BATMAN CHER DETECTIVE : L'ART DE LEE BERMEJO


 Essayons aujourd'hui de faire un peu de clarté et d'aborder le plus honnêtement possible Batman cher détective, qui sera publié à la fin du mois, le 26 janvier, chez Urban comics. Parlons tout d'abord de la faible pagination (64 pages), de ce qu'on peut trouver à l'intérieur. Il ne s'agit pas d'un récit en bande dessinée classique mais d'une compilation des couvertures que Lee Bermejo a réalisé pour la série Detective Comics, entre 2019 et 2022. Des variant covers du plus bel effet, dans son style hyper réaliste qui se prête à merveille aux ambiances glauques et sombres de Gotham. Que ce soit des poses iconiques comme on a l'habitude d'en voir, des angles de vue audacieux qui permettent à la chauve-souris de bondir d'un toit à l'autre, une vision saisissante de ses alliés ou ennemis, on en prend plein les yeux, systématiquement. Ces illustrations pleine page, publiées d'ailleurs dans un grand format qui leur rend bien hommage, sont entrecoupées régulièrement par des lettres, qui sont autant de messages et d'énigmes adressés au plus grand détective du monde. Le texte ne présente guerre de plus-value; c'est une plongée assez banale dans la folie et ce que représente Batman, des phrases que nous avons déjà lues un nombre incalculable de fois, finalement, dans la carrière du héros. Bermejo aurait eu l'ambition de créer une œuvre hybride, à mi-chemin entre une sorte de résumé de son travail sur les couvertures et le roman graphique, mais très sincèrement, le projet est un peu galvaudé et on s'en fiche. Le texte n'apporte rien, si ce n'est de souligner qu'il y a en effet une cohérence dans les illustrations successives, mais nous, ce qu'on apprécie, c'est de regarder (que dis-je, admirer) son travail, qui va séduire ceux qui aiment sa manière de faire. C'est en effet impressionnant et on se prend à rêver qu'Urban comics puisse nous proposer plus souvent ce genre d'anthologie, avec à l'intérieur les splendides couvertures (il y en a tant entre les "regular" et les "variant") que DC comics propose chaque mois. L'ouvrage est de belle facture, grand format donc, avec des effets en relief et un dos simili toilé, mais il a fait un peu grincer des dents sur les réseaux sociaux, en raison de son prix. 19 € pour 64 pages, donc. Même si nous ne cautionnons pas l'inflation actuelle qui touche les ouvrages en librairie, il faut remarquer que Batman cher détective n'a pas vocation à terminé sur toutes les étagères. Ce n'est pas un comic book au sens classique du genre, c'est un livre, destiné aux amateurs de beaux dessins, une sorte de cadeau à faire ou se faire, mais pas une aventure au sens propre. Cher detective, c'est un peu comme une sorte de musée virtuel et ça n'est absolument pas destiné à celui qui souhaite lire et approfondir une intrigue. Un peu de clarté sur la nature de l'objet ne peut qu'apporter un plus de sérénité dans les débats et aider au choix de savoir si vous comptez vous le procurer, ou pas. Pour esthètes et collectionneurs, plus que pour lecteurs. 



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GRANDVILLE NOËL : SUPERBE AVENTURE INÉDITE DE L'INSPECTEUR LEBROCK CHEZ DELIRIUM


