PETITS CONTES MACABRES : TERREUR DE GROUPE AVEC HARREN ET SES AMIS


 Petits Contes Macabres, c’est comme un bon vin sorti de la cave : un mélange de saveurs, parfois doux, parfois corsé, mais toujours surprenant. Dans le Londres de 1843, Eric Powell, l’architecte de ce projet qui a l'ambition de vous filer la chair de poule, invite trois sommités du comic book, Michaël Mignola, Becky Cloonan et James Harren, à une veillée d’histoires macabres devant un feu crépitant. Entre joutes verbales et anecdotes inquiétantes, les quatre artistes dévoilent un univers sombre et fascinant, tout en gardant un sourire complice. Enfin, complice jusqu'à un certain point : sans vouloir vous gâcher la conclusion, disons que les quatre convives ont aussi des différences de point de vue assez notables, qu'ils entendent exposer et résoudre de la pire des manières. Ce recueil s’organise autour d'un fil rouge : Powell et ses invités introduisent chaque histoire avec des commentaires mordants et un soupçon d’autodérision. Sans cela, point de tourte, distribuée après un bon petit récit. À tour de rôle, les auteurs prennent ainsi la parole, chacun des artistes ayant de la sorte l'occasion d'apposer sa signature graphique et narrative à ces Petits Contes Macabres publiés chez Delcourt. Les styles sont variés mais sont tous unis par des dessins impeccables et une colorisation de Dave Stewart (sauf Powell, qui a préféré jouer en solo pour son récit). On a droit systématiquement à une jolie caricature/illustration de chacun des dessinateurs, en guise d'introduction, et les défauts et tics de personnalité sont croqués avec un humour décapant. Les récits eux-mêmes sont sombres, bien troussés, et ne laissent guère de place aux disgressions inutiles. On file au but et c'est très bien ainsi. 



"Les Yeux dans l'Obscurité Primordiale" ouvre le bal. Powell et Harren nous entraînent dans une aventure steampunk victorienne où un docteur ambitieux et un ingénieur un peu fou s’aventurent dans l’espace. Mais une présence spectrale hante leur vaisseau… Mars peut attendre, car l’horreur a déjà pris place à bord. C'est surtout la tension psychologique qui domine, avec un zeste de science sans conscience. "Le Kelpie", signé Becky Cloonan, plonge dans une ambiance plus terre-à-terre, mais non moins effrayante. Dans un village isolé, un fantôme surnommé le Kelpie rôde. Ceux qui s’approchent trop près de cette créature finissent par disparaître. Quand il débarque un soir avec son cheval et tout ruisselant à la porte du logis d'une charmante demoiselle, on comprend que la rencontre ne va pas être sans conséquences funestes. "La Nuit du Jabberwock", par Mike Mignola, est une aventure entre rêve et réalité. Un homme, au coin du feu, partage un souvenir étrange avec sa famille : une rencontre qui défie la logique et le temps. Mystérieux et typiquement "Mignolien". Avec un langage qui oscille entre verbiage victorien et élucubrations linguistiques. Si vous ne comprenez pas tout, personne ne vous en voudra, j'ai moi-même des doutes à ce sujet.  Enfin, "Le Cadeau du Major Courtenay", une création du seul Powell, revient à l’époque victorienne avec une histoire de noblesse, de secrets, et… d’intrus inquiétants. Quand un vieil ami et son domestique débarquent, le manoir devient le théâtre de révélations surprenantes. Les invités décident de coucher dehors, dans une tente, et semblent bien décidés à ne pas entrer dans la somptueuse demeure. Et lorsque ça se produit, c'est le drame ! Dans l’ensemble, Petits Contes Macabres est une déclaration d’amour au genre fantastique et horrifique. Les amateurs de frissons et de récits surnaturels trouveront ici de quoi nourrir leurs insomnies, tandis que les fans des auteurs apprécieront le mariage harmonieux entre leurs styles distincts. Et si le ton des histoires est inégal, le charme opère, au point qu'on regrette la faible pagination de l'ensemble. Alors, à défaut de fantômes dans votre salon pour les fêtes de fin d'année, voilà un petit cadeau apprécié : digne compagnon d'une lecture hivernale, près de la cheminée, pourquoi pas accompagnée d'une tasse de thé bien fumante. Si vous optez pour avoir de la compagnie, vérifier bien qu'elle sera un peu plus inoffensive que celle qui déroule les contes de cet album !


