NAMOR PAR JOHN BYRNE ET JAE LEE

Namor, le Prince des mers, c'était avant tout une série régulière de qualité (publiée dans Strange) avec deux énormes artistes, fort différents, qui se sont succédés. Une époque où il faisait bon suivre ses aventures, et où on sentait une vraie ambition, une vraie envie d'écrire quelque chose de cohérent et censé sur le personnage.
Bien qu'étant un des doyens de l'univers Marvel, bien qu'ayant connu un "golden age" des plus florissants et étant le tout premier mutant à avoir eu les honneurs d'une série mensuelle, l'ami Namor n'a pas pour autant un nombre d'estimateurs à la hauteur de son curriculum. Il faut dire que coté crédibilité, le héros se prête facilement au persiflage : nous avons affaire à un souverain soupe au laid, toujours prêt à péter un câble à la moindre contrariété, qui passe le plus clair de son temps à déambuler dans un slibard moulant et qui doit, forcément, dégager une certaine odeur de poissonnerie, ce qui n'est jamais un atout pour les relations sociales. Rendre Namor glamour, mission improbable? Demandez donc à John Byrne, il vous répondra qu'à l'impossible, nul n'est tenu. En 1990, il décide de proposer sa version du Submariner, revue et corrigée pour le public de la fin du siècle. Exit le super héros incompris et rageur, place à un mutant enfin libéré de ses angoisses, plus posé, qui se lance dans le monde de la haute finance pour protéger efficacement les mers dont il est le gardien écologiste implacable. Scénario et dessins, on n'est jamais aussi bien servi que par soi même, surtout lorsqu'on a du talent.
Première mesure, expliquer les sautes d'humeur d'un Namor irritable. Pour ce faire, notre héros rencontre dès les premières pages Cab Alexander, un vieux scientifique amateur, et sa fille, dont il va même tomber amoureux. Cab lui explique avoir deviné la source du problème : un déséquilibre sanguin occasionné par le trop plein, ou la carence en oxygène, consécutive à la dualité terrestre/amphibienne du prince des mers. Dès lors, Namor décide de profiter de sa nouvelle stabilité caractérielle pour investir la finance, via une compagnie écran, la Oracle incorporated. C'est en puisant dans les innombrables trésors qui jonchent les fonds marins qu'il va lever des fonds et lancer sa nouvelle croisade. Qui va lui valoir de perfides nouveaux ennemis, comme les jumeaux Marrs, rivaux à la bourse. Ce qui ne l'empêchera pas de tomber amoureux de la sœurette. Car oui, le Sub Mariner est un chaud lapin. Byrne met ensuite le mutant aux prises avec une créature engendrée par la pollution ambiante, un certain Slug, et lui fait éviter une catastrophe écologique provoquée par des fanatiques de l'environnement. Suivront les créatures végétales de K'un Lun (les H'yltris) et le retour sur scène de Iron Fist, que tout le monde croyait mort. Une visite en Allemagne, à peine réunifiée, pour un mano a mano contre les restes du III° Reich, guidé par Master Man le super soldat vert de gris. Le tout avec brio, humour, un sens certain de la narration fluide, et des dessins lumineux et toujours d'une lisibilité appréciable. Byrne restera 25 numéros durant, afin de céder le flambeau à un artiste alors quasi inconnu.

Le run de Byrne a donc été un très grand moment de lecture, pour beaucoup de jeunes Marvel fans de l'époque. Difficile de faire mieux, en arrivant derrière. On avait atteint un véritable pic de qualité qui faisait craindre le pire pour son successeur. Sauf que ce dernier, à la surprise générale releva le défi avec brio. Place donc à Jae Lee, un coréen d'origine de dix neuf ans à l'époque, avec à son actif une simple pige chez Marvel, pour la revue anthologique Marvel comics presents. Mais quand on a du talent, on peut compenser aisément le manque d'expérience. Le Namor de Jae Lee est radicalement différent de celui de Byrne, il n'essaie pas de singer ou de rendre hommage à son aîné, mais bien d'imposer une nouvelle direction artistique au titre, en le gratifiant de pages ultra expressionnistes, sombres et paroxystiques. Le Prince des mers y apparait massif, doté d'un physique dopé aux anabolisants et noueux, une force sauvage de la nature aux veines saillantes. Les différents personnages n'ont de cesse de se lover dans l'ombre et en sortir brièvement, alors que les cases implosent, saignent, fondent ou se mêlent. Le classicisme de Byrne est foulé aux pieds par un vent de modernité, une déferlante technique impressionnante, qui va redynamiser un comic-book plutôt gâté par le sort, avec de tels artistes à sa tête. Pour le scénario, Byrne prolonge quelques mois, le temps de dénouer les fils de l'intrigue précédente : Namor est devenu amnésique, privé de ses souvenirs (il ignore même son identité) par Master Khan, et il erre dans le midwest américain ou il prête main forte à des activistes écologistes, avant de tomber nez à nez avec Fatalis himself, à bord d'un chalutier de nouvelle génération, qui menace de porter atteinte à la faune marine. C'est ensuite Bob Harras qui prend la relève dans l'écriture, le temps de ramener le Prince des mers à Altantis, où une lourde menace pèse sur son peuple, celle de légendes et de mythes oubliés et craints, qui reviennent à la vie pour détruire le royaume fabuleux de Namor. De biens beaux épisodes qui furent publiés à l'époque sur les pages de Strange (pour les allergiques à la VO, sinon allez voir les Omnibus!) qui méritent absolument toute votre considération. C'est aussi l'occasion de voir naître un dessinateur inspiré, encore limité par une folle envie d'épater, et en recherche d'une maturité artistique, mais qui va laisser une empreinte substantielle dans les années suivantes. A la suite de Jae Lee, le titre va passer entre d'autres crayons moins experts (Geoff Isherwood notamment) qui tenteront sans succès de lorgner vers une synthèse maline du travail de John et Jae. Rien à faire, c'est la panne sèche, un scénario faiblard, et le déclin. Pour nous, la Nostalgie, un N majuscule de rigueur.


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