DEVIL'S REIGN 1 CHEZ PANINI : LA CULPABILITÉ DE DAREDEVIL


 Vous aurez beau tenter de changer le paradigme et de révolutionner le petit monde des super-héros, c'est en fait un univers cyclique, qui repropose régulièrement plus ou moins les mêmes trames, abordées sous un angle subtilement différent. Prenez Daredevil, par exemple; depuis que Frank Miller a posé définitivement les jalons du personnage, il est convenu que son existence croise la route de celle de Wilson Fisk, le Caïd, que sa double identité lui pose de sérieux problèmes, que la ninja Elektra soit tour à tour la compagne parfaite ou une ennemie problématique. Sans compter son sentiment de culpabilité écrasant! Le run de Chip Zdarsky continue donc avec Devil's Reign, ce que nous pourrions appeler le nouvel "événement Marvel", même si sa portée est moindre, car concernant avant tout les personnages que nous pourrions qualifier de "urbains". Les deux nouveautés récentes à appréhender avant de lire ces épisodes sont les suivantes : Fisk est désormais le maire de New York et il a tenté sans succès de se racheter une conduite en abandonnant ses activités criminelles. Au bout du compte, ça n'a pas empêché ses mains de plonger à nouveau dans le sang. Puis, il a épousé Typhoïd Mary. Elle aussi fait partie des ennemis récurrents de Daredevil et son instabilité mentale est une de ses caractéristiques principales. Il n'y a pas à dire, voilà de quoi former un joli couple. Ajoutons à tout ceci un énorme problème. Daredevil était parvenu à faire oublier à tous sa double identité; personne ne se souvenait plus qu'il est aussi l'avocat Matt Murdock, depuis qu'il avait eu recours à l'aide inespérée des enfants de l'Homme Pourpre. Mais voilà que la vérité a éclaté de nouveau dans l'esprit de Wilson Fisk, qui bien entendu a vraiment du mal à accepter d'avoir été manipulé de la sorte. Son sang ne fait qu'un tour et sa vengeance s'annonce d'ores et déjà terrible. 



En tous les cas, les temps sont durs pour les super-héros de la grosse Pomme; en effet une nouvelle loi les empêche d'exercer leurs activités diurnes ou nocturnes, ce qui n'est pas sans rappeler d'ailleurs l'acte d'enregistrement des super-héros qui avait caractérisé Civil War. Bien entendu, tous ceux qui ne respectent pas les exigences du maire, comme par exemple le Moon Knight dans le premier épisode, sont interceptés par une bande de criminels notoires (les nouveaux Thunderbolts), pour une fois aux ordres discutables de l'État, avec des types aussi intègres que le Rhino, Elektro (la version féminine) ou encore Shocker ou US Agent, spécialiste des mauvaises causes. Autre personnage d'importance à ajouter dans l'équation, le Docteur Octopus, qui travaille au service de Fisk, à moins que ce ne soit le contraire. Toujours est-il que tous les deux sont associés jusqu'à ce que le plus malin -ou le plus retord- trahisse l'autre, évidemment. On peut aussi y voir quelque part la culpabilité de Daredevil, car la situation qui vient à se créer est aussi en partie de son fait. Toujours est-il que la solution passe également par une action politique, ce qui est un message attendu, dans un pays qui sort de plusieurs années de trumpisme dans un tel état qu'il risque en fait d'y retomber assez rapidement. il faudrait donc un super-héros, ou en tous les cas un représentant de la communauté à super pouvoirs, pour s'opposer à la super capacité de nuisance du Kingpin, le maire actuel. Pour entraver sa réélection, Luke Cage -par exemple- pourrait-il être l'homme providentiel ? Zdarsky réalise un travail suffisamment soigné et cohérent pour nous maintenir en haleine jusqu'à la fin; néanmoins, on pourra lui reprocher ce que je reproche toujours aux récits qui veulent être trop réalistes, c'est-à-dire qu'en voulant coller à la réalité et assumer une trame géopolitique concrète, on finit par s'en sortir grâce à des subterfuges qui ne tiennent pas la route et qui laisse un sentiment d'amertume. Les super-héros ont-ils besoin de véritablement frayer dans un monde qui ressemble d'aussi près au nôtre, telle est la question. En tous les cas, le travail de Marco Checchetto est lui toujours aussi classieux, cliniquement froid mais joli à regarder. Ses planches -pour ceux qui aiment ce style- restent un plaisir esthétique évident. Pour ce qui est de Panini Comics, le choix a été fait de proposer cette saga sous forme de 3 numéros kiosque softcover, en incluant toute une série de tie-in dont l'intérêt est tout de même assez variable. À défaut d'être l'événement du siècle ou même probablement de l'année, Devil's Reign n'est pas dégueulasse, promis.






