abordent de front des questions essentielles, comme celle de la démocratie, à travers un groupe de rebelles rêvant d’un ordre plus juste, mais dont l’idéal finira dans le sang. Dans un autre épisode marquant, un juge découvre l’amour et se voit contraint de vivre sa relation dans la clandestinité, quitte à risquer le chantage et la disgrâce. Dans ce monde autoritaire, la passion est un crime, et un agent de la loi ne peut entretenir la moindre relation amoureuse sans être banni. On trouve aussi une perle d’humour noir racontée du point de vue d’un cafard ainsi qu’un enchaînement d’épisodes centrés sur les Gribbligs, de charmantes petites créatures qu’on rêverait d’avoir pour animaux de compagnie, si elles n’étaient pas strictement interdites. Et pour cause : elles se reproduisent à la vitesse de la lumière et font preuve d’une intelligence redoutable, capable de plonger leurs propriétaires dans de sérieux ennuis. Dans un univers aussi absurde que celui de Judge Dredd, le seul qui semble tirer son épingle du jeu est peut-être le fou, le timbré, comme le suggère l’un de ces savoureux épisodes courts où la folie devient une forme de lucidité. Le scénario est signé par le tandem John Wagner et Alan Grant, tandis que le dessin est confié à une impressionnante brochette d’artistes : Carlos Ezquerra, le créateur du personnage, Steve Dillon (bien connu des lecteurs de Marvel), mais aussi Cam Kennedy, Ron Smith, Ian Gibson, et même le maître Bryan Talbot. Ce dixième volume s’impose dignement aux côtés des neuf précédents, et ne souffre finalement que d’un seul véritable défaut : provoquer chez le lecteur une impatience spasmodique, celle d’attendre plusieurs mois avant de pouvoir mettre la main sur le onzième tome.


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SON OF ORIGINS - STAN LEE RACONTE LES SUPER-HEROS MARVEL


 En 1975, un an après le triomphe retentissant d’Origins of Marvel Comics, Stan Lee récidivait avec Son of Origins of Marvel Comics, toujours sous l’égide de Fireside Books, la branche grand public de Simon & Schuster. L’idée ? Reprendre exactement la même formule qui avait si bien fonctionné : un florilège d’histoires fondatrices, commentées par le maître en personne, entre deux clins d’œil complices et quelques envolées d’ego trip. Bref, ce qui est la recette même du succès du maître des comics modernes, avant tout meilleur publicitaire de lui-même, plus encore que scénariste génial (et ultra prolifique). Talent Editions nous a gratifié, l'an passé, du premier livre cité (lire ici). Par chance, l'éditeur récidive en 2025 et vous allez voir débarquer la suite incessamment sous peu, dans toutes les bonnes librairies. L’ouvrage, à la couverture peinte par John Romita (où la Sorcière Rouge fait une apparition aussi énigmatique qu’injustifiée), rassemble les origines de sept piliers du panthéon Marvel : les X-Men (dans leur première aventure en 1963), Iron Man, Daredevil, Nick Fury, Les Avengers (Les Vengeurs, quoi), Le Gardien et dulcis in fondo le Silver Surfer. Certains, comme Iron Man ou Daredevil, ont droit à une double ration de récits, histoire de suivre leur évolution graphique et narrative. L’ensemble dépasse les 250 pages en couleurs, soit un beau pavé de nostalgie susceptible de ravir aussi bien le lecteur chevronné que celui qui n'y connaît pas grand chose, et souhaite ardemment s'y mettre, en commençant par le commencement. Comme dans le premier tome, la véritable richesse du livre ne réside pas seulement dans les planches bigarrées mais dans les introductions signées Stan Lee. Toujours volubile, parfois cabotin, il raconte la naissance des héros avec une verve légendaire qui mêle mythologie pop et autopromotion assumée. Il dévoile, mine de rien, sa méthode : combiner des archétypes modernes, injecter de la faille dans le héros, saupoudrer d’humour, et signer d’un « Excelsior ! » qui a fait date dans la pop culture.



