UNIVERSCOMICS LE MAG' 29 : BLACK PANTHER LES COMICS AU WAKANDA


 

UNIVERSCOMICS LE MAG' #29
Novembre 2022
84 pages - Gratuit

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#Lire en ligne :

#BlackPanther Les comics au #Wakanda
- Black Panther, le dossier du mois
- Guide de lecture, T'Challa dans les comics #Marvel
- #BlackAdam le film, critique complète
- Portrait héroïque, #CarolDanvers avec #AlexandreChierchia
- L'actualité en VO, les chroniques en direct des States
- Le cahier critique du mois, avec les review des albums choisis. Reckless et Ultramega chez Éditions Delcourt Inferno et le Silver Surfer chez Panini Comics France du Batman, Primordial et the Plot Holes de Murphy chez Urban Comics la suite excellente de Copra de Michel Fiffe chez Delirium ou encore la fin de La Belgica chez Editions Anspach
- Le podcast #LeBulleur vous présente le meilleur de la Bd, sept pages pour tout savoir des sorties du moment
- Preview : Batman Le Film 1989, les premières pages, chez Urban Comics
- Preview, nouvelle série pour les #FantasticFour
- Portfolio, à la découverte du super Fabiano Ambu
- Petite sélection des sorties Vf de novembre

Un grand merci à celles et ceux qui nous lisent, nous soutiennent, nous supportent, chaque mois. Ce Mag' est pour vous. Cover Panther de grande classe signée #BenjaminQuinajon soumise aux talents graphiques de Mighty Benjamin Carret comme toujours.

Contrairement au Fight Club, rappelez-vous la règle : Le Mag', on en parle, et à tout le monde. Partagez sur les forums, les réseaux, avec vos amis, au supermarché, dans la cour de récré. C'est la seule manière de nous aider (encore que les dons sont les bienvenus) et de vous garantir un prochain numéro en décembre. D'ici-là, bonne lecture.

LE PODCAST LE BULLEUR PRÉSENTE : LA DERNIÈRE REINE


 Dans le 138e épisode de son podcast, Le bulleur vous présente La dernière reine, album que l’on doit à Jean-Marc Rochette, édité chez Casterman. Cette semaine aussi, on revient sur l’actualité de la bande dessinée et des sorties avec :

- La sortie de la seconde partie de Vernon Subutex, l’adaptation du roman de Virginie Despentes par Luz, un album sorti chez Albin Michel

- La sortie de l’album Le ciel pour conquête que l’on doit à Yudori et aux éditions Delcourt

- La sortie de l’album Vénus à son miroir que l’on doit au scénario de Jean-Luc Cornette, au dessin de Mattéo et c’est édité chez Futuropolis

- La sortie de l’album Le match de la mort que l’on doit à Pepe Gálvez au scénario, Guillem Esriche au dessin et c’est édité chez Les arènes BD

- La sortie de l’album Une romance anglaise que l’on doit au scénario de Jean-Luc Fromental, au dessin de Miles Hyman et c’est édité chez Dupuis dans la collection Aire libre

- La réédition du Dracula de Georges Bess qui adapte ici le roman de Bram Stocker dans un ouvrage disponible aux éditions Glénat.





INFERNO : JONATHAN HICKMAN BOUCLE SES VALISES


 Inferno. Pour les lecteurs les plus anciens, la référence est évidente, c'est-à-dire une des sagas mutantes les plus célèbres des années 1980, avec des démons venus d'un autre plan d'existence qui envahissent New York. Sans oublier la Goblin Queen qui fait des siennes! Pour les autres, rien de grave, car il s'agit ici d'un récit totalement différent, qui vient  apporter une conclusion à la prestation de Jonathan Hickman sur les X-Men. Plutôt que le mot prestation, il serait bon de dire révolution, tant le scénariste a su chambouler l'ordre établi pour proposer quelque chose de fort différent de ce qui existait avant lui. Alors bien sûr, cette mini série en quatre parties publiée d'un coup dans un softcover d'une épaisseur remarquable ne sera pas accessible à celui qui n'a absolument rien lu ces dernières années. Par contre, si vous vous êtes contentés des tout débuts, c'est-à-dire House of X / Powers of X, vous aurez tout de même un point de vue global et satisfaisant sur la situation, d'autant plus que Hickman vous apportera les éléments qui vous manquent au fur et à mesure, même si de façon parcellaire. Les faits les plus importants sont les suivants : les mutants sont établis sur l'île de Krakoa et forment une nation capable de damer le pion au grand pays de ce monde. Ils ont trouvé un moyen de contourner la mort et à chaque fois que l'un d'entre eux connaît une fin tragique, il revient très vite sur scène, dans un nouveau corps qui conserve les souvenirs et la personnalité de celui qui est tombé au champ de bataille. Si tout n'est pas parfait, néanmoins nous sommes loin des X-Men traqués et en déroute que nous avons lus souvent, auparavant. Il y a toutefois une condition importante à tout cela : qu'aucun mutant doté du pouvoir de lire l'avenir ne puisse se balader sur Krakoa, encore moins Destiny, qui dans une vie précédente a chassé et brûlé (avec  sa compagne Mystique) la généticienne Moïra MacTaggert, qui est désormais une mutante au pouvoir bien particulier. Elle aussi peut renaître si elle meurt, mais à chaque fois, c'est l'existence tout entière qui disparaît, puis reprend, réécrite, alors qu'elle garde les souvenirs de ses expériences précédentes. Tout ceci compose le substrat nécessaire pour aborder Inferno avec profit.