LE PODCAST LE BULLEUR PRÉSENTE : APRÈS LA CHUTE (SLAVA)




Dans le 134e épisode de son podcast, Le bulleur vous présente Après la chute, premier tome de la série Slava que l’on doit à Pierre-Henry Gomont, édité chez Dargaud. Cette semaine aussi, on revient sur l’actualité de la bande dessinée et des sorties avec :

– La sortie de l’album À l’orée du monde que l’on doit au scénario de Kapik, au dessin de Kim Consigny et c’est édité chez Delcourt

– La Sortie de l’album Quentin par Tarantino, album que l’on doit à Amazing Améziane et aux éditions du Rocher

– La sortie de l’album A short story, la véritable histoire du dahlia noir que l’on doit au scénario de Run, au dessin de Florent Maudoux et c’est édité au label 619 des éditions Rue de Sèvres

– La sortie de l’album Toutes les princesses meurent après minuit que l’on doit à Quentin Zuitton et aux éditions Le Lombard

– La sortie de l’album L’affaire Markovic que l’on doit au scénario de Jean-Yves Le Naour, au dessin de Manu Cassier et c’est édité chez Grand angle

– La réédition en intégrale de L’incroyable histoire du sexe, titre que l’on doit au scénario conjoint de Philippe Brenot et Laetitia Coryn, qui en signe aussi le dessin et c’est édité chez Les arènes BD



UNIVERSCOMICS LE MAG' #27 DE SEPTEMBRE 2022 : SANDMAN LA PUISSANCE DES RÊVES


 

UniversComics #27 de Septembre 2022
Gratuit 84 pages
Sandman la puissance des rêves
* Sandman chez Netflix , notre regard sur la série
* Comics oniriques, de Sleepwalker à Little Nemo in slumberland
* Sandman et #She Hulk aucun rapport? #AnthonyHuard prouve le contraire avec brio.
* #NeilGaiman met le cap sur 1602 avec #AlexandreChierchia
* #JeffLemire chez Futuropolis Un dossier spécial six pages sur un auteur d'exception. + Le labyrinthe inachevé.
* Le cahier critique, les sorties du mois écoulé. On file chez Panini Comics France pour du Thor et The Boys, chez Urban Comics pour le Green Lantern Corps et Get Joker! Chez Dargaud pour Asterios le Minotaure, chez Éditions Soleil pour Le Serpent à deux têtes, chez Éditions Delcourt pour Criminal.
* Le #VietNam Journal vol.5 chez Delirium Focus indispensable!
* Le meilleur de la Bd avec le podcast #LeBulleur qui fait sa rentrée! Par #EddyManiette
* Le retour de #IhateFairyland pour novembre.
* Portfolio : On part découvrir le travail de #HectorTrunnec
* Le petit guide sélection librairie VF pour septembre
Cover de #BennyKusnoto et identité graphique 5 étoiles de #BenjaminCarret
Un très grand merci à vous tous, pour votre fidélité. Ce Mag' est pour vous, gratuit, comme toujours. Pour nous aider, partagez sur les réseaux sociaux, parlez-en autour de vous. N'hésitez pas à nous laisser vos remarques et commentaires, qui sont toujours les bienvenus. Prochain Mag', si tout va bien, début octobre. Bonne(s) lecture(s) !