 Ce sont des fêtes de Noël très particulières qui attendent l'inspecteur Lebrock dans le quatrième volume de l'excellente série de Bryan Talbot, Grandville. Tout d'abord, notre blaireau favori enquête sur la disparition de la petite nièce de sa gouvernante. En remontant la piste de l'adolescente de seize ans qui semble avoir fugué, il va croiser la route d'une secte religieuse dont les ambitions ne sont plus seulement spirituelles, mais sont devenues dangereusement politiques. Leur gourou n'est autre qu'une licorne (un certain Apollon), animal fantastique s'il en est, mais bel et bien réel dans l'univers de Grandville (même si on en croise un nombre très limité d'exemplaires) et doté d'un pouvoir de persuasion et d'un magnétisme hors du commun. La créature si charismatique parvient à recruter toute une série de malheureux adeptes en leur promettant des révélations et l'illumination, quitte à ce que la grande mascarade se termine en suicide de masse, lorsque la police se lance à ses trousses. C'est la raison pour laquelle la secte, qui est née aux États-Unis, a finalement choisi de se transférer en France, où la situation politique reste des plus fragiles. L'Empire s'est effondré et cela fait maintenant plusieurs semaines que le pays est gouverné par un conseil révolutionnaire, dans l'attente d'élections inédites. Le bouc émissaire de cette secte/parti politique d'inspiration nationale socialiste et xénophobe, ce sont les pâtes à pain, c'est-à-dire le surnom péjoratif donné aux humains, dans un monde où ce sont les animaux anthropomorphes de toutes les races qui prédominent. Accusés de tous les maux, ils sont pointés du doigt et victimes d'une ségrégation féroce, après avoir été régulièrement pourchassés et exterminés durant toute l'histoire, comme on peut le comprendre au fil des pages. C'est un des grands tours de force de ce récit : la capacité de réécrire la chronologie de l'humanité, tout en inversant rôles et responsabilités, mais en conservant une logique dans la dynamique des faits. Celle de la haine, du racisme et de ses conséquences ignobles, à travers les siècles. Il y a une tentation d'explication théologique et philosophique des origines de l'humanité, ou devrait-on dire ici de la bestialité, absolument bluffante ! Talbot ne se contente pas de nous divertir mais il fait preuve d'une intelligence rare, en crédibilisant toute son œuvre de la plus profonde et pertinente des façons. Avec cette quatrième aventure, Grandville gagne encore en épaisseur et en ambition. Rien que ça.



On ne peut que plaindre le lecteur inattentif, qui s'arrête sur les apparences, c'est-à-dire un univers d'animaux anthropomorphes, sans comprendre ce qui peut se cacher là-derrière, les trésors que recèle Grandville. De la politique à la société en général, de la théologie aux nombreux clins d'œil à l'histoire de l'art et de la bande dessinée, on n'en finit plus de compter les bonnes raisons pour suivre avec admiration le travail de Bryan Talbot. Ici aussi, le lecteur averti trouvera des références évidentes, certaines vignettes reproduisant des tableaux ou des sculptures entrés dans la légende et qui appartiennent au patrimoine de l'humanité, comme La Cène de Leonard De Vinci. Mais également un hommage appuyé à différents personnages du neuvième art, comme Astérix et Obélix en syndicalistes militants, ou un certain Lucas Chance, as de la gâchette venu de l'Amérique, qui devient même dans la seconde partie de l'ouvrage le coprotagoniste affirmé de l'aventure, aux côtés de l'inspecteur Lebrock. Bref, un Lucky Luke comme vous ne l'avez probablement jamais vu, réinventé avec beaucoup de panache et d'ingéniosité. Les seuls qui ne pourront certainement pas aller jusqu'au bout de cette quatrième histoire, ce sont ceux pour qui il existe des races inférieures, ceux qui pensent que la disparition de l'autre, celui qui nous est différent, étranger, foncièrement nuisible donc, est une solution aux différents maux de notre présent tourmenté. Ceux-là vont en avoir les oreilles qui sifflent pendant longtemps, car Noël est aussi un plaidoyer pour un peu plus de compréhension dans les rapports entre humains. Savoir aller au-delà des apparences, même lorsque cela est loin d'aller de soi. Il suffit de lire les différentes répliques, par endroits, de Lebrock lui-même, qui fait preuve de maladresse ou en tous les cas d'une forme caricaturale de prévention à l'encontre des soi-disant pâtes à pain. Les mauvaises habitudes ont la dent dure, mais cela n'empêche qu'on peut toujours essayer de les combattre et de s'améliorer. C'est valable aussi lorsqu'il s'agit de tisser une relation sentimentale, lorsque celle pour qui on éprouve un amour sincère exerce le plus vieux métier du monde. Je parle bien entendu de Billie, la flamme de notre inspecteur, qui assume pleinement ce qu'elle est et qui elle est. Une attitude qui permet d'ailleurs un final avec le sourire. Ajoutons à cela des planches toujours aussi magnifiques, truffées de détails conjuguant parfaitement l'art nouveau et les influences gothiques/steampunk et vous comprenez pourquoi nous sommes aussi enthousiastes à chaque fois que nous pouvons retrouver ce joli monde, chez Delirium. Un éditeur qui propose une édition indiscutablement de qualité, avec toute une série de bonus et de commentaires rigoureusement indispensables, à chaque fois. Grandville, entre fiction et commentaire politique, s'avère être une série tout bonnement brillante. 