Son of Origins est un ouvrage qui se doit de respecter la légende dite canonique, et n'a pas vocation à creuser pour faire jaillir la vérité derrière les petites histories. Les artistes sont cités, mais rarement célébrés. Gene Colan, omniprésent dans le volume, bénéficie d’une mention spéciale, tandis que Jack Kirby, pourtant co-créateur des Avengers, des X-Men et du Silver Surfer, n’est évoqué qu’à demi-mot et surtout sans la moindre allusion à la rancune tenace qu’il nourrissait alors contre Lee. Ceux qui savent et suivent depuis cette époque bénie y verront le témoignage d’un moment précis : celui où Stan, devenu porte-parole officiel de la Maison des Idées, décida d'écrire la légende Marvel… à sa manière, selon son point de vue. Sur le plan éditorial, Son of Origins est bien un document précieux, avec les qualités et les défauts de ces livres qui osent remettre les années 1960 sur le tapis. Par exemple, les méchants asiatiques d’Iron Man arborent toujours un jaune criard qui témoigne d’un exotisme (racisme ?) daté, et les personnages féminins sont plus jolis qu'héroïques. Malgré ces réserves, le charme agit toujours. En 1975, cette anthologie offrait à des milliers de lecteurs la possibilité de (re)découvrir des récits devenus quasi introuvables. Aujourd’hui, cinquante ans plus tard, c'est tout aussi nécessaire et fondamental : on peut certes trouver ces récits dans bien des formats, mais les voir ainsi compilés, et commentés, a tout du cadeau irrésistible qui vous chatouille les doigts et le porte-monnaie. D'autant plus que les épisodes sont retraduits, ce qui fera plaisir à ceux qui critiquent vertement les VF bien connues. L'enthousiasme et l'exubérance des premiers pas des super-héros, sous le regard attendri et la verve loquace de leur créateur, ce n'est pas seulement une manière de parler et aimer les comics, c'est aussi, disons-le carrément, tout un pan de notre société pop moderne qui reprend vie sous nos yeux.



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M IS FOR MONSTER : TALIA DUTTON CHEZ DELCOURT


 En 2022, Talia Dutton ressuscitait le mythe de Frankenstein pour en faire un drame intime sur la reconstruction, la différence et la quête d’identité. Publié chez Surely Books (maison d’édition dédiée aux artistes LGBTQIA+), M is for Monster réinvente le célèbre récit de Mary Shelley à travers une approche plus humaine, et résolument contemporaine. Ici, la foudre ne donne pas seulement la vie : elle éclaire aussi les zones d’ombre que la société préfère ignorer. Le récit s’ouvre sur une scène familière : une scientifique exaltée, des éclairs, un corps inerte sur la table. Mais cette fois, le docteur Frankenstein s’appelle Frances Ai, dite Frankie, et la créature qu’elle tente de ramener n’est autre que sa sœur Maura, morte dans un accident de laboratoire. L’expérience est un succès… ou presque. Car la jeune fille qui se réveille n’est plus Maura ; elle choisit bientôt de s’appeler simplement M. Sans souvenirs, sans repères, M refuse de rejouer la vie de celle dont elle n’est que l’écho charnel. Frankie, de son côté, s’obstine à lui faire endosser le rôle de la sœur perdue, incapable de faire son deuil autrement que par la science. Entre ces deux femmes se tisse un lien fait d’amour, de culpabilité et de maladresse : l’histoire d’une créature qui veut exister pour elle-même, et d’une créatrice qui doit apprendre à lâcher prise. Amour toxique et mensonges au menu, bon appétit. Dutton reprend les figures archétypales de Shelley, c'est-à-dire surtout le savant démiurge et sa création en quête d’humanité, pour les transposer dans un territoire plus émotionnel que gothique. Là où Victor Frankenstein se perdait dans l’orgueil et l’isolement, Frankie avance, trébuche, mais finit par reconnaître ses erreurs. Quant à M, elle n’est pas le monstre rejeté par le monde : elle est une jeune fille en devenir, en apprentissage de soi, qui cherche à comprendre comment être « quelqu’un » dans un corps et une identité imposés. Son parcours métaphorique résonne avec les interrogations de nombreux lecteurs adolescents : comment se définir lorsque tout autour de soi prétend savoir mieux que nous qui nous sommes ?