WARLOCK & LES GARDIENS DE L'INFINI : L'INTÉGRALE 1992-1993


 Adam Warlock a arraché les gemmes du pouvoir à Thanos, et ce faisant, il est devenu l'être suprême de notre univers. Un tel pouvoir ne sied pas à un simple mortel (même fabriqué artificiellement dans un laboratoire d'avant garde) et il est vite convoqué par l'assemblée des principales déités cosmiques, afin de restituer les gemmes. Mais Adam n'a pas l'intention de céder au chantage, et c'est lui qui décide avec qui partager ses incroyables facultés. Le groupe qu'il va mettre sur pieds est constitué de personnages mineurs, mais tous aussi succulents les uns que les autres : Drax et Dragon-Lune (cette dernière est sa fille, et elle a autrefois dû tuer son géniteur, qui fort heureusement ne se rappelle de rien, puisqu'il est devenu une brute sans cervelle), Pip (un troll dévoyé) et Gamora (la femme la plus dangereuse de l'univers), et encore un autre "gardien" mystérieux dont l'identité était de prime abord à découvrir dans les premiers épisodes. C'est l'incapacité potentielle de ces individus à être à la hauteur de leur tâche, et les relations humaines conflictuelles qui en découlent, qui font le sel de cette série agréable et chargée en nostalgie. Publiée à l'origine dans le mensuel Titans, nous étions toujours en attente d'une publication librairie française, jusqu'à cet été, de Warlock and the Infinity Watch. Les dessinateurs se succèdent malheureusement trop vite, et le style varie beaucoup d'un épisode à l'autre. Ainsi, la transition entre le tout premier (Angel Medina, très appliqué et au trait détaillé) et l'artiste suivant (Rick Leonardi, beaucoup plus personnel et clivant, même si excellent) est sous l'enseigne d'une variation radicale du style et de l'ambiance. Pourtant, on ne boude pas notre plaisir coupable.  


Adam Warlock n'est pas non plus réputé pour sa stabilité mentale, et d'ailleurs, dès le premier épisode, Jim Starlin nous présente un messie sur le point d'être déchu, convoqué devant une cour cosmique impressionnante, une audience demandée par Eternité lui-même, avant un jugement qui sera rendu par le Tribunal Vivant. Des pages inoubliables, avec des figures du panthéon cosmique Marvel qui ont laissé une empreinte indélébile chez tous les lecteurs qui ont connu cela en temps réel. La carrière de Warlock y est brièvement résumée et de toute façon, dès les épisodes suivants, il est question de Contre-Terre, de l'Homme Bête et du Maître de l'évolution. Des personnages qui viennent à rappeler combien Adam est en réalité ce qui ressemble le plus à la figure du Christ dans les comics Marvel. D'ailleurs, son parcours éditorial est composé de morts et de résurrections et ses attitudes, son discours, sont parfois les copies carbone de ceux du Christ. Toute cette joyeuse bande va finalement trouver refuge chez l'Homme Taupe (dans l'île aux Monstres), un autre de ces éternels incompris et malheureux, qui petit à petit semble passer du statut de maître des lieux à simple vassal, prix également dans la toile des machinations de Warlock. Comme déjà évoqué, un des fils narratifs les plus savoureux est probablement la crainte que ressent Dragon-Lune envers Drax; si celui-ci vient à recouvrer la mémoire et se rappelle la manière dont il est mort précédemment, et qui il est en réalité, il y a fort à parier qu'elle serait écrabouillée en quelques instants. Parmi les dessinateurs de la série, notons également Tom Raney. Celui-ci a tendance à développer des figures très souples, avec parfois des membres qui s'étirent comme des ballons de baudruche, mais j'ai toujours été attiré par l'effet final et l'impact de ses planches, que je trouvais à l'époque du plus bel effet. Avec le recul, les goûts évoluent, mais il reste tout de même un point de repère important pour le titre dont nous parlons aujourd'hui. Concrètement, ces épisodes sont donc directement consécutifs à ce que nous appelions alors le Défi de Thanos, c'est-à-dire Infinity Gauntlet, et c'est un plaisir réel de les voir éditer sous cette forme. À ceux qui en doutaient encore, nous vivons tout de même une époque formidable pour les propositions comics en librairie, entre nouveautés à jet continu et publications vintage de la sorte. Si vous avez comme moi la quarantaine, je sais que vous allez vous laisser tenter.

(Sortie cette semaine)