Grandville Noël, sortie le  19 janvier 2024, chez Delirium

Chaque aventure peut se lire de manière indépendante.
Mais tant qu'à faire, retrouvez les autres volumes chroniqués !





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OMNIBUS X-FACTOR PAR PETER DAVID CHEZ PANINI COMICS


 À l'origine, la série X-Factor, scénarisée par Bob Layton en 1986, permet de réunir les X-Men originaux et de leur faire vivre de nouvelles histoires. Entre le retour de Jean Grey, la mutilation subie par Angel, qu'Apocalypse transforme en Archangel, son cavalier de la mort, ou la grande saga Inferno, ce ne sont pas les événements tragiques et marquants qui manquent. Toutefois, au terme de la saga de l'île de Muir en 1992, le titre va vivre une seconde jeunesse qui reste encore aujourd'hui comme un des souvenirs les plus jouissifs de l'univers Marvel de cette décennie là. Ceci grâce à un scénariste de génie, capable d'écrire les super-héros comme nul autre, Peter David. Le concept est simple : une équipe totalement dysfonctionnelle, de l'humour savamment dosé à chaque épisode et des rebondissements inattendus. La nouvelle formation est au service de Valérie Cooper, qui est une sorte d'agent de liaison entre nos héros et le gouvernement américain. Elle sera remplacée par la suite par Forge. Les deux leaders choisis sont Havok et Polaris. Le premier, le frère de Scott Summers, va enfin avoir l'occasion de s'émanciper de son aîné, qui lui a fait jusque-là beaucoup d'ombre. Mais il va devoir mettre au point ses capacités de gestion et de commandement et apprendre à composer avec des caractères parfois très différents du sien. Par chance, sa compagne (Polaris, donc) est une femme aussi puissante que patiente, capable d'apporter une aide concrète et de jouer le rôle de collant dans une formation toujours sur le point de se désagréger. L'Homme multiple (Jamie Maddrox) est pour sa part en proie à de véritables crises d'identité; impossible de déterminer qui est et où est vraiment l'original par moments, avec ce personnage complètement décalé, irritant, mais qui peu à peu va gagner en profondeur. Le clown de l'équipe, c'est Guido, alias Malabar/Strong Guy, l'ancien chauffeur de Lila Cheney. S'il est extrêmement puissant et semble totalement insouciant, il cache au fond de lui une incertitude dévorante, qui l'oblige à faire le pitre pour compenser. Felina/Wolfsbane (Rahne Sinclair) est une jeune fille très pieuse et pudibonde, capable de se transformer en loup-garou. Elle aussi va traverser de rudes épreuves, notamment sur l'ile de Genosha, où une intervention génétique va la lier tragiquement à son leader, Alex, pour qui elle va nourrir alors une réelle fixation.