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L'APPEL À CTHULHU : LE TALENT DE NORM KONYU CHEZ BLACK RIVER


 Croyez-moi, écrire une critique conventionnelle sur cet album relève de l’exploit. Pourquoi ? Parce qu’il ne s’agit pas d’une histoire traditionnelle. Non, ici, nous sommes face à un ouvrage qui met avant tout en lumière le talent artistique de Norm Konyu. Et quel talent ! Ses illustrations, souvent pleine page, sont d’une beauté renversante, dignes d’être encadrées et accrochées dans un musée. Au fil des pages, on découvre une série d’allusions aux œuvres d’H.P. Lovecraft : des romans célèbres, des scènes cultes, tout cela mis en images avec un sens de la composition qui force le respect. Et c’est… tout simplement magnifique. Mais ce n’est pas qu’un régal pour les yeux. Un petit texte accompagne ces illustrations. Une prose humoristique qui repose sur un appel téléphonique des plus absurdes. Oui, au beau milieu de la nuit, quelqu’un ose réveiller Cthulhu, la créature maléfique, pour lui expliquer pourquoi il la déteste. Avec détails, exemples et toute la rancune du monde. Imaginez Cthulhu décrochant son téléphone pour écouter ça ! Rien que l’image est déroutante. Et, ne vous inquiétez pas pour la logistique – comment Cthulhu entend la conversation ou répond au combiné – l’artiste s’en occupe, et ça marche comme sur des roulettes. L’idée est brillante : dresser à la fois un portrait satirique de ce monstre terrifiant et une critique, indirecte mais appuyée, de l’œuvre et de son créateur, H.P. Lovecraft. Et là, difficile d’éviter un détour par les zones d’ombre de l’auteur, qui, disons-le franchement, ne manquent pas. Parler de Lovecraft sans évoquer son penchant pour certaines idées, assez… nauséabondes ? Dans le contexte actuel, où des figures bien moins problématiques ont été clouées au pilori pour beaucoup moins, il est presque miraculeux que Lovecraft conserve une place sur l’autel des icônes littéraires.



Alors oui, je l’avoue sans rougir (ou presque) : je n’ai jamais aimé Lovecraft. Voilà, c’est dit. Ne tapez pas trop fort, ça fait mal. Mais reconnaissons-le, même si ses idées et son style me laissent de marbre, cet album parvient à transformer tout ça en un véritable plaisir visuel et narratif. Et rien que pour ça, il mérite qu’on s’y attarde. D'autant plus que tout le processus créatif est disséqué minutieusement dans une partie de "bonus" qui est aussi conséquente que celle consacrée aux illustrations. Vous pouvez y trouver une interview très complète, des exemples de la manière dont Norm Konyu passe du sketch préparatoire au fignolage de sa production sur Photoshop. C'est pertinent car à première vue, le procédé peut sembler simple, voire naïf. Or, il n'en est rien, et on se rend compte de la tâche avec toutes ces précisions nécessaires. Black River propose donc un ouvrage qui ressemble surtout à un artbook. En version originale, le travail de Norm Konyu avait été proposé sous la forme d'un financement participatif, qui était déjà dans la poche au bout de soixante minutes. C'est devenu une véritable production grâce à Titans Book, et aujourd'hui c'est disponible en français. On pourra juste émettre, à défaut de réserves, quelques doutes sur certains choix de traductions qui auraient pu être plus inspirés. De même, on attend avec beaucoup d'intérêt ce que proposera l'éditeur dans les mois prochains. Nous avions un peu l'impression d'une pause prolongée, ces temps derniers, et d'un manque de direction claire dans la ligne éditoriale. Ce type de livre est peut-être une ressource à explorer pour le futur. 