Graphiquement, Dutton est capable à la fois de nous écorcher le cœur et les yeux, et de nous apaiser. Le trait, souple et expressif, s’appuie sur une palette restreinte de teintes turquoise, noires et blanches : quelque part entre la froideur clinique du laboratoire et la mélancolie romantique des films expressionnistes. Les coutures visibles de M deviennent un symbole double : cicatrice des attentes qu’on lui impose, mais aussi motif récurrent d’une possible reconstruction. Les éclairs, les ombres, les reflets sont autant de métaphores visuelles de la fragmentation et de la recomposition du soi. Dutton se fait virtuose quand il s'agit de dessiner la simultanéité du passé et du présent sur la même page, de traduire la confusion intérieure, ou encore faire naître des silences qui valent plus que les dialogues. M is for Monster n’est pas un récit d’horreur, mais une histoire d’apprentissage. On y parle moins de création contre nature que d’amour et rébellion contre les apparences. La question devient alors : et si le « monstre » avait été aimé ? Et s’il avait eu la chance de se choisir lui-même ? Et si Frankenstein, au lieu de fuir, avait accepté sa créature ? Sous ses airs de conte mélancolique, cette bande dessinée aborde avec délicatesse la pression des attentes familiales, la peur de ne pas correspondre, et le droit d’exister selon ses propres définitions. Talia Dutton signe un premier roman graphique d’une étonnante maturité. Delcourt nous propose cette pépite, qui en appelle d'autres.



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LE PODCAST LE BULLEUR PRÉSENTE : SOLI DEO GLORIA


 Dans le 209e épisode de son podcast, Le bulleur vous présente Soli Deo Gloria, album que l’on doit au scénario de Jean-Christophe Deveney ainsi qu’au dessin d’Édouard Cour, un ouvrage édité chez Dupuis. Cette semaine aussi, le podcast revient sur l’actualité de la bande dessinée et des sorties avec :


- La sortie de l’album Rock’n’roll suicide que l’on doit à Louise Laborie ainsi qu’aux éditions Sarbacane


- La sortie de l’album Ulis que l’on doit à Fabien Toulmé ainsi qu’aux éditions Delcourt


- La sortie de l’album Le paradoxe de l’abondance que l’on doit au scénario conjoint de Vincent Ravalec et Hugo Clément, au dessin de Dominique Mermoux et c’est sorti chez Dargaud


- La sortie de l’album Leave them alone, un titre signé Roger Seiter au scénario et Chris Regnault au dessin pour un album paru aux éditions Grand angle


- La sortie de l’album Pénis de table 2 que l’on doit à Cookie Kalkair ainsi qu’aux éditions Steinkis


- La sortie d’un beau livre aux Editions Glénat, baptisé La nef des songes, il revient sur les 35 ans de carrière d’Olivier Ledroit dans un entretien que mène Arnaud Pagès.



 
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DAKOTA 1880 : VOICI VENIR LE LUCKY LUKE D'APPOLLO ET BRÜNO




 Outre les aventures traditionnelles de celui qui tire plus vite que son ombre, on peut également découvrir Lucky Luke dans une série d’albums qui lui rendent hommage. Ces volumes, réalisés par des équipes artistiques variées, proposent à chaque fois une approche singulière et personnelle, entre respect du mythe et réinterprétation moderne, pour le plus grand plaisir des lecteurs (même si certains puristes grognent toujours). Cette fois, c’est au tour du duo composé d’Appollo et de Brüno de s’y coller, avec Dakota 1880, un album dont le titre adresse un clin d’œil appuyé à la toute première publication du cow-boy solitaire, Arizona 1880, publiée en 1947. Il s’agit d’ailleurs d’une suite spirituelle à ce premier jet : on y retrouve un Lucky Luke en début de carrière, encore sans son célèbre cheval Jolly Jumper, et dont les exploits n’ont pas déjà traversé tout le continent nord-américain. Jeune et inexpérimenté, Luke se met souvent dans des situations périlleuses : dès le premier des sept petits épisode qui se succèdent, on le découvre roué de coups par une bande de malfaiteurs, et, dans le second, pendu à une corde avant d’être sauvé in extremis par Baldwin, un jeune garçon noir. Ce dernier va ensuite accompagner notre héros à bord de la diligence qu’il conduit jusqu’en Californie. Le gamin en question n’est supposément pas un inconnu : il s’agit de Baldwin Chenier, personnage ayant réellement existé (nous assure-t-on en fin d’album avec malice), et qui aurait contribué, à sa manière, à nourrir la légende du Far West à coups de dime novels, ces romans à bon marché qui sentent la poussière et la poudre. Lucky Luke et lui nouent ici une relation d’amitié touchante, dans laquelle le jeune Baldwin apprend maladroitement à tirer, sous le regard amusé du cow-boy, qui remarque en revanche les talents précoces d’une fillette de treize ans, future tireuse d’élite capable d’atteindre n’importe quelle cible. Annie Oakley, elle, est bien un personnage historique. Car la fiction s’entrelace (comme souvent avec Lucky Luke) habilement avec la réalité : les auteurs glissent de nombreuses références au contexte de l’époque. Et au fil des pages, le mythe de Lucky Luke s’enrichit, gagne en humanité et en profondeur, tout en préparant, à petits pas, la naissance du héros légendaire que l’on connaît.