Ajoutons à cette fine équipe l'imbuvable Vif-Argent. Pietro n'est pas aimé des autres, sa présence est loin de faire l'unanimité et son comportement n'aide en rien dans l'affaire. Mais on sent également un homme désireux de mieux faire, de réparer certaines erreurs du passé, même si de façon totalement maladroite. Les deux dessinateurs principaux qu'on retrouve dans cet omnibus sont Larry Stroman et Joe Quesada. Le premier offre une indéniable touche expressionniste, parfois caricaturale, à des planches qui privilégient l'explosivité au réalisme des anatomies ou des situations. Si j'avais été un peu dérouté à l'époque de la première parutions dans les minces fascicules VF qu'on appelait Version Intégrale, j'ai fini par m'y faire et même apprécier énormément cette audace, rupture avec ce qui avait été produit avant. Le second allait vite devenir un des grands pontes de Marvel. Lui aussi mise clairement sur l'effet spectaculaire de son travail, au détriment du respect servile de la réalité, mais le trait agile, truffé de trouvailles réjouissantes, la mise en page toujours bondissante, en font un artiste d'exception à qui nous devons des épisodes mémorables. Jae Lee pointe le bout de son nez le temps du crossover Le chant du bourreau, pour une parenthèse magnifique, des pages orageuses et sombres, tout un univers soudain torturé, retravaillé, avec une classe démente. Pour ce qui est des histoires en soi, le véritable début de la troupe de Val Cooper est éloquent. Il y est question du meurtre de l'Homme Multiple, sans qu'on sache vraiment qui a été tué (lequel ?), au point que le pseudo original revient revendiquer son identité, en pleine conférence de presse, où serait donc présent un simple double émancipé. Mister Sinister aussi rentre dans la partie et Guido se retrouve impliqué dans un combat face à Slab, un autre gros bulldozer génétique, certes musclé à l'extrême mais laid comme un pou. X-Factor croise la route de Hulk, le temps d'un mini crossover (orchestré par Peter David et ses deux casquettes de scénariste) aux ramifications géopolitiques, avant que Stryfe fasse surface. Le double génétique de Cable étant appelé, nous l'avons dit, à être le pivot du grand récit choral que sera le Chant du Bourreau. Que ce soit face à Cyber, le Crapaud, une adversaire capable d'enchanter et maîtriser les autres par la musique, X-Factor enchaîne les rencontres, les adversaires, toujours avec un effet double-face évident. On sourit franchement, surtout quand la dynamique du groupe est mise à mal par des individualités qui n'aiment guère se reposer sur les autres, mais on sent poindre le drame, ce qui ne manquera pas d'arriver et de marquer l'équipe au fer blanc. Les apparences sont trompeuses, comme l'enseigne Random, un mercenaire ultra violent et dont le corps devient toute sorte d'armes, qui cache en fait une personnalité et une identité bien plus fragiles et pathétiques qu'il ne paraît au premier regard. Inutile de préciser que cette sortie est indispensable pour tous les lecteurs nostalgiques des années 1990, même si les Omnibus sont un produit que seuls les plus fortunés et motivés d'entre vous parviennent à acquérir régulièrement. La démocratisation de notre passion étant une autre problématique, sur laquelle nous reviendrons un autre jour. Si vous le pouvez, foncez. 


Et les fans de comics, les vrais, ceux qui savent lire et écrire, ont rendez-vous sur la première communauté francophone, 24h/24 !