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COSMIC DETECTIVE : POLAR ET SCIENCE-FICTION AVEC LEMIRE, KINDT ET RUBIN


Jeff Lemire et Matt Kindt, les démiurges derrière Cosmic Detective (chez Delcourt), avaient initialement décrit l'œuvre comme "un mystère saupoudré de science-fiction épique qui pose la question: quand un dieu est assassiné, qui résout le crime ?" Malgré cette accroche intrigante, il n'est en réalité pas question de religion, ni même de creuser dans tout ce qui pourrait caractériser une créature d'essence divine. Les "dieux", dans cette histoire, sont simplement une race extraterrestre si avancée par rapport à la nôtre qu'ils apparaissent comme tels. C'est l'illustration parfaite du principe selon lequel "toute technologie suffisamment avancée est indiscernable de la magie". Reste la véritable interrogation, qui pourrait bien tuer une telle créature ? D'autant plus que cela ne se produit jamais, tout du moins personne n'est jamais mis au courant. Voilà donc une mission périlleuse et complexe pour le héros, dont le nom reste inconnu tout au long de l'album. Son enquête suit une trame assez classique de polar pulp : le détective interroge ses informateurs habituels, se fait tabasser pour ses questions qui dérangent, et suit différentes pistes, une à une. Ce qui distingue l'ensemble, cependant, c’est qu'il baigne dans un quotidien et s'appuie sur des trouvailles et des rebondissements qui ont tout à voir avec la science-fiction. Dans Cosmic Detective, on tombe sur des voitures volantes et des pistolets laser; on plonge également dans des concepts fascinants comme les voyages inter dimensionnels et des réflexions vertigineuses sur la réalité. On peut même, en ouvrant le capot d'un véhicule garé dans un parking souterrain, avoir accès à une sorte de base opérationnelle secrète. Et c'est loin d'être tout ! Quand on pénètre enfin le domaine des aliens (faute d’un terme plus précis), l’esthétique sombre et parfois oppressante des dessins de David Rubin s’efface pour laisser place à une technologie extraterrestre éblouissante et incompréhensible. 




Nous pourrions rapprocher l'ambiance que dégage ce Cosmic Detective du film Blade Runner (le premier, le vrai), qu'on aurait couplé aux fantasmagories propres à l'univers des Éternels de Jack Kirby, et pour cause ! Tout au long de ce graphic novel, l’influence de Kirby se fait largement sentir, mais sans jamais donner l’impression d’un faible pastiche. La dédicace dès l'ouverture est assez éloquente. Les New Gods, les Éternels, ont démontré que notre média préféré est ouvert à tous les possibles, toutes les audaces, qu'on peut faire tenir un univers dans une graine (une arme redoutable utilisée dans Cosmic Detective) ou abriter sur notre planète des créatures inimaginables et très puissantes, sans que le quidam moyen ne se doute de ce qui se trame vraiment, de quelle est sa vraie (et terriblement tragique) place dans le grand ordre des choses. Cela étant dit, si Cosmic Detective  explore des concepts familiers à la poétique de Kirby, la manière dont l’histoire se déroule fait qu'il s'en émancipe franchement. Kirby parvenait à condenser un maximum d’intrigues dans un espace minimum, ce qui était une des caractéristiques des comics d'autrefois, où chaque numéro s'avérait d'une grande densité, au point qu'on pourrait le décliner en un trade paperback de nos jours. À l’inverse, le travail conjoint de Jeff Lemire et Matt Kindt prend son temps. De nombreux plans contemplatifs permettent aux lecteurs de s’imprégner des décors et de l’ambiance. Tout comme des double splash pages de folie, des illustrations qui font sens dans leur bizarrerie, leur capacité de vous emmener ailleurs, de vous faire sentir étranger en terre étrangère. Et puis, nous sommes bel et bien face à un vrai polar, certes fantastique, certes dotée d'une conclusion glaçante et métaphysique. L’atmosphère joue dans ces pages un rôle clé, tout comme la suggestion, la volonté de rêver, de s'abandonner, de ne pas chercher à tout savoir, forcément. Un drôle de trip, quoi !