Ce sont donc les secrets et la petite cuisine interne dans le gouvernement mutant qui vont provoquer les failles menaçant l'édifice tout entier. Moira, Magneto mais aussi le Professeur Xavier, un triumvirat qui va devoir faire entrer dans l'équation un quatrième personnage très important en la personne d'Emma Frost. Mais voilà, la Reine Blanche n'est pas du genre à accepter qu'on se joue d'elle pendant si longtemps, avant finalement qu'on la mette dans la confidence, quand il n'y a plus grand chose d'autre à faire. Ce n'est pas exagéré de dire que nous passons à deux doigts d'un cataclysme majeur, qui aurait pu réécrire l'histoire entière des X-Men. Au lieu de cela, Jonathan Hickman laisse bien entendu à son successeur le soin de compléter l'édifice, qui dispose donc de fondations solides et d'un lectorat renouvelé, globalement séduit par tout ce qui a été fait durant ces trois dernières années. En fait, cette mini série vient se rattacher directement aux attentes qui étaient celles que nous avions tous au départ, c'est-à-dire les relations politiques et économiques qui unissent ou séparent Krakoa et le reste du monde, ainsi que les différentes lignes narratives (ou de réalité) causées par les différentes existences de la généticienne McTaggert. Tout ceci n'avait jamais finalement été affronté de manière aussi directe et il fallait alors attendre ce final, pour qu'enfin nous ayons les idées un peu plus claires concernant la grande tapisserie d'un scénariste exigeant. Le dessin est remarquable et associe Stefano Caselli, Valerio Schiti et R.B Silva, avec quelques planches ou situations qui sont extraites des tout premiers moments de HoX/PoX, dont nous avons déjà parlé dans la première partie de cette critique. On appréciera le rythme et le rendu visuel de ces quatre épisodes, qui passent régulièrement d'une situation à l'autre, de Krakoa à l'incursion de Magneto et de Xavier dans la base de Nemrod, tout comme nous apprécions le retour sur scène de Destiny, visiblement rajeunie, qui peut désormais reprendre le fil de son histoire sentimentale avec Mystique, sur des bases aussi romantiques que dramatiques. Encore quelque chose de réjouissant, le rôle que joue Cypher alias Doug Ramsay dans cette histoire; lui qui au départ était un mutant assez inoffensif, dont le seul pouvoir était de comprendre et pratiquer tous les langages du monde, se retrouve désormais au centre de l'échiquier, capable de prendre des décisions et de mûrir une réflexion qui n'a rien à envier à celle de Machiavel. Mais un Machiavel porté par le bien et l'utilité publique. Un personnage qui protège donc l'éthique de mutants qui ces temps derniers ont découvert que pour atteindre la plénitude de leur potentiel, puis conserver un havre de paix, ils pouvaient bien mettre de côté la morale, au profit d'une organisation non pas immorale, mais amorale, c'est-à-dire se plaçant en marge de ce que l'on attend d'eux, avec l'assurance que lorsqu'on possède de tels pouvoirs et une telle technologie, l'hégémonie est un défaut mineur pour interpréter et aborder le monde. X-Men rules! 