À bien y regarder, plusieurs particularités et thématiques originales se dégagent de cet album. On notera d’abord la présence marquée des femmes : la grand-mère de Baldwin et son destin inachevé, une voyageuse d’origine irlandaise qui traverse les États-Unis pour retrouver le militaire qu’elle doit épouser après une correspondance passionnée, ou encore, dans le sixième épisode intitulé Brasier, Lucie, une jeune femme de dix-neuf ans contrainte de travailler dans un saloon, où ses « talents » n’ont guère à voir avec ceux d’une simple serveuse. Lassée d’être prisonnière de sa condition, elle choisit de s’émanciper en incendiant littéralement son lieu de captivité. Lucky Luke, dans ce recueil, apparaît plus posé, plus réfléchi que jamais. Il ne fait parler la poudre (ou les poings) que lorsque la situation l’exige absolument, comme face à l’homme qui a décidé de châtier Lucie. Un parfum de désillusion flotte d’ailleurs sur ces pages, un sentiment de lendemain qui déchante. Il est même question, à un moment, du pouvoir rédempteur de la poésie. Le dernier épisode, quant à lui, évoque la façon dont la modernité finira inévitablement par supplanter l’Ouest américain traditionnel. La photographie y symbolise cette évolution imminente, prête à dévorer un monde condamné à l’oubli ou, au mieux, à la légende. Appollo (Olivier Appollodorus) réussit ainsi le tour de force de livrer une soixantaine de pages denses et équilibrées : un voyage à travers un pays à construire à la fois agité, rocambolesque et pourtant d’une étonnante simplicité. Quant à Brüno, il s’éloigne radicalement du style de Morris : son Lucky Luke épuré, ses visages faussement figés, et ces planches où la neige et les éléments s’expriment en silence, tout cela confère à l’ensemble une beauté mélancolique, profondément touchante. On remarquera d’ailleurs que Lucky Luke apparaît souvent sans bouche, comme si Brüno faisait du silence le compagnon idéal de cette traversée des grands espaces. Un album sans fanfare ni trompette mais d’une justesse rare, et d’une émotion discrète, durable.
Sortie le 31 octobre chez Lucky Comics / Dargaud