VIETNAM JOURNAL VOLUME 5 CHEZ DELIRIUM : L'OFFENSIVE DU TÊT


 Une des guerres les plus sales de l'histoire, le Vietnam, comme si vous y étiez. Non pas biaisée par un parti pris esthétique ou historique belliqueux, mais tristement réelle et affreusement prosaïque. Le tout raconté par un journaliste du nom de Scott Neithammer, que tout le monde en réalité surnomme "Journal". C'est déjà le cinquième tome pour l'œuvre majeure de Don Lomax, qui se concentre cette fois-ci sur la grande offensive du Têt. Pendant que la première compagnie de cavalerie aéromobile rassemble toutes ses troupes pour se déployer dans une autre région, vers l'ouest, l'armée Viet Cong est sur le point de déclencher ce qui sera une offensive meurtrière. Nous retrouvons Journal à Quang Tri, alors qu'il tente d'évacuer toute la misère dont il a été témoin de la manière la plus simple et pernicieuse, c'est-à-dire avec l'alcool et les femmes à bon marché. Seulement voilà, il va faire une rencontre qui va lui rendre une raison d'y croire encore. Un flic en civil, du nom de Harley Belmont, qui débarque pour remonter la piste de la drogue qui circule allègrement et fait des ravages parmi les combattants américains. La contre-offensive venue du Nord a démarré mais nos deux compères sont eux sur les traces d'un certain Rhein, l'homme derrière les stupéfiants. Une parenthèse, quasiment, quand on voit ce qui est en train de se jouer pendant le même temps. Le premier signe tangible est cette colonie de soldats que croisent Harley et Journal, en direction de la ville de Hué. Sur deux colonnes, un bataillon venu du nord, qui a de quoi donner des sueurs froides, sauf qu'il sont là pour du plus gros gibier. Très important pour la dynamique du récit, il faut aussi comprendre la période particulière de l'année. Nous sommes à Têt, une fête vietnamienne qui correspond plus ou moins à notre nouvel an, et qui a comme conséquence une démobilisation évidente des forces sudistes. Durant la nuit, la bataille s'engage, là où et quand personne ne l'attendait vraiment. 




Ça devait être la cité impériale de Hué, l'une des rares poches relativement pacifiée du Vietnam, cela devient finalement un champ de ruines, un terrain de bataille impitoyable où deux régiments de l'armée régulière nord vietnamienne ont ajouté leurs forces au combattants Viet Cong locaux. Outre sur la tragédie, qui voit un grand nombre d'êtres humains fauchés par l'impréparation et des ordres contradictoires et délétères sur le terrain, Don Lomax s'attarde aussi sur des tranches de vie plus personnelles, comme celle qui concerne Hung, un photographe normalement basé à Saigon et qui rentre chez lui uniquement pour perdre en apparence les siens. Les poches de résistance sont séparées, l'armée de la République du Vietnam et le commandement militaire américain sont les dernières options qui restent, au petit matin du 1er février, après une des pires nuits de l'histoire du conflit. Et la purge ne faisait que commencer. Des snipers cachés un peu partout, jusque dans les arbres, des explosions retentissantes et continuelles, des cadavres mutilés, et la sensation imminente que la mort est sur le point d'arriver. Au milieu de tout ça, des milliers de civils pris au piège. Lomax n'a nul besoin d'emphatiser les scènes de combat ou de chercher à rendre spectaculaire des actions de guerre héroïques, il se concentre sur la réalité du terrain, qu'il dépeint dans un style qui emprunte tout autant au réalisme qu'à la caricature. Les vignettes sont très souvent concentrées sur le visage des protagonistes, dévoilent les expressions comme la stupeur, l'effroi, la fatigue ou présentent les effets du combat, c'est-à-dire un brouillard continu, des coups de semonces et des débris. Ce cinquième volume est éprouvant, parce qu'il est dense; c'est une véritable traversée de l'enfer. Il semble s'éterniser, chaque pas amenant Journal et ses compagnons à se rapprocher de ce qui semble être leur mort certaine. Une chronique imparable et à hauteur d'homme, qui ne peut laisser aucun lecteur normalement constitué insensible. Le Vietnam Journal est puissant, car honnête, et factuel. Vraiment remarquable, et disponible dès maintenant chez Delirium. 






SUICIDE SQUAD GET JOKER ! AZZARELLO ET MALEEV FORMAT BLACK LABEL


 Jason Todd est mort. Même si en apparence, cela va beaucoup mieux depuis. Au cas où vous l'ignoriez encore, il s'agit du second Robin dans la chronologie des sidekicks de Batman, juste après Dick Grayson. Si le premier était bondissant et souvent joyeux, le second s'avérait taciturne, violent et issu d'un quartier malfamé, où il avait vécu une enfance malheureuse. Pire encore, Jason a terminé sa carrière de diablotin costumé à coups de barre de fer sur le crâne, assénés par un Joker au summum de sa cruauté. Certes, il n'est pas le seul responsable de cet effroyable assassinat puisque ce sont en fait les lecteurs eux-mêmes qui en avait décidé ainsi, à l'issue d'un sondage organisé par l'éditeur DC comics. Un petit rappel humoristique et sagace s'est glissé dans les dialogues, dès les premières pages de ce Get Joker qui nous intéresse aujourd'hui. Brian Azzarello nous présente un Jason Todd en cellule; clairement sa libération n'est pas prévue pour tout de suite, à moins que ne se produise un fait inattendu, comme par exemple la visite d'Amanda Waller, qui est aussi la directrice d'un projet très spécial, qui agit à l'abri des regards, dans l'ombre de tous les organismes gouvernementaux recensés. Le projet X est d'ailleurs beaucoup mieux connu sous l'appellation de Suicide Squad, ce qui est tout un programme. Waller décide alors de recruter Jason en lui proposant une importante remise de peine contre ses services. Pour l'aider dans sa mission, elle l'incorpore dans une formation composée majoritairement de seconds couteaux ou de dingos aussi méconnus que dangereux, à l'exception d'un personnage très appréciée de tous (les lecteurs), la pétulante Harley Quinn. Jason finit par accepter… Ah, comment..? Je ne vous ai pas dit ce qu'il est censé faire? Et bien, rien de bien spécial, trois fois rien, c'est-à-dire enfin se débarrasser du Joker, le clown du crime, qui passe plus de temps à s'évader ou en liberté, que derrière les barreaux. Nul doute que si on le supprimait une bonne fois pour toutes, les impôts des contribuables de Gotham en seraient particulièrement allégés…