PRIMORDIAL : L'ODYSSÉE DES ANIMAUX DANS L'ESPACE DE LEMIRE ET SORRENTINO


 Puisqu'à nouveau les tensions entre les Etats-Unis et la Russie rythment notre quotidien, quoi de plus pertinent que de replonger dans la bonne vieille époque de la guerre froide, ou pour être plus précis, la course à l'espace? Dans les années 1950, les animaux servent déjà de cobayes, y compris pour ce qui est des mystères de la conquête spatiale. Là où il serait trop dangereux et encore incertain d'envoyer des hommes, une chienne ou des primates peuvent parfaitement faire l'affaire. Petit retour en arrière et récapitulatif pour ceux qui n'aiment pas l'histoire : En 1957, l'Union soviétique a lancé la fusée Spoutnik 2. À l'intérieur se trouvait Laika, la célèbre chienne, qui est devenue ainsi le premier être terrestre vivant à orbiter autour de la Terre. Malheureusement, le voyage de Laika n'est pas des plus transparents ni des plus déontologiques, comme le prouve le traitement cavalier qu'elle a reçu pendant le processus de préparation et, surtout, sa mort rapide après le lancement de Spoutnik 2. En 1959, ce sont cette fois les États-Unis qui lancent leur dernière fusée en date dans l'espace. À l'intérieur se trouvent deux singes nommés Able et Baker. Une fois encore, les animaux maltraités sont également morts dès qu'ils ont atteint l'espace. Ou tout du moins, c'est ce qu'on nous a raconté jusqu'ici. Car il y a ceux qui remettent en question la version officielle de l'histoire. En pleine guerre froide, alors que la course à l'espace entre les États-Unis et l'URSS devient de plus en plus cruciale, cela peut sembler assez étrange et inattendu que les deux principales puissances mondiales décident d'arrêter complètement leurs programmes spatiaux, du jour au lendemain. Beaucoup de temps et d'argent avaient été investis; il n'y avait aucune raison impérieuse de fermer les robinets. Et si quelque chose de grave, de déconcertant, qu'il vaudrait mieux cacher à l'opinion publique, avait fortement influencé cette décision? Amis complotistes, vous avez une heure pour répondre. Jeff Lemire emploie de son côté six épisodes pour donner sa version. Tout commence avec un flashback, et l'entrée en scène d'un certain professeur Donald Pembrook. Bardé de diplômes, le type est heureux d'être convoqué pour examiner les archives de la conquête spatiale. Il entrevoit alors un tournant dans sa carrière. Sauf que ce qu'on attend de lui, c'est juste de faire "le ménage" pour ne conserver que les outils éventuellement recyclables pour le gouvernement américain. La grosse désillusion. 


Au milieu de tant de documents inutiles, Pembrook trouve quelque chose qui retient son attention : c'est une disquette. Un enregistrement des signes vitaux des singes qui ont été envoyés dans l'espace. Le gouvernement américain a signalé à l'époque que les deux animaux étaient morts peu de temps après le lancement. Clairement, Pembrook n'est pas d'accord avec ce qu'il découvre : selon ces relevés scientifiques, les singes étaient encore vivants lorsque le vaisseau est entré en orbite. Le chercheur décide de passer quelques appels pour rapporter ce qu'il a découvert, mais ces coups de fil, loin de résoudre quoi que ce soit, ne font que soulever encore plus de questions. Le lendemain, alors que Pembrook se trouve devant l'immeuble où il travaille, un homme à l'allure mystérieuse s'approche de lui et lui demande de monter dans une voiture… un enlèvement en bonne et due forme, qui va l'amener à rencontrer une ancienne collaboratrice russe du projet Laika, qui s'était alors occupée avec amour de la malheureuse chienne perdue dans l'espace. Tous les deux vont devenir des cibles, car même s'ils en savent peu, c'est déjà beaucoup trop pour les services secrets et leurs objectifs de discrétion absolue. Pendant ce temps-là, le lecteur ébahi se rend compte que nos trois animaux sont bel et bien vivants, qu'ils ont acquis une forme de conscience inédite, qui leur permet de communiquer, et qu'ils cherchent le moyen de… rentrer sur Terre! Avec des influences assumées (au niveau de l'esthétique) comme 2001 : l'Odyssée de l'espace, Lemire et Sorrentino nous conduisent par la main à travers une œuvre de grande et de petite envergure à la fois. Il y a de grands concepts, des idées qui pourraient bien passer au dessus de la tête de pas mal de lecteurs, qui jouent avec notre compréhension de l'espace et du temps. Mais rien ne se superpose jamais à ce qui fait vraiment évoluer l'intrigue : son noyau émotionnel. Quelque chose d'aussi simple que les liens forts qui peuvent unir un chien et son maître. L'universel au service de l'intime. Des existences insignifiantes au service d'un album qui aborde l'immensité infinie de la réalité. Andrea Sorrentino nous séduit une fois de plus avec un travail exceptionnel. Des compositions de pages originales, une narration dynamique et un style très personnel; une fois de plus on remarque à quel point Lemire et lui se complètent à merveille. La capacité de l'italien à mélanger espionnage et science-fiction, dans une synthèse visuelle cohérente, est admirable et la lisibilité est toujours notable, même quand l'artiste tend à l'abstraction.  Mentionnons également la couleur du sensationnel Dave Stewart, qui permet à Sorrentino d'atteindre son potentiel maximum. Urban Comics nous fait le plaisir de publier Primordial dans un format oversized qui fait que nous profitons au mieux de cette beauté, qui à défaut d'apporter toutes les réponses, nous plonge dans les limbes délicieuses du mystère conceptuel de la réalité, et probablement, de la création artistique. 