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AVENGERS TWILIGHT : LE CRÉPUSCULE DES HÉROS


 C’est à travers Captain America que nous pénétrons dans cet album, plongés dans un univers sombre où le crépuscule des héros est déjà consommé. Ce choix n’a rien d’anodin : il suffit d’observer ce qu’est devenue l’Amérique, et, par extension, le monde, dans ce futur lointain. Un futur où les super-héros que nous connaissons ont été neutralisés, certains définitivement, à la suite d’un événement dramatique ayant causé des millions de morts, notamment lors de la destruction tragique de Boston. Steve Rogers, désormais privé du super-sérum, est un vieil homme affaibli par une maladie cardiaque et des genoux fragilisés. Pourtant, il conserve intact son idéalisme et son amour pour la patrie. Mais parlons-en, de cette patrie : ses valeurs semblent renversées, les pires mensonges sont devenus vérités assénées, chaque jour. Ainsi, Crâne Rouge, autrefois l’ennemi juré de Captain America et un des pires criminels nazis de l’histoire, est désormais présenté dans les médias comme un héros incompris. Selon cette réécriture absurde de l’Histoire, il aurait tenté d’arrêter Hitler avant que le pire ne survienne. C’est bien sûr complètement délirant. Mais, à bien y réfléchir, est-ce si différent de notre monde réel ?Aujourd’hui déjà, nous assistons à des manipulations massives de la réalité : des tortionnaires ou collabos deviennent des résistants dans les discours officiels, et des partis politiques ayant collaboré avec le régime nazi se présentent comme les nouveaux champions de l’antiracisme et de l'antisémitisme. Chip Zdarsky n'invente rien, en fin de compte. Mais il observe, finement. Dans cet univers (pas si) dystopique, les chaînes d’information servent de relais à une propagande orchestrée par les élites financières. Ici, c’est le fils de Tony Stark et de la Guêpe, ainsi que le frère de Jarvis (la vérité à son sujet, il faut lire cet album pour la comprendre) qui tirent les ficelles. Richissimes, ils exploitent sans scrupules le génie de Tony Stark, réduit à une forme minimale, conservée dans un caisson. Pendant ce temps, une équipe de pseudo-Avengers, à la solde du gouvernement, masque les pires atrocités pour préserver une illusion de paix auprès du public.


Ce récit évoque un petit côté Earth X. Dans cet univers futuriste imaginé par Zdarksy, les super-héros sont fatigués, leurs corps usés par les combats et le poids des années. Prenons Luke Cage, par exemple : désormais presque prisonnier de sa forme indestructible, il reste invulnérable, mais peine à marcher sans aide. D'autres, comme Kamala Khan, la jeune Miss Marvel, ont choisi de se retirer. Devenue une mère de famille responsable, elle affirme avoir laissé son costume au placard. Pourtant, des témoignages anonymes laissent entendre qu'elle n'a peut-être pas totalement raccroché. Face à cette situation, c'est évidemment Captain America qui prend les choses en main. Sa mission : rassembler ces figures brisées, raviver leur flamme et leur rappeler la signification profonde de la liberté – et, par extension, de ce que représentent les États-Unis d'Amérique. Le scénario peut être vu comme une claque à l’encontre de ceux qui voudraient réduire les lanceurs d'alerte au silence. Il cherche à éveiller les consciences et à mettre en garde contre un glissement insidieux vers des gouvernements autoritaires, une menace qui plane sur de nombreux États occidentaux. La peur, comme toujours, pousse les citoyens à abandonner certaines libertés fondamentales en échange d'une protection illusoire. Dans Avengers Twilight, cette protection est-elle réelle ? Elle repose sur des super-héros factices, tandis que les véritables défenseurs de la justice sont impitoyablement traqués. Côté visuel, Daniel Acuña sublime cette œuvre avec ses dessins spectaculaires. Certes, sa mise en couleur saturée peut désarçonner, mais les amateurs apprécieront ses planches, riches en détails et saisissantes. Ses personnages, malgré leurs corps épuisés, deviennent héroïques en quelques cases, et ses scènes d'action explosent dans une ambiance crépusculaire digne des plus grands. En somme, cet album est un incontournable pour tout connaisseur de l'univers Marvel, en cette fin d'année.


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VENOM THE LAST DANCE : UN DERNIER VOLET (IN)DIGNE DES DEUX AUTRES ?