La mini série de Brian Azzarello était bien sûr prévue à l'origine pour surfer sur la vague du succès espéré du film de la Suicide Squad, de James Gunn. Problème, si les deux premiers numéros sont sortis à l'heure, il a fallu attendre six mois pour que le troisième et dernier soit enfin proposé aux lecteurs; entre-temps, la hype était retombée. L'ensemble est particulièrement violent et construit comme un blockbuster d'action, avec toute une série de trahisons, de complots, jusqu'à l'apparition d'une autre formation de la Suicide Squad, qui vient se mêler à la bagarre générale (celle emmenée par Peacemaker, comme au cinéma, cela va de soi). Mais elle débarque comme un cheveu sur la soupe, sans que cela apporte grand-chose à l'histoire, si ce n'est obliger la bande de Jason Todd et le Joker à se retrouver bien plus proches qu'ils ne le pensaient au départ, c'est-à-dire tous menacés de se faire trucider, aussi bons ou méchants soient-ils. Les dialogue sont très crus, avec de très nombreuses insultes d'une planche à l'autre, parfois (dans les premières planches) remplacées par des signes typographiques qui font que le lecteur devra imaginer le terme de son choix, d'autres fois de manière directe et presque malaisante. Alex Maleev propose un travail soigné et qui correspond à ce que on peut attendre de lui et de son style particulier. De ce côté, il y a peu de choses à lui reprocher, si ce n'est l'apparence du Joker, avec ses petites cornes dessinées sur le front, qui ont tout de même un petit côté ridicule. Le vrai problème de Get Joker c'est qu'on a du mal à vraiment comprendre où veut en venir Aazzarello. S'il se passe toujours quelque chose et que les amateurs de comics qui défouraillent et analysent la situation après vont en avoir pour leur argent, les autres risquent d'être un peu déroutés, car en dehors de cette débauche armée, il n'est pas certain qu'il y ait vraiment quelque chose de pertinent à retenir. Du coup, on tient la une histoire qui sans être ennuyeuse ou totalement ratée, passe clairement à côté du grand potentiel de son sujet. Reste du Maleev sur le Black Label, et on a vu bien pire côté esthétique, je vous assure! Un argument qui pourrait alors vous convaincre d'acheter cet album, qui m'a fait l'effet d'une surprise avortée.