BLACK ADAM : ANATOMIE DU DERNIER FILM DC/WARNER


 Une fois n'est pas coutume, commençons notre critique de Black Adam par une adresse toute particulière aux lycéens, qui vont trouver en exergue à notre discours un petit florilège d'adjectifs bien pratiques pour acquérir du vocabulaire, et à replacer, à l'occasion, dans une future dissertation. Black Adam (le long métrage) est inepte, inconséquent, nicodème (pardon à ceux qui portent encore ce prénom) ou encore gourdiflot. Pour faire court, il ne brille pas par son intelligence. Certes, ce n'est pas non plus ce qu'on lui demandait, à la base. Il s'agit là d'un bon gros blockbuster à l'américaine, pour lequel on été investis presque 200 millions de dollars, et dont la génèse s'étale sur une bonne décennie, entre hésitations compréhensibles et insistance douteuse. Black Adam, c'est la rupture avec le super héroïsme de papa, le côté boy-scout des défenseurs de l'ordre et de la justice; un type quasi invulnérable dont la colère et la vengeance sont des carburants de premier choix, jamais taris. Qui plus est, celui qu'on nommait autrefois Teth-Adam n'a rien du modèle américain traditionnel, et sa patrie est le Kahndaq, une version fantasmée de l'Egypte, l'Iraq ou de la Palestine, qui une fois portée au cinéma souffre d'une inconséquence coupable. Ce petit territoire impossible à situer sur une carte géographique est aux mains d'une bande de malfaiteurs high-tech, Intergang, une mafia 2.0 qui contrôle les points d'accès, les ressources naturelles, et la sécurité intérieure. Apparemment, le Kahndaq ne possède pas de gouvernement (c'est assez étrange), pas de police, ni même de religion officielle. Sur ce dernier point, on laisse planer un énorme flou, qui est aussi une manière d'éviter de traverser en terrain miné, ou si vous préférez d'éluder, faute de bonnes idées. Ceci étant dit, la région possède sa propre légende, celle d'un esclave qui a su insuffler l'espoir en des jours meilleurs, il y a plusieurs millénaires de cela. Un type qui a été investi de pouvoirs surhumains, sur le même modèle que Shazam, par les mêmes sorciers généreux (c'est du moins la version officielle), et qui s'en est servi pour faire le ménage à sa manière, c'est à dire en jetant l'eau du bain et le bébé par la même occasion. C'est que celui qui fut Teth-Adam n'avait rien d'un pacifiste. Issu d'un peuple réduit en esclavage, il a vu sa famille souffrir puis périr, et il en a conçu comme une certaine acrimonie, qui l'a poussé à perdre un tantinet son calme légendaire. Puni pour sa véhémence, le surhomme a été emprisonné, avant d'être réveillé en 2022 par une archéologue imprudente, à la recherche d'une couronne mystique. Tout ceci nous est expliqué dans les premières minutes, par un texte récité très didactique, la version National Geography de DC Comics, truffé d'ésotérismes bon marché qui fleurent bon le grand n'importe quoi, pourvu qu'on en arrive à la conclusion inévitable, c'est à dire Dwayne Johnson dans son costume, furibard. 




