Rien ne meurt et ne disparaît vraiment dans les comics books américains. L'histoire n'est qu'un éternel recommencement, y compris pour l'univers Ultimate, qui lors de son apparition au début des années 2000 avait été une bouffée d'air frais salutaire, permettant de réinventer l'ensemble des personnages et des grands récits fondateurs du microcosme Marvel. Mais lorsque vous repartez de zéro et que vous offrez ainsi une multitude de portes d'entrée parfaites pour les nouveaux lecteurs, il faut s'attendre qu'au fil des ans la situation se complexifie une nouvelle fois. L'univers Ultimate a donc fini par mourir, à l'occasion de la grande saga Secret Wars, orchestrée par Jonathan Hickman, le même scénariste qui est aujourd'hui un des principaux démiurges de la Maison des Idées et qui relance l'univers Ultimate, à l'occasion de L'Ultime Invasion. Il reste deux personnages issus de ce que l'on appelle désormais la Terre-1610, à savoir Miles Morales, un Spider-Man moderne et apprécié du jeune lectorat, mais aussi le Créateur, la version maléfique de Reed Richards (Mister Fantastic), aussi doué pour faire le mal que la version classique pour inventer des outils formidables. C'est lui qui, malgré le fait qu'il est emprisonné, est à la base du renouveau de ce monde hâtivement jeté à la poubelle. Il trame dans l'ombre depuis des mois et abat enfin ses cartes. Les principaux héros de la planète ne peuvent rien faire si ce n'est constater qu'il les nargue, qu'il ne cache pas même son grand come-back; au contraire, il les incite à se rebeller, tout en sachant qu'il sera impossible de le contrer. Le Créateur ne peut être arrêté et il possède trois coups d'avance sur tout le monde. Et pour ce qui est de sa Terre parfaite, de son monde à façonner, ça commence par empêcher certains héros de devenir tels, par de subtiles interventions qui vont modifier l'histoire, selon son bon vouloir.
Nous sommes bien évidemment dans l'univers de Jonathan Hickman, ce qui signifie qu'il y a certains codes à respecter, à commencer par l'insertion de pages présentant ce que l'on nomme désormais une infographie, qui viennent compléter la compréhension de la lecture (pour une fois, ça n'est pas non plus trop encombrant). Cela veut dire aussi que l'histoire est très décompressée. Il est beaucoup plus intéressant de lire cette Ultime Invasion en une seule fois, dans le volume que vous propose Panini, que de la suivre chaque mois en version originale, au risque d'oublier une partie de ce qui a été découvert trente jours auparavant. Chez Hickman, il convient toujours d'aller revérifier, reprendre sa lecture, pour comprendre à quel point celui qui a commencé sa carrière en tant qu'architecte aime construire dans la durée et édifier patiemment tout un univers auto-référencié. Bien entendu, il faut également apprécier les comic books avec des personnages qui aiment s'entendre parler : ça soliloque beaucoup, ça ouvre souvent la bouche pour ne pas dire grand-chose, si ce n'est le plaisir infini d'entendre sa propre voix qui résonne. C'est aussi un album qui réjouira les amateurs de massacres organisés; tout le monde est ligué contre le Créateur, non seulement les héros traditionnels, mais aussi (et vous le découvrirez dès le second épisode) ceux d'autres univers, les clones de clones qui s'assemblent pour tenter d'empêcher l'inévitable. L'inévitable donc; c'est le plan de ce Reed Richards "mauvais", qui va pousser le cynisme à se placer lui-même en situation d'incarner le rôle d'un de ses pires ennemis et qui va compter sur les services du père de Tony Stark pour mettre au point l'arme lui permettant d'accéder à son Graal personnel. Le fait est que vous résumer l'histoire sans entrer dans les détails, tout en vous donnant des informations pertinentes, est extrêmement compliqué. Encore une fois, vous allez devoir vous creuser la cervelle pour bien saisir où veut en venir Hickman, qui est véritablement en train de tout réorganiser autour d'un nouveau projet, dont l'évolution fonctionnera comme une horlogerie de précision diabolique, mois après mois, en temps réel. Il est ici épaulé par Bryan Hitch au dessin, qui est toujours égal à lui-même, aussi bien pour les qualités que les défauts. Oui, il donne énormément d'énergie à ses planches et il est capable de présenter des scènes où énormément de personnes se tapent dessus, tout en les rendant séduisantes et lisibles. Mais certains cadrages (en contre-plongée), certains visages, laissent toujours des doutes (Black panther, par exemple). Reste une certitude : lorsqu'on a terminé cet album, celle que nous tenons probablement là une des pierres angulaires de ce qui va être au centre de l'attention chez Marvel dans années à venir. Ne négligez pas l'importance de cette Ultime Invasion !
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