LE PUITS (DE JAKE WYATT ET CHOO) : FABLE DU DESIR ET DES VOEUX


 La troisième et dernière sortie de janvier du label Combo et plus à rapprocher du manga, aussi bien par le style adopté pour le dessin que pour ce qui est de la présentation, avec un format plus petit et une couverture souple brochée avec rabat. Le personnage principal de cet album appelé Le Puits est une adolescente du nom de Lizzy. Elle est fille et petite fille de sorcières, mais sa famille a disparu et elle vit désormais avec la dernière personne qui lui reste, son grand-père. Elle a disparu car il a fallu autrefois combattre un terrible monstre, le Léviathan, dont la défaite (provisoire) a ensuite provoqué l'arrivée d'une brume permanente, dans laquelle doivent vivre tous les habitants d'un pays qui n'est jamais nommé et qui ajoute au caractère fantastique et merveilleux de l'ensemble. Le grand-père de Lizzy est chevrier et sa petite fille est chargée d'aller vendre ses fromages, en prenant un bac pour aller d'une ile à l'autre. Un jour, ayant besoin d'argent pour payer la traversée mais aussi quelques effets personnels et se faire plaisir, elle décide d'aller voler trois pièces de monnaie qui ont été jetées au fond du puits magique d'un petit village, par des gens qui ont formulé chacun un vœu personnel, un désir ardent et intime, qui ne s'est pour l'instant pas encore réalisé. Le larcin peut sembler modeste mais il a une conséquence dramatique : il réveille les monstres de la brume et place Lizzy dans une situation très inconfortable. Il va falloir qu'elle rembourse, ou à défaut, qu'elle exauce les vœux qu'elle a imprudemment "empruntés". Une étrange apparition encapuchonnée est là pour la guider, tout du moins pour lui indiquer le chemin et suggérer quelques conseils avisés. 

On est en permanence à la frontière de quelque chose, mais on ne parvient jamais à l'identifier. Il règne un parfum comme d'étrangeté et d'onirisme dans ce qui est décrit comme une fable et qui apparaît aussi comme le récit initiatique d'une adolescente, sur le point de rentrer dans l'âge adulte. C'est aussi une histoire sur la manière d'accepter l'altérité de l'autre, les désirs profonds, les rêves de chacun, tout ce qui définit en fait l'humanité, tout simplement. Jake Wyatt nous surprend à travers les chapitres de cette bande dessinée qui sont autant d'étapes vers une révélation intime et collective. Un parcours touchant qui ne laisse pas insensible. Le dessin de Felicia Choo empreinte énormément au code du manga, comme nous l'avons déjà dit, mais l'atmosphère cotonneuse dans laquelle flotte son œuvre fait qu'elle dépasse et surpasse l'inspiration de base, pour obtenir quelque chose de différent, un produit hybride suspendu, quelque part entre compte pour enfant et symbolisme fort, pour adulte. Du reste, il s'agit d'une des promesses du label Combo; celle de présenter de nouvelles bandes dessinées échappant aux standards établis, brisant les barrières, opérant une synthèse à tous niveaux. Sans tambour ni trompette, Le Puits est à placer dans cette catégorie. L'impression de quelque chose de d'antique, d'éprouvé, avec la certitude d'avoir le regard tourné vers l'avenir, le défrichage. Un récit qui démarre au petit trot, pour peu à peu vous ensorceler et qui se laisse lire d'une traite, jusqu'à la révélation finale. Il y est aussi question de sentiments, d'amour, au-delà des questions de genre, sans jamais que ça soit asséné avec lourdeur. Subtilement, une belle réussite.





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RIVAGES LOINTAINS : UN MERVEILLEUX PREMIER GRAPHIC NOVEL POUR ANAIS FLOGNY


 Vous aimez les grandes histoires de mafia et de gangsters, les ambiances typiques de l'Amérique de l'entre-deux guerres, feutre mou sur la tête et costume trois pièces de rigueur ? Bienvenue à Chicago, en 1938, là où et quand commence le splendide album d'Anaïs Flogny intitulé Rivages lointains. Très vite, nous faisons la connaissance de deux personnages que tout sépare en apparence. Jules est un jeune livreur italien qui a débarqué aux États-Unis dans l'espoir de faire fortune, ou en tous les cas, de vivre une vie meilleure que celle qui l'attendait chez lui. Alors qu'il n'est que simple livreur dans une petite échoppe, il fait la rencontre de Adam Czar, un immigré polonais qui est devenu un des maîtres du trafic d'alcool clandestin et qui ponctionne régulièrement les commerçants de son quartier, en leur réclamant ce qu'on appelle le pizzo. C'est-à-dire une somme d'argent à verser régulièrement, en échange d'une protection contre des ennuis qui ne manqueraient pas de vous arriver, si vous cessiez de payer. Le gamin tape dans l' œil de son aîné, à la fois parce qu'il est très motivé et n'a pas sa langue dans sa poche, mais aussi parce que physiquement, il lui plaît. Les deux sont en effet homosexuels et vont devenir assez rapidement des amants, mais aussi des associés. Jules commence comme simple adjoint, fait ses preuves et peut alors gravir les échelons, qui vont l'amener à prendre toujours plus de responsabilité et à se mêler toujours plus aux extorsions organisées par Adam. Ensemble, la paire semble destinée à mettre les mains sur la ville, sauf que la police s'en mêle et qu'un jour tout dérape. Pour Jules, qui est amoureux et consciencieux, désireux d'apprendre et de bien faire quitte à s'oublier, arrive l'heure du choix. Se taire ou parler, la pire des trahisons. Sans négliger le fait que les sentiments, quand on est un garçon qui préfère les autres garçons, ne fait guère bon ménage avec les attentes et les perspectives qu'une trajectoire mafieuse peut exiger. 