Black Adam, c'est aussi (surtout, pour beaucoup d'entre vous) la Société de Justice. D'Amérique, convient-il d'ajouter. Ou tout du moins, une version de poche, exportable en territoires ennemis, dans la plus grande discrétion. Exit le groupe dont la vocation est de former une grande famille, et où les générations se succèdent dans le respect, la tradition et la transmission. Place à quatre aventuriers mandatés par une Amanda Waller réduite à l'état d'apparitions furtives sur un écran, qui obéissent servilement, à grand renfort de sortilèges et de coups de tatane. Hawkman assure la partie logistique et la distribution de testostérone, sans qu'il soit possible de bien cerner de quel Hawkman il s'agit, quand on est lecteur de comic books (en gros, c'est dans le film une caricature de Tony Stark avec des ailes, qui aurait fait de la salle et soulevé de la fonte pendant des mois, tout en respectant les impératifs du casting, c'est à dire donner de l'espace aux "minorités visibles"). Son ami et probable mentor est le Docteur Fate, qui use et abuse de tours de passe-passe déjà présentés dans Doctor Strange in the Multiverse of Madness, incarné par un Pierce Brosnan gentil papy énigmatique. Les autres invités sont des novices, recrutés en intérim, et peinent à trouver de la place dans un scénario qui leur réserve uniquement des instants d'humour décalé (Atom Smasher est un gentil benêt un peu gauche, clairement dépassé. Vous avez dit Ant-Man in reverse?) ou de poésie visuelle stérile mais agréable à regarder (l'explosion multicolore des pouvoirs de Cyclone, elle aussi passée à la moulinette des nouveaux standards consensuels, en matière de représentation). Nous frémissions déjà : une équipe américaine intervient au Moyen-Orient, dans un contexte explosif, pour capturer une sorte de dieu irascible qui entend incarner la soif de justice de tout un peuple opprimé? Mais c'est une vraie épopée géopolitique, un pamphlet anticapitaliste et impérialiste, un drame social, qui est sur le point de nous être offert! Nous n'en demandions pas temps, merci Warner, merci DC. Sauf que Jaume Collet-Serra n'en a rien à faire de tout cela, du matériau brut qui lui est confié pour l'occasion. Avec lui, la Justice Society ce sont quatre soldats un poil bourrins qui incarnent l'ordre et l'autorité, qui sont prêts à casser trois douzaines d'œufs pour faire une omelette pour deux personnes. Les libertés individuelles et les subtilités des us et coutumes de ceux et ce qui se dressent sur leur chemin? Au cachot, l'Amérique et la paix dans le monde le valent bien! Et puis c'est un blockbuster pour adolescents qu'on nous inflige là, nul besoin d'ambitionner un ours d'or à Berlin. Tout penauds, nous regardons la montre… encore quatre-vingt dix minutes de film à torcher, et deux gros paragraphes pour ce qui est de notre critique de l'extrême. 




Arrêtons-nous quelques instants sur l'acteur principal de ce film, à savoir Dwayne Johnson. Ancien catcheur et lutteur, il a tenté de porter le projet à bout de bras, qu'il possède particulièrement musclé. Taillé comme un tronc de séquoia, sculpté dans la fonte, il a tout pour incarner un super bourrin sur grand écran, capable de résoudre l'intégralité des problèmes de la planète avec une paire de bourre-pif bien assénés. Certains pourront lui reprocher un manque d'expressivité mais le Black Adam que nous avons devant les yeux n'a rien d'un philosophe des Lumières. Il n'est pas là pour deviser sur l'injustice sociale ou l'inexorabilité du temps qui passe, mais pour exprimer sa colère et sa frustration, de la manière la plus élémentaire qui soit, c'est-à-dire avec ses poings. En fait, je vais être honnête et vous dire que je le trouve bon dans ce rôle; c'est d'ailleurs probablement un des points forts du film, si on se donne la peine de gratter en profondeur pour en découvrir. Clairement, notre Adam Noir est loin d'être un super-héros, mais il est complètement impossible de voir en lui un super méchant. Déjà parce que son histoire familiale n'est pas des plus heureuses et qu'elle aurait de quoi titiller le plus calme des moines tibétains, mais en plus, l'inflexibilité et l'antipathie innées que transmet Hawkman dans ce long métrage font qu'en retour, son antagoniste apparaît comme baignant dans la bienveillance. Il faudrait être foncièrement malhonnête pour ne pas noter le charisme sculptural et la conviction tranquille que place The Rock dans cette interprétation quasi littérale, tant le héros adapté à l'écran semble en réalité le prolongement de l'identité de son acteur, qui même en fronçant les sourcils ne se résume jamais à un bad guy en proie à une furie homicide. Quelques touches drolatiques finissent même par se transformer en un running gag naïf mais qui peut prêter à sourire (la recherche d'une punchline, d'un slogan à réserver aux ennemis vaincus, mais qu'il ne parvient pas à placer au bon moment, dans le bon contexte) le devoir sacré d'un justicier qui s'adapte peu à peu aux méthodes et à la philosophie d'un siècle qu'il découvre. Encore que cette dernière phrase pourrait être sujette à caution, tant le décalage temporel et culturel est mal exploité, avec un Black Adam qui comprend très (trop) vite ce qui se trame autour de lui. Plutôt que de dormir dans une stase magique, probablement a t-il passé ces dernières années sur Twitter à scruter les différentes tendances du réseau asocial par excellence? 