LE LABYRINTHE INACHEVÉ : LA GRANDE QUÊTE MÉTAPHYSIQUE DE JEFF LEMIRE


Le temps finit par tout effacer, même les drames intimes les plus déchirants. William Warren, qui travaille en tant qu'inspecteur des travaux publics, a perdu le goût de vivre le jour où sa petite fille est morte, il y a de cela une dizaine d'années. Depuis, William s'est perdu; son épouse a fini par le quitter, il mène une existence en solitaire et ne semble plus posséder le moindre rêve, la moindre l'ambition. Chose encore plus terrible, il se rend compte qu'il est désormais incapable de convoquer le visage de Wendy, sa fille, dans sa mémoire. S'il parvient encore à saisir certains détails de leur existence ensemble, comme ce pull-over rouge trop grand et tout miteux qu'elle adorait porter, ses traits, son sourire, son regard tout simplement, lui sont désormais inaccessibles. L'histoire prend un tour particulièrement étonnant, pour ne pas dire inquiétant, durant une nuit somme toute banale. William reçoit un appel téléphonique masqué et il se décide finalement à répondre, après avoir refuser de décrocher la nuit précédente, à la même heure. Au bout du fil, la voix qui lui demande de partir à sa recherche, jusqu'à atteindre le "centre" est celle de Wendy, sa fille. Comment est-il possible que la jeune morte entre en communication de cette manière? S'agit-il d'une hallucination, des prémices de la folie, d'une douleur si grande qu'elle fait déraisonner celui qui la ressent? Jeff Lemire déroule une fois de plus certains des thèmes fondateurs de son œuvre, comme les rapports familiaux, la mort, la solitude. Nous sommes ici dans la veine la plus personnelle et intimiste de l'auteur canadien, celle qu'il a patiemment creusé à travers des albums inoubliables comme Jack Joseph, soudeur sous-marin (la ressemblance est presque frappante) ou encore Essex County. La grande passion de Wendy pour les labyrinthes est l'élément portant de ce qui va être une longue quête métaphysique, pour un homme, un père de famille qui a laissé la tristesse et le désespoir l'enfermer dans une prison sans murs, mais sans horizon. "Trouver le centre", ne serait-ce pas aussi se retrouver, tout simplement? 




Le labyrinthe c'est le lieu où on se cache, où on se perd, c'est aussi à l'image de l'existence de tout un chacun. Il est bien rare d'entreprendre ce genre de voyage et d'atteindre le but fixé au premier coup, sans avoir besoin de faire demi-tour, sans se leurrer par endroits, sans devoir même recommencer du début, lorsqu'on s'aperçoit qu'on est dans une impasse totale. L'existence de William en est arrivée à ce point; une perte si dramatique et si inacceptable pour lui qu'il n'a dès lors cessé de dériver, et a laissé au temps qui passe le soin de le porter, de l'annuler, au gré des événements, au point de ne plus savoir où il est ni qui il est, d'ailleurs. Pour une fois, cette histoire ne se passe pas dans une province reculée du Canada, mais dans une ville, à Toronto, et l'architecture même de la cité, la modernité urbaine, participe activement à cette histoire, tout comme en partie ça pouvait être un peu le cas dans les tous premiers épisodes de Gideon Falls, par exemple. Mais ce n'est pas une œuvre si sombre que cela, car l'auteur canadien nous présente toujours un espoir en toile de fond, que l'on peut apercevoir comme une lumière blafarde derrière les nuages cotonneux d'un jour de brume. Il est là, et pour peu que l'on sache regarder dans sa direction, c'est-à-dire entreprendre une traversée courageuse du labyrinthe, il est possible de trouver le réconfort, la solidarité et même pourquoi pas l'amour. La poésie du quotidien a toujours une double face chez Lemire; elle est capable de vous montrer ce qu'il y a de pire et de plus déchirant, et en même temps de vous prouver qu'il existe son contraire, la beauté, si on se donne la peine de la chercher. Jeff Lemire fait tout tout seul, comme dans certaines de ses œuvres les plus abouties. Pour les dessins, il ne s'embarrasse pas de fioritures; conscient de ses propres limites en la matière, c'est surtout l'émotion, les sentiments qu'il est capable de transmettre de manière extraordinaire : les visages sont ainsi ébauchés en apparence seulement, mangés par des lignes qui cherchent à en dessiner la physionomie concrète. Il y a parfois un subtil changement de couleur, quand on passe d'un univers réel à un autre un peu plus métaphysique, ou onirique, et le fil rouge qui traverse le récit est à prendre au sens littéral et figuré, puisque cette quête intime et familiale prends aussi l'aspect d'une corde rouge, comme un fil infini qui se déviderait du pull-over élimé de la jeune Wendy. Derrière tout cela, quelques touches à l'aquarelle enrichissent les cases, qui jouent beaucoup sur les silences, la lenteur, une manière cinématographique de tourner autour des personnages. Il y a d'infinis possibilité de se tromper dans ce Labyrinthe inachevé, comme il y en a dans la vie, mais la seule certitude selon Jeff Lemire, c'est qu'il n'y a aucune chance d'en atteindre le centre si l'on ne se met pas en mouvement et si on n'entreprend pas l'aventure, avec la certitude et même la nécessité de pouvoir parfois se tromper, se corriger, recommencer, mais toujours avancer. Une leçon philosophique et artistique de tout premier ordre à dévorer dès cette semaine chez Futuropolis.






PEACEMAKER TRIES HARD : BOUFFONNERIE, SATIRE ET SOLITUDE

Le super-héros ringard et super violent Christopher Smith (alias Peacemaker) sauve un chien errant après avoir neutralisé un groupe de terro...