La première fois, Walter avait réuni dix personnes qui, à des titres divers, avaient compté dans son existence, afin de leur permettre de vivre la fin du monde dans une villa de rêve au bord d’un lac, où les désirs de chacun étaient exaucés à mesure qu’ils leur venaient à l’esprit. The Nice House by the Lake a finalement obtenu le Fauve d’or de la meilleure série en 2024 au Festival d’Angoulême. Le titre est rapidement devenu un best-seller chez Urban Comics, et sa suite était donc attendue avec beaucoup de curiosité. Cette fois, le décor change quelque peu, tout en restant aquatique et attrayant : du lac, nous passons à la mer. The Nice House by the Sea reprend le même principe : deux albums au grand format, de très belle facture, pour ce que l’on appellera désormais le second cycle du récit imaginé par James Tynion IV. Le projet consiste à nouveau à réunir dix personnes, choisie par Max, qui vont avoir l’occasion d’échapper à la fin du monde. Mais cette fois, place à dix figures d’exception : un acteur, une chanteuse, un mathématicien, une politicienne… Tous sont des pointures dans leur domaine, des individus dont les compétences ou les talents justifiaient sans doute une place à part dans l’humanité. Les règles sont à peu près les mêmes, les conséquences aussi, mais avec une nouveauté dans l’équation : ces personnalités n’ont aucune raison de cohabiter et n’ont, a priori, aucun lien entre elles — ce qui risque fort de provoquer quelques tensions… Parmi ces dix nouveaux venus, c’est Oliver Landon Clay, surnommé "l’Acteur", qui occupe le devant de la scène. Il devient notre guide un poil désabusé dans ce nouvel environnement, en nous accompagnant à la découverte des habitants de ce petit paradis baigné de lumière méditerranéenne. Tynion excelle dans l’art de donner à chacun de ses personnages une singularité bien marquée, ce qui les rend immédiatement reconnaissables. Si l’attention est au départ centrée sur Oliver, on sent vite poindre une multitude de pistes intrigantes, prêtes à être explorées, quitte même à perdre le lecteur distrait. Fait important à garder en tête : Oliver entretenait autrefois une relation très étroite avec Walter dans le monde réel, et il s’est montré, au départ, très réticent à l’idée même de faire partie de la "sélection" de Max pour cette nouvelle maison.
Walter (qui est censé être mort, rappelons-le) n’avait, de toute évidence, pas respecté le postulat de départ : les individus choisis par ses soins ne présentaient rien d’exceptionnel et n'incarnaient en rien le parangon de leur discipline respective. Le plus inquiétant, c’est que ces différentes « maisons », au sein desquelles subsistent des groupes d’individus, vont tôt ou tard prendre conscience de l’existence des autres. Et l’on peut parier sans trop de risques que ce ne sera ni l’entraide ni la compréhension qui domineront leurs relations, mais bien l’idée qu’il faut éliminer la concurrence pour pouvoir prétendre à l’immortalité définitive. Oliver, électron libre au cœur de ce dispositif, semble être celui qui en sait le plus. C'est lui que trois des "autres" vont rencontrer en premier. C’est aussi l’une des raisons pour lesquelles il devra se méfier de ceux qui partagent pourtant son camp : ces derniers sont prêts à tout pour obtenir les informations qu’ils convoitent — y compris à recourir aux tortures les plus abominables. Il règne dans cette série un parfum étrange, un petit quelque chose de Bret Easton Ellis mâtiné de science-fiction. Les personnages portent en eux un passé fait de trahisons, de relations déçues, d’égocentrisme exacerbé ou, à l’inverse, d’un vide intérieur jamais comblé. Ils ne semblent exister qu’à travers le regard des autres et exhibent, presque malgré eux, des failles béantes, dans l’espoir qu’un jour, peut-être, quelqu’un parviendra à les refermer. La prestation graphique d’Alvaro Martinez Bueno est, quant à elle, tout bonnement exceptionnelle. Son talent éclabousse chaque page (avec l'aide des couleurs de Jordie Bellaire), transformant chacune d’elles en une peinture saisissante, capable de sublimer même les scènes les plus calmes ou explicatives, les élevant au rang d’expériences immersives. Certes, on pourra sourire devant cette manie qu’ont presque tous les personnages de soliloquer, de se confier sans relâche, livrant à tout bout de champ leurs états d’âme et la manière dont ils se projettent dans la grande fresque de l’histoire. Mais il faut malgré tout saluer le travail d’orfèvre accompli par Tynion IV, avec une montée en puissance émotionnelle et narrative qui tient le lecteur en haleine jusqu’à la dernière page (à partir du troisième épisode le récit s'emballe), et qui donne furieusement envie de découvrir au plus vite la seconde partie de ce cycle 2.
Sortie la semaine prochaine, chez Urban Comics.
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