D'une manière générale, le film veut dégager une image sombre. Pour cela, il n'hésite pas à dérouler par moments des scènes totalement surnaturelles, voire horrifiques, entrecoupées de touches d'humour qui n'atteignent pas toujours leur cible. Ça peut-être déroutant et franchement hors sujet, comme dans la dernière partie, lorsque le spectateur découvre une horde de squelettes qui se jettent sur la population. On ne comprend pas trop en quoi ces cadavres ambulants peuvent être utiles à celui qui les convoque (gardons le silence sur ce point précis, pour ne pas spoiler le final du film), étant donné qu'il suffit d'une gifle ou d'une légère brise pour qu'ils se brisent en menus morceaux. Nous sommes au même niveau improbable, voire méprisant, que l'armada des petits Asgardiens, que Thor investit de son pouvoir pour affronter Gorr, dans le déconcertant Love and thunder. Parlons-en, alors, de la population du Kahndaq; les us et coutume locaux, les particularités des habitants, tout cela est rapidement passé à la trappe. Les jeunes font du skate, les adultes sirotent un thé à la menthe (ou une bière) en terrasse, on a plus l'impression de voir une partie de l'Upper East Side de Manhattan, hâtivement reconstituée au Moyen-Orient, qu'une vraie nation orientale ou africaine, fière de son passé et de ses traditions. Le Kahndaq est un théâtre totalement artificiel qui sert juste de prétexte pour raconter une histoire qui ne se déroule pas sur le sol américain; à aucun moment le réalisateur ne prend en considération le potentiel incroyable de ce genre de choix narratif. Si Black Adam et la Société de Justice avaient décidé de se battre comme des chiffonniers au fin fond de l'Amérique Latine ou en Lettonie, je vous assure que l'effet aurait été le même. Alors, pourquoi ce film est-il aussi important, si on écoute nombre de commentateurs? Parce qu'il s'agit des prémices du futur univers cinématographique DC, qui a enfin décidé d'apprendre de ses erreurs. C'est en ce sens qu'il fallait attendre la fameuse scène bonus, celle qui fait toute la différence entre le spectateur entré par hasard dans la salle et ceux qui savent et attendent patiemment leur petit pousse-café digestif. Et là, grande surprise, Henry Cavill nous confirme qu'il reprend du service, que Superman n'est pas très content d'apprendre que Black Adam a fait des siennes, et que vraisemblablement les deux vont se taper dessus (avant de se rabibocher devant un gros hot-dog au ketchup), ce qui nous promet un autre grand film d'une profondeur inégalée, qui sera probablement réalisé par un orfèvre du genre, comme Apichatpong Weerasethakul ou les frères Dardenne. Tout cela nous fait sourire car à l'heure où nous écrivons ces lignes, nous apprenons juste que le grand ménage a enfin été effectué dans la division cinématographique de DC, et que c'est désormais James Gunn qui hérite de la patate chaude, lui qui jusqu'ici peut présenter une copie presque sans faute, des Gardiens de la Galaxie à la dernière mouture de la Suicide Squad, sans oublier l'irrévérence loufoque de la série Peacemaker pour HBO. Certes, entre-temps, le type s'est fait expulsé des Marvel Studios pour avoir balancé quelques tweets poil à gratter et malaisants. Mais dans la mesure où il a particulièrement bien rebondi, soigné sa réputation et son compte en banque, et désormais pris du galon, l'impression est que pour une fois, l'erreur est du côté de la bande à Mickey. Restons donc confiant et soyons un peu bienveillant. Je ne vous déconseillerais pas de vous rendre en salle pour assister à une projection de Black Adam; après tout c'est votre argent, votre budget, et si vous souhaitez profitez de la tiédeur des salles obscures sans avoir à beaucoup réfléchir, vous pourriez même vous sentir dans votre élément. 