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LA TOMBE : ADAPTATION DE LA NOUVELLE DE LOVECRAFT CHEZ LES HUMANOS


 Certes, la situation n'a rien de réjouissant du côté des Humanoïdes Associés (même la branche américaine des Humanos vient d'être déclarée en cessation de paiement), mais on continue (pour le moment ?) de voir débarquer quelques nouveautés attendues en librairie, à commencer par une adaptation d'une nouvelle de Lovecraft, La Tombe. Écrite en 1917 mais publiée seulement en 1922, cette histoire marque sans doute la première véritable œuvre « adulte » de l'écrivain culte. On y sent déjà la main ferme du conteur macabre, le goût du passé qui pourrit lentement dans les recoins d’une mémoire décadente, et l’ombre des grandes thématiques qui hanteront tout son univers : la folie, la dégénérescence, l’héritage maudit et le vertige d’une identité qui s’effrite entre rêve et réalité. Le narrateur, Jervas Dudley, est un jeune homme « rêveur et visionnaire », autrement dit un doux inadapté (un branleur, presque). Comme souvent chez Lovecraft, ce marginal se réfugie dans les livres anciens, fuit les conventions de son époque et cherche la beauté dans les ruines du passé. Sa solitude devient une porte ouverte sur l’irrationnel. Un jour, il découvre un vieux mausolée, celui de la famille Hyde, dont le manoir fut jadis consumé par la foudre. Châtiment divin, murmurent les villageois, histoire de corser l'atmosphère. Dès lors, Jervas se met à rôder autour du caveau, fasciné, possédé par l’idée d’y entrer, comme si sa propre vie l’attendait à l’intérieur. Ce n’est pas un hasard si cette fascination a des allures de désir interdit : l’attirance du vivant pour la mort, de la chair pour la poussière, de l’homme pour un passé qui n’est plus le sien. Dans ce texte, l’obsession est moins un élan romantique qu’une maladie du sang. Jervas revendique même un lien imaginaire avec les Hyde, persuadé d’être l’un des leurs, réincarné ou ressuscité à travers les siècles. À mesure qu’il s’abandonne à son délire, il dort à côté de la tombe, puis finit par y pénétrer, trouvant dans le cercueil vide une place toute désignée : la sienne. Bonne nuit les petits.



Le ton reste celui d’une confession fiévreuse, classique chez Lovecraft : le narrateur parle depuis un asile, conscient que ses mots paraîtront fous. Il affirme pourtant décrire des faits réels. Ce jeu entre la démence et le surnaturel est l’une des réussites du texte. Ce que Jervas croit voir (la lumière dans le caveau, la clé providentielle, le bal spectral des Hyde ressuscités) peut être lu comme les hallucinations d’un esprit brisé, ou comme les preuves d’un héritage maudit revenu le hanter. Certains critiques ont reproché à La Tombe un excès de prose ampoulée, des phrases interminables qui donnent à l’ensemble un parfum d’archaïsme. Mais d’autres y voient justement comme un charme. La maladresse stylistique devient presque un effet de style, une manière de brouiller la frontière entre le rêve et la réalité, entre le XIXe siècle décadent et l’horreur moderne. La version en bande dessinée est écrite par Bastian D.D et parvient bien à retranscrire le ton et la prose, en opérant des choix qui assurent une transition fidèle et efficace au format dont les Humanos sont de fervents défenseurs. Le dessin est confié à Nino Cammarata et c'est une grande réussite. Aussi bien quand la mise en page est classique, sous la forme d'un gaufrier régulier, que dans les splendides pleines pages ou les vignettes qui respirent amplement, le trait est élégant, soigné, ne souffre d'aucune baisse de régime ou approximation. On peut reprocher à La Tombe de n’être qu’un canevas encore rigide, un brouillon d’idées qui écloront plus tard. Le récit est parfois trop explicite, la psychologie esquissée sans profondeur. Mais l’essentiel se prête très bien à une adaptation en bande dessinée, l'image appuyant l'aspect lugubre et macabre des propos de Lovecraft, nous séduisant par sa préciosité. C'est beau et à conseiller vivement aux fans de l'écrivain de l'horreur.



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ZORRO D'ENTRE LES MORTS DE SEAN MURPHY : LE COFFRET CHEZ URBAN COMICS