Il y a donc une histoire sentimentale à la base de Rivage lointains, mais pas seulement. L'originalité de cet ouvrage, c'est aussi la profondeur des personnages, notamment celle de Jules. Tout d'abord garçon fragile dont le destin se dessine sous l'influence (presque sous la coupe) d'Adam, il devient ensuite une ressource inépuisable et inespérée pour ce dernier et le rapport de force entre les deux finit même par s'inverser : qui a le plus besoin de qui, c'est ce que nous allons découvrir au fil des pages. Il ne faut pas non plus s'attendre à une morale précise. En réalité, Anaïs Flogny s'émancipe de toute idée de nous asséner une leçon. Ses protagonistes sont des criminels et si au départ ils ont encore un semblant de moralité et de code, notamment les mafieux de la vieille école et Jules, qui ne souhaite pas, par exemple, se compromettre avec la drogue (malgré qu'un de ses amis, Eufrosio, le pousse dans cette direction), ils n'ont jamais fonction de modèles. Il faut être réaliste pour réussir dans certains milieux, il n'est pas possible de progresser sans se salir les mains et une fois que le sang a coulé ou que la vertu a volé en éclat, revenir en arrière n'est plus possible. C'est tout, c'est cruel. Le dessin est extrêmement sensible, chargé en émotions, avec une mise en couleur du plus bel effet. Des sépias, des bruns ou des teintes olivâtres absolument magnifiques, qui magnifient des planches où ce sont les personnages qui investissent l'espace à travers les regards, la gestuelle, la violence ou tout simplement les étreintes. Le graphisme épuré permet de débarrasser l'esprit de toute pensée parasite et nous sommes littéralement happés par un récit qui ne connaît ni temps mort, ni temps faible. Il s'agit, paraît-il, du premier livre d'une jeune autrice très talentueuse; pourtant lorsqu'on referme cette bande dessinée; on a l'impression d'avoir lu un petit chef-d'œuvre; appelé à faire date dans l'histoire du genre. Dire qu'il s'agit d'une des histoires les plus touchantes et accomplies que nous avons eu l'opportunité de lire ces dernières années relève de l'évidence.