 Certes, peut-on vraiment afficher une surprise sincère, en sortant des salles obscures ? Il s'agit tout de même du troisième Venom et les deux premiers n'ont pas laissé un souvenir impérissable dans l'histoire du genre, bien au contraire. On peut les classer, sans prendre trop de risques, dans ce que la production super héroïque sur grand écran a engendré de pire. On peut même affirmer qu'il y avait trois types de personnes qui attendaient de pied ferme cette dernière danse : tout d'abord, le spectateur particulièrement indulgent ou dont la capacité de discernement est clairement abolie. Ensuite, celui qui se rend en salle pour des raisons plus ou moins professionnelles, avec l'obligation de chroniquer ou d'avoir vu le film (nous sommes dans ce cas de figure, ce n'est pas drôle tous les jours). Enfin, ceux qui aiment se faire du mal, une forme de masochisme artistique irrépressible, qui pousse ensuite à se plaindre alors qu'il était largement possible d'anticiper le piètre spectacle. Ce troisième opus débute tambour battant avec une scène explicative pour que tout le monde comprenne qui est Knull, d'où il sort et ce qu'il veut : ça fait un peu didactique, c'est extrêmement sombre et probablement un peu difficile à appréhender, pour celui qui ignore tout de ce personnage. Pied de nez complet puisque cet ennemi si puissant restera là où il est est durant tout le film ! La transition est ensuite assez abrupte : dès la seconde minute du film, nous entamons le chapitre blagues potaches/discussions absurdes entre Tom Hardy/Eddie Brock et son symbiote, dans un gros numéro de cabaret indigne de ce que devrait être normalement cet anti-héros sanguinolent. Mais voilà, vous le savez tous, le Venom de Sony est une sorte de grosse marionnette pas si méchante que cela, qui aime le chocolat, danser et manger des cerveaux, non sans avoir auparavant choisi avec soin les sujets à dévorer. Last Dance, c'est donc en définitive un film bancal et décousu, avec une histoire minimale qui réussit, malgré tout, à plonger les spectateurs dans les abysses de la perplexité. Qui regorge de scènes totalement dépourvues de logique, même approximative, et de personnages unidimensionnels qui agissent sans la moindre cohérence. Le méchant ? Inexistant ou totalement insignifiant. Knull menace mais reste sagement au chaud, les limiers qu'il envoie sont de grosses bêtes brutales et sans personnalité. Chouette alors. Les effets spéciaux ? Médiocres. Les scènes marquantes ? Vous n'en trouverez pas. Vous trouvez qu'on est sévères ? Mais non, à peine… 