ULTRAMEGA : LES KAIJUS DE JAMES HARREN CHEZ DELCOURT


 Voici enfin venir chez Delcourt Ultramega, dont le titre tient autant de l'hyperbole réjouissante que du pléonasme surprenant. Derrière des créatures géantes qui ne sont pas sans rappeler des sortes de Bioman (ou mieux encore X-Or, si vous avez comme moi de bons souvenirs des années 80) se cache une série singulière écrite et dessinée par James Harren, qui récupère des idées et des concepts désormais éculés pour en faire quelque chose qui va au bout de ses idées et innove. Vous savez tous ce que sont les Kaijus, ces gros monstres japonais qui sèment la terreur lorsqu'ils apparaissent dans les grandes villes. Ici, ils sont en réalité le résultat d'une infection venue de l'espace, qui frappe aléatoirement les terriens. Pour faire face à la maladie et contrer les terribles kaijus qui dévorent tout ce qui bouge et semblent avides de destruction, une entité extraterrestre est apparue en songe à trois terriens et les a dotés de pouvoirs formidables. L'un d'entre eux devient un super technicien qui fabrique des robots pour lutter contre la menace endémique, un autre a quelques peu disparu des radars et s'est mis en retrait, le troisième (Jason) est au centre de la grande première partie de notre album, puisque c'est lui qui va au charbon et fait face au chaos engendré par les kaijus. Cependant, sa propre histoire familiale finit par engendrer une menace d'un niveau encore plus puissant, qui va nécessiter l'union de tous ceux que l'on nomme les Ultramegas, dans un combat dantesque qui dépasse de très loin ce que vous avez pu lire dans le genre. En général, ça se termine toujours bien, avec des héros qui trouvent une parade en utilisant leur super pouvoirs, c'est-à-dire des coups de poing atomiques ou des inventions fantasmagoriques. Ici, attendez-vous à être choqués car ça va plutôt se terminer les tripes à l'air. Et l'artiste, déjà connu pour sa grande dextérité et son amour des ballets sanglants et gigantesques, décide de faire très fort et de ne pas ménager les effets. L'ensemble est donc percutant et risque de laisser des traces durables sur vos rétine exposées.



Après des débuts en fanfare qui dégoulinent d'hémoglobine, la seconde partie change un peu de ton et se concentre sur la société post-kaijus, des années après le terrible affrontement qui est décrit dans les 60 premières pages. L'avenir est bien sombre et les humains qui subsistent sont clairement dépendants de la société des kaijus, qui entre-temps connaît elle aussi une certaine forme de décadence. Les gros monstres d'autrefois ont désormais des dimensions beaucoup plus modestes et se repaissent de sortes de jeux du cirque modernes, organisés dans une arène appelée le Koliseum, avec un k s'il vous plaît. Si tout la partie médiane de l'album ralentit donc au niveau du rythme, les événements s'enchaînent et repartent de plus belle vers la fin, pour une conclusion provisoire qui reprend les éléments de départ, c'est-à-dire des tripes, de la baston à n'en plus finir des scènes choc. Harren semble énormément s'amuser avec cette nouvelle créature et il faut dire la vérité, la plupart du temps, il parvient à nous maintenir en éveil, non seulement avec un dessin ultra énergique, une sorte de croisement entre Mignola, Darrow et Warren-Johnson, mais aussi une histoire qui n'hésite pas à secouer les intestins du lecteur et ne ménage pas tous les protagonistes qui peuvent un instant occuper la scène. Du coup, si vous savez ce que vous allez lire, vous ne serez pas déçus; le côté récréatif et grand guignolesque de l'ensemble est très efficace, excellemment mis en images et présenté dans une édition à la hauteur par Delcourt, avec un grand format cartonné luxueux qui propose également toutes les belles variant covers à la fin. Ultramega chouette?