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ASSASSIN'S CREED SUJET 4 : RIEN N'EST VRAI, TOUT EST PERMIS


 Une des spécialités de l'éditeur Black River, c'est l'édition des comics liés à l'univers des jeux vidéos Ubisoft. C'est ainsi que la très célèbre franchise Assassin's Creed a droit à sa version en bande dessinée. Si j'ai découvert cet ouvrage sans y croire excessivement, je dois dire que la surprise fut très agréable, avec un album de belle facture, au scénario fort intéressant. On y rencontre Daniel Cross, au départ un ancien taulard, toxicomane et alcoolique, sujet à des crises de violence qui sont en réalité les conséquences des souvenirs de la vie de son arrière-grand-père, Nikolaï Orelov, qui reviennent le hanter à tout moment. L'ancêtre était un membre de l'ordre des Assassins en Russie au 19e siècle, une période sombre de l'histoire, avec le régime des tzars face à la montée en puissance du bolchevisme. Le grand-père était à la recherche d'un artefact au pouvoir mystérieux mais il a eu le malheur de croiser sur sa route Alexandre III, une véritable force de la nature aux talents cachés. Il faut signaler que le scénario est basé sur des faits bien réels; d'ailleurs, de nombreuses pages de bonus, à la fin de ce volume, permettent de comprendre quel est le point de départ historique, la part de vérité, qui sont les protagonistes et les faits qui sont exposés. Daniel va quant à lui faire la rencontre de plusieurs membres d'une section moderne des Assassins, qui vont l'accueillir dans leur base et lui faire ouvertement confiance, afin de l'impliquer dans leur lutte habituelle face aux Templiers. Et celui qui n'était qu'un rebut, qui semblait n'avoir aucune chance de s'insérer à nouveau dans la société, finit par devenir un membre très apprécié en qui il est possible de faire confiance, très efficace, jamais pris en défaut.


C'est une véritable histoire de trahison et de manipulation qui s'ouvre alors à nous. Dans quel camp se situe véritablement Daniel ? Dans celui des Assassins, au point qu'il puisse parvenir à rencontrer le leader suprême de l'organisation (le Mentor) ou bien en réalité un agent double, au service des Templiers, sans le savoir. En fait, le personnage a un petit côté pathétique; il n'est pas véritablement libre de ses décisions et de ses agissements mais il est le fruit d'une expérience. Les souvenirs qu'il possède de l'existence de son arrière-grand-père vont définir son destin. Le scénariste et le dessinateur sont en fait les mêmes personnes (Karl Kerschl et Cameron Stewart); ils tissent une histoire forte et intéressante, s'éloignant de ce que nous connaissons déjà avec la franchise de jeux vidéo, pour crédibiliser un jeune homme qui a tout du perdant mais qui va devenir le centre de l'attention. En réalité, Sujet 4 propose deux histoires différentes mais qui se suivent. La chute est celle qui nous permet de rencontrer Daniel et d'assister à son incroyable évolution. La Chaîne est elle beaucoup plus axée sur le passé et on y découvre une histoire familiale poignante et un entraînement à la dure, comme il ne peut en exister que dans des cas extrêmes où c'est la vie, tout simplement, qui est en jeu. L'ensemble est très bien illustré, les personnages sont tous caractérisés avec efficacité et les scènes d'action enlevées. Globalement, il y a dans ce Sujet 4 tout un ensemble de thématiques et de renvois à des choses que nous avons déjà lues, notamment pour ce qui est de la manipulation mentale et de l'exploitation de souvenirs enfouis (Bloodshot ou Wolverine, par exemple) mais ici, e tout est inséré avec dextérité dans un univers complexe, qui sait utiliser la géopolitique et l'histoire pour ses besoins narratifs. Nous vous recommandons vraiment de donner une chance à ce volume.



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UNIVERSCOMICS LE MAG' #38 - JANVIER 2024

 



UniversComics Le Mag' #38

Janvier 2024. 84 pages. Gratuit

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Quel avenir pour les comics au cinéma ?


Sommaire :

- Le dossier : Les films de super-héros ont-ils un futur ?

- Les WILDC.A.T.s cartonnent chez Urban Comics

- Combo, le nouveau label de Dargaud, à découvrir absolument

- Le cahier critique, avec les sorties de la fin 2023 passées en revue

- Avec le podcast Le Bulleur, le meilleur de la BD

- Portfolio : découvrez Le Chat Encreur

- Preview : Les Dead X-Men arrivent

- Commissions et sketchs, le mois de décembre sur la page FB

- Sorties librairies de janvier


Bonne lecture ! 

Et surtout, partagez le Mag', rendez-vous en février pour le numéro 39. 

PEACEMAKER TRIES HARD : BOUFFONNERIE, SATIRE ET SOLITUDE

Le super-héros ringard et super violent Christopher Smith (alias Peacemaker) sauve un chien errant après avoir neutralisé un groupe de terro...