Un film à fuir, alors ? C’est d’ailleurs ce que fait Tom Hardy durant tout le film : courir, hagard et malmené, d’une situation absurde à l’autre, qu’il s’agisse d’attaques d’aliens, d’humains, de l’armée ou même d’une famille lambda. Venom The Last Dance est avant tout un pur Tom Hardy show. Tous les autres personnages en sont réduits à des apparitions anecdotiques, surgissant sans contexte ni explication, comme le Dr. Payne joué par Juno Temple, dont le rôle se limite à un exposé narratif censé donner une vague cohérence aux enchaînements d’événements et ajouter une touche d'émotion surfaite. Le film accumule également les clichés les plus improbables : une famille hippie qui, sans aucune difficulté, infiltre la Zone 51 (un trou dans le grillage, je ne blague pas) et manipule des armes secrètes avant de disparaître comme si de rien n’était. Sans oublier des tentatives de comédie complètement ratées, comme cette scène kitsch où Mme Chen se lance dans une danse ridicule, ou Eddie Brock en voiture, avec la famille précédemment citée, pour un karaoke bien long et lourdingue, sur du David Bowie. Malgré tout, et c’est là son paradoxe, Venom The Last Dance est tellement décomplexé et dernier degré qu'il peut aussi séduire. Avec moins de deux heures au compteur, il enchaîne à vive allure les séquences, sans laisser de temps pour réfléchir aux incohérences qui pullulent. Et si l’on accepte ce chaos, quelques scènes peuvent vraiment sortir du lot, comme toutes les fois où Venom est pris en chasse, avec une série de transformations délirantes (le symbiote s'empare d'un cheval, d'une grenouille…) qui vont plaire aux plus jeunes dans la salle. Tom Hardy, fidèle à lui-même, livre une performance impeccable. Certes, on ne peut s’empêcher de regretter qu’il n’ait jamais eu l’occasion d’interpréter un Eddie Brock plus profond et nuancé. Mais il est évident qu’il s’est follement amusé dans ce rôle. Et c’est grâce à son talent que cette production désordonnée et imparfaite parvient à tenir (rarement) debout. Qu’il s’agisse des scènes d’action chaotiques ou des gags souvent maladroits, Hardy réussit à insuffler une tendresse improbable qui donne envie de pardonner, en partie, l'indigence des trois films. Au milieu de ce joyeux bordel, le troisième volet ne perd pas de vue son objectif : conclure dans la folie cette sorte de buddy movie extraterrestre initié par Hardy et Sony. Le final, à la fois juste et efficace, offre une conclusion satisfaisante pour une histoire de ce genre. Mais promis, on en restera là, hein, pas de blagues ? Du coup, ceux qui ont détesté les deux premiers volets pour mille et une raisons ne reviendront probablement pas sur leur jugement. Mais Venom: The Last Dance a une petite chance de faire sourire ceux qui n'ont qu'un seul objectif en vue, un blockbuster pour mettre le cerveau en pause et faire défiler sur grand écran des pages truffées de symbiotes qui se croisent. Comme aller s'empiffrer d'un bon gros burger à trois étages dans la chaîne de fast food la plus proche. La mayonnaise coule de partout, le cholestérol s'affole et le demi litre de coca ne va aider à une saine digestion du menu XXL. Mais vous n'y allez pas pour une dégustation de fin gourmet, ou alors c'est vous qui êtes profondément incohérents. 


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LE PODCAST LE BULLEUR PRÉSENTE : LA 3e KAMERA


 Dans le 187e épisode de son podcast, Le bulleur  vous présente La 3e Kamera, titre que l’on doit au scénario de Cédric Apikian, au dessin de Denis Rodier et c’est édité chez Glénat dans la collection, 1000 feuilles. Cette semaine aussi, je reviens sur l’actualité de la bande dessinée et des sorties avec :

- La sortie de l’album Les météores que nous devons au scénario de Jean-Christophe Deveney, au dessin de Tommy Redolfi et le tout est édité chez Delcourt

- La sortie du deuxième tome de la série Inoubliables que l’on doit à Fabien Toulmé et qui est édité chez Dupuis

- La sortie du 7e tome de la série Les aigles de Rome, un série que l’on doit à Enrico Marini et aux éditions Dargaud

- La sortie de l’album Eurydice que signe Lou Lubie au scénario, Solen Guivre au dessin et qui est édité chez Delcourt

- La sortie de l’album Les femmes ne meurent pas par hasard que l’on doit au scénario de Charlotte Rotman qui suit l’avocate Anne Bouillon, au dessin de Lison Ferné et c’est publié aux éditions Steinkis

- La réédition en intégrale du Spirou que l’on doit à Émile Bravo baptisé L’espoir malgré tout, un titre paru aux éditions Dupuis.