 Zorro appartient à la culture populaire, mais aussi à une époque bien différente de la nôtre, à tous points de vue. Le personnage évolue dans le Mexique de la première moitié du XIXᵉ siècle, dans un univers de combats d’agilité menés à la pointe de l’épée, où dominent les chevaux, la ruralité et le pouvoir militaire. Mais la culture populaire est un phénomène cyclique : ce qui s’éclipse finit toujours par revenir, tel un satellite en orbite. Les mêmes bases, les mêmes recettes, mais revisitées, transformées pour s’adapter à leur temps. Or, depuis quelques mois, Zorro revient justement sur le devant de la scène, sous diverses formes. Côté comics, ce renouveau est (en partie) à mettre au crédit de Sean Murphy, l’un de ces dessinateurs un peu fous dont le style explosif et immédiatement reconnaissable a marqué plusieurs productions à succès, du White Knight au très bon The Plot Holes. Murphy a eu l’intelligence de ne pas raconter une énième aventure de Zorro dans le passé, mais de transposer le concept à l’ère moderne. Dans sa version, Zorro est devenu une légende que les habitants mexicains de la région de La Vega honorent et célèbrent chaque année pendant la fête des Morts. Mais cette ferveur contraste avec la peur quotidienne : la région vit sous la coupe des cartels de la drogue, responsables, vingt ans plus tôt, de l’assassinat d’un notable local. L’homme, alors en costume de Zorro pour les festivités, fut exécuté sous les yeux de ses deux enfants par un tyran surnommé El Rojo. Ce meurtre a laissé des traces profondes. La fillette, Rosa, a tout fait pour survivre, allant jusqu’à travailler pour les cartels qu’elle hait, tout en nourrissant une vengeance impossible. Son frère, Diego (le nom n’est évidemment pas un hasard), est quant à lui devenu muet. Il vit désormais dans un château transformé en musée dédié à Zorro, auprès de son grand-père. Là, il s’entraîne inlassablement, apprend à manier l’épée, à devenir un combattant accompli… prêt, peut-être, à incarner à son tour le justicier masqué qu’il vénère.



Le Zorro de Sean Murphy n’est donc pas un personnage réel. Il ne s’agit pas d’une réincarnation magique d’une icône de la pop culture, ressuscitée grâce à un prétexte fumeux, mais plutôt d’un descendant possible du justicier originel. Le jour où il reçoit l’épée ayant appartenu au héros légendaire, il se découvre investi d’une mission : libérer les siens, devenir l’étendard de l’espoir d’un peuple, en revêtant le célèbre costume noir. Le lecteur sourira souvent devant son langage fleuri et sa fausse naïveté, surtout lorsqu’il constate que les armes de ses adversaires ont, elles, bien évolué : fini les duels à cheval, place désormais aux véhicules blindés lourdement armés ! Pourtant, ce nouveau Zorro n’en demeure pas moins redoutable. Il accomplit pleinement sa tâche : inspirer les autres, devenir la figure de proue d’une rébellion née du désespoir, pour tous ceux qui refusent de plier l’échine et décident qu’il est temps de reconquérir une part de leur liberté confisquée. Murphy signe un scénario intelligent, quoique relativement simple. En quatre épisodes, il n’a pas vraiment le loisir d’approfondir son microcosme, mais compense largement par la puissance visuelle de son trait. Car sur le plan graphique, c’est tout simplement spectaculaire. Vous voulez de l’action ? Vous allez être servis. Vous voulez des compositions dynamiques, des prouesses plastiques, des planches qui claquent dès le premier regard ? Vous en aurez pour votre argent, croyez-moi. On retrouve le style nerveux et anguleux propre à Murphy : silhouettes saccadées, lignes saillantes, personnages massifs et burinés, à l’image d’El Cementiero, un Américain venu prêter main-forte aux rebelles. Ce Zorro moderne évolue dans une lumière sablonneuse, souvent nocturne ou filtrée par des lampes tamisées. Il bondit, frappe, esquive, se fond dans l’ombre comme une légende qui renaît sous nos yeux. Comment devient-on celui qui, sans doute, n’a jamais existé, mais incarne pourtant l’essence même du courage et des espoirs des humbles ? Telle est la question que pose Murphy. Et sa réponse est éclatante : voici Zorro comme on ne l’avait jamais vu, et pourtant comme une évidence. Sous la plume et les pinceaux de Sean Murphy, l’ancien justicier masqué retrouve tout son éclat et toute sa raison d’être. Urban Comics repropose l'ouvrage dans une version Deluxe. On y trouve 1 poster, 1 ex-libris, et Zorro de Sean Murphy avec une nouvelle couverture inédite, le tout dans un coffret, à 26,50 euros. 



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JUDGE DREDD : LES AFFAIRES CLASSÉES ET UN DIXIÈME TOME CHEZ DELIRIUM

 Le plaisir est rare, mais quand un nouveau volume de Judge Dredd débarque en librairie, inutile de jouer les blasés : on pose tout et on s’...