La célèbre Route 66 aux États-Unis, c'est aussi l'assurance de traverser des territoires déserts où personne ne s'aventure, sauf par erreur ou malédiction. Il suffit parfois de quitter la route et vous voici embarqués dans des (més)aventures que vous pourriez bien regretter toute votre vie, tout particulièrement si vous choisissez de vous arrêter pour passer une nuit dans un petit hôtel miteux qui ne possède que 4 chambres, le Pierrot Courts. Pourtant, il affiche complet. Dans l'ordre, nous y trouvons une jeune femme enceinte qui fuit son compagnon violent, qui s'est juré de la retrouver et de la battre à mort, un couple qui s'offre une petite escapade qui va se terminer en tragédie (le mari étant bien décidé à divorcer de son épouse, sans lui céder la part de sa fortune qui lui reviendrait légalement). Et encore, une jeune femme qui remonte la piste de sa sœur disparue des années auparavant, persuadée qu'elle est toujours prisonnière quelque part entre les murs de l'hôtel… et enfin, un père de famille accompagné de son fils et d'un prêtre exorciste, convaincu que le gamin est possédé par un démon. Les quatre récits semblent déconnectés les uns des autres et sur le fond ils le sont : le fil rouge qui peut les unir, c'est le thème de l'horreur. Des histoires horrifiques à glacer le sang où il est toujours question de forces du mal, de monstres tapis dans l'ombre. John Lees affirme avoir toujours eu cette fascination pour la généalogie des chambres d'hôtel qu'il fréquente pour sa profession, lors des déplacements outre-Atlantique. Ici il met en scène une première "quadrilogie" glaçante, qui une fois définitivement constituée permet d'avoir un regard périphérique sur des événements qui s'enchevêtrent et qui pour autant peuvent être lus et interprétés de manière indépendante. Tout ce qui au premier abord relève de la normalité ou de la violence des plus banales sombre assez rapidement dans l'épouvante, l'horreur chère aux récits classiques du genre, tels ceux des Contes de la crypte publiés autrefois chez EC Comics.
Car le script de départ de chacun des récits dérape très vite dans l'épouvante, le surnaturel, des choses pas très claires qui font froid dans le dos. Quand la femme enceinte s'endort, c'est un petit monstre qui vient lui téter du sang et lui promettre de se débarrasser une bonne fois pour toutes du compagnon violent. Le mari qui rêve de se défaire de son épouse la découpe pour sa part à la hache, plusieurs fois, mais systématiquement celle qu'il assassine se reconstitue et revient le hanter. La recherche de la frangine à travers l'hôtel va très mal se terminer, avec une découverte macabre dans les interstices entre les murs des chambres. Quant à l'enfant possédé… et bien il ne faut jamais jouer avec le démon, au risque de se brûler. Tout ceci nous est présenté par un réceptionniste facétieux, qui entre un ton badin et inquiétant nous avertit que ce qu'on va lire n'est pas à mettre entre toutes les mains. Dalibor Talajic, que nous avons eu le plaisir immense de recevoir récemment à Nice, illustre l'ensemble avec brio. Pas facile de représenter des scènes aussi gore, sanguinolentes, exagérément terrifiantes, sans avoir recours à des artifices grand guignolesques. Lui utilise tout simplement le naturel, un dessin malin, lisible et un chouïa caricatural, pour garder la juste distance et nous immerger parfaitement dans l'ambiance. Aucune raison de vous priver donc, si vous êtes des fans de récits horrifiques, car cet HoteLL avec deux L de rigueur est vraiment une très bonne surprise dans son genre, à dévorer chez Black River.