 
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SOMNA : LE PLAISIR DÉMONIAQUE DE CLOONAN ET LOTAY


 Somna est sous-titré Une petite histoire avant de s'endormir, pour une raison évidente à la lecture, dès les premières pages : l'œuvre explore les rêves, le sommeil et la frontière floue entre les deux. Mais plus encore que tout ceci, il s'agit d'une réflexion sur le danger de la sexualité des femmes dans une société où l'homme décide ce qui est bon, pur, possible pour elles, instaure des limites et des tabous, pour mieux les contrôler et en faire "leurs choses". Le diable, qui rend visite à la jeune Ingrid dans ses songes, ne fait qu'exploiter les failles déjà présentes dans cet univers patriarcal qui entend réduire la femme à son rôle de créature ingénue et soumise, et donc sans envies et sans sexualité assumée. Ingrid est une jeune femme mariée, ignorée par son mari, malgré ses nombreuses supplications. Ironiquement, l'époux n’est pas repoussant ou impuissant, mais il semble totalement désintéressé par la femme très séduisante qui l’attend, seule, dans leur lit glacé. Roland n’a d’yeux que pour la chasse aux sorcières, ce grand péril qui menace la communauté dans laquelle le couple évolue. C'est lui qui a la charge de repérer les nouveaux dangers, les nouvelles femmes à brûler vive. Au fil des pages, on finit par croire que le diable existe. Et si ce n'est pas réellement lui, que nous sommes devant une figure démoniaque qui exhorte Ingrid dans ses rêves à accepter et recevoir le plaisir. Il insiste pour lui offrir un orgasme, un acte qui, à lui seul, constitue une menace capitale pour l’ordre établi. D'ailleurs, Roland n'est pas si dupe, quand des petits bruits équivoques le réveillent au beau milieu de la nuit.  Autre personnage important dans ce récit à ne pas mettre entre toutes les mains : Maja, l’amie et confidente d’Ingrid, qui entretient de son côté une liaison avec Sigurd, le mari d'une "sorcière" qui vient tout juste d'être sacrifiée sur la place du village, une certaine Greta. Le diable décide de révéler à Ingrid l’adultère de son amie, et cette découverte va déclencher une spirale tragique où les cadavres s’accumuleront et où l’ombre de la mort va accompagner tout ce joli monde. L'ignorance crasse et la superstition au service d'une vision masculine du plaisir féminin, c'est-à-dire de sa négation. Une femme qui souhaite jouir, librement, exister sexuellement, ne peut qu'être possédée, c'est bien connue. 



Somna est le fruit d'une équipe artistique exclusivement féminine. Becky Cloonan, qui s’occupe de la majeure partie du « monde réel », démontre qu'elle a vraiment atteint une forme de maturité enviable. Elle excelle dans la représentation des costumes d'époques, apporte un soin méticuleux aux détails. Tula Lotay, en revanche, se concentre sur les rêves. Ses planches sont construites sur un modèle différent et plus libre, elles privilégient des gros plans suggestifs : des mains, des visages, des corps dans des poses lascives. C'est elle qui doit insuffler la charge érotique puissante qui porte toute l'œuvre et elle y parvient particulièrement bien ! Son usage de couleurs vives confère à la plupart des scènes un attrait tentateur et onirique bienvenu, et le lecteur parvient vite à ressentir ce qui faire peur et dans le même temps attirer irrésistiblement Ingrid, qui accepte l'inavouable et y succombe rêve après rêve. Car oui, Somna parle de sexe, et bien que les dessins ne soient pas non plus pornographiques (des caresses appuyées, des corps nus qui s'étreignent, mais les parties intimes restent dans l'ombre) les scènes de passion physique sont celles qui rythment l'ensemble, qui caractérisent l'évolution du personnage féminin, qui vont aussi amener à sa chute. Un choix narratif et thématique qui sied parfaitement au style de Lotay, dont le travail a toujours porté une dimension érotique affirmée, visible même dans ses couvertures d’œuvres dites grand public. Une tension émerge entre ce que les deux artistes essaient de raconter et cette sensualité omniprésente. Les personnages féminins, et occasionnellement masculins, sont des objets de désir magnifiés, ils sont tous beaux, esthétisés, sauf le prêtre libidineux qui est une caricature de cette religion abjecte dans sa volonté de dominer grâce à l'hypocrisie. Le démon existe bien, mais il est à trouver dans le cerveau malade de ceux qui voudraient nier l'accès à la sexualité, plutôt que dans la luxure présumée de celles qui acceptent d'embrasser le plaisir physique, comme la plus naturelle des choses. Somna a remporté l'Eisner Award de la meilleure nouvelle série, cet été à San Diego. Venant de la culture puritaine et chafouine par excellence, la récompense n'en a que plus de prix. Il s'agit aussi, soulignons-le, du premier album targué Delcourt, qui adapte en Vf des histoires publiées chez DSTLRY, un nouvel éditeur qui compte dans son catalogue naissant et à venir des poids lourds du secteur. L'ouvrage est d'une beauté évidente, et brille comme un cadeau implacable. 



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