COPRA VOLUME 3 : LES PORTRAITS DÉCOMPOSÉS DE MICHEL FIFFE (CHEZ DELIRIUM)


 Aussi dysfonctionnelle qu'elle puisse être, la bande des joyeux drilles de Copra forme une unité dont le rôle est de mener à bien des missions qui passent en dessous le radar de tout le monde; c'est extrêmement périlleux et tous ceux qui participent ne sont que des pions à sacrifier sur l'autel d'une cause qui n'est pas forcément toujours très noble. Alors parfois, vient le besoin de souffler entre deux opérations d'importance. Chacun peut retrouver sa vie, son existence, ou tout du moins ce qui en fait office et parfois ça n'est vraiment pas grand chose. Lloyd, par exemple, doit encore composer avec la mort de son fils, qu'il n'a toujours pas digérée, et comme en plus il a de sérieuses raisons de penser qu'un autre membre du groupe porte sa part de responsabilité, le voici alors engagé dans une course vers la vengeance. Comme il le dit lui-même en fin d'épisode, il se focalise sur un petit point noir dans un océan de néant et se raccroche à ce point. Un personnage qui n'a plus de repère et qui en conséquence est capable de tout, y compris le pire. Patrick "Wir" Dale passe pour sa part le plus clair de son temps dans une armure high-tech, qui lui permet de briser ses adversaires. Mais quand il en sort, c'est un homme somme toute banal qui doit composer avec sa famille, et notamment ceux qui sèment le trouble et deviennent une menace pour la tranquillité des siens. Insensible sous sa forme mécanique, il devient par contre l'objet de passions et pulsions humaines quand il abandonne sa carapace. Et tant pis pour ceux qui n'ont pas compris qu'il y avait des limites à ne pas franchir, surtout quand il s'agit de rôder dangereusement autour de sa grand-mère. Ce volume trois s'attarde également sur le personnage de Gracie. Nous la retrouvons en Floride, sur la piste de trafiquants de drogue, mais aussi du terrorisme anti cubain. Plus encore que dans les deux premiers numéros de ce tome, il y a beaucoup d'action et de violence dans ces pages ou Michel Fiffe continue de se divertir grandement. Plus qu'un attachement atavique au réalisme des personnages, c'est sa manière de raconter l'histoire sans entrave, avec un style personnel et inédit, qui s'avère réjouissant. On trouve toujours de nouvelles petites inventions, comme par exemple l'insertion du nom des personnages sous forme d'onomatopée o d'ajouts qui se fondent dans la planche, là-même où ils apparaissent. Parfois à l'économie, sans avoir besoin du moindre trait de trop, Fiffe va droit au but, sans forcément emprunter les chemins auquel le lecteur est habitué.



Avec Guthie commencent les trois récits les plus ésotériques, qui surfent entre dimensions étrangères, métaphysique et folie furieuse. Abandonnée en piteux état dans une autre dimension, elle va devoir se refaire une santé avant de se retrouver à nouveau confrontée à ses poursuivants. Et ça ne se finira pas de la meilleure des manières. Situation également très tendue pour Rax et son gilet bien particulier, une des armes les plus formidables que quiconque n'ait jamais portée. Seulement voilà, quand on est incarcéré et sur le point d'être abandonné dans une sorte de "zone fantôme" scellée, mais aussi battu à mort par des codétenus qui profitent d'un moment de doute, quel espoir peut-il encore subsister de reprendre une vie plus ou moins normale? Une question à laquelle il n'y a pas forcément de réponse. Quant à Xenia, elle possède toujours dans son organisme ce fragment d'un casque au pouvoir incommensurable, qui fait d'elle une créature au pouvoir quasi divins. Instable et confrontée à des instincts et désirs des plus contradictoires, elle tente de sauver Vincent, la version Copra du Docteur Strange, dans un univers totalement fantasmagorique, qui permet à Michel Fiffe de lâcher prise définitivement, d'instaurer une construction des pages, une insertion des dialogues et une progression logique de l'histoire des plus dingues. C'est dans cet épisode qu'il donne la pleine mesure de ce qui constitue sa force, sa faculté de s'émanciper des canons du genre pour écrire planche après planche sa propre histoire, dans tous les sens du terme. Il est donc fort logique et pertinent que ce soit cette aventure précise qui vienne clore le volume 3 de Copra. Comme toujours un petit bijou graphique, qui derrière l'apparente simplicité des traits et des formes, recèle une inventivité et une singularité que nous avons rencontré bien peu souvent dans l'histoire du média. En fait, il s'agit d'un titre totalement à part, qui a tout autant de chance de vous rebuter que de vous faire tomber radicalement amoureux. Comme nous faisons partie de ceux qui ont eu le coup de foudre, vous pouvez deviner le plaisir évident à retrouver cette galerie de portraits qui sert un peu d'interlude ou de second départ à un monde fascinant. À retrouver chez Delirium, un éditeur qui ressemble aux créatures qu'il publie, et dont il partage les qualités.


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