REFUGE(S) : ACCUEILLIR DESSINER COMPRENDRE TRANSMETTRE AVEC LAURENT LEFEUVRE


 Quand vous risquez votre vie à chacun de vos pas, que vous laissez derrière vous votre famille, votre patrie, vos souvenirs, ce n'est pas pour le plaisir de partir en villégiature. Et si vous n'avez toujours pas compris ceci, la lecture de Refuge(s), signé Laurent Lefeuvre, devient alors indispensable. A deux reprises, le dessinateur rennais a été chargé de réaliser une sorte d'enquête journalistique en bande dessinée sur l'accueil des réfugiés, en Bretagne. La première partie de l'ouvrage se concentre sur ceux qui viennent du Darfour, du Soudan, de l'Érythrée, à la suite du démantèlement de la soi-disant "Jungle de Calais" en 2017, tandis que la seconde, plus récente, est datée 2002 et se penche sur la situation des Ukrainiens fuyant l'invasion de leur pays par l'armée russe. Le premier écueil évident dans ce genre de travail c'est la tentation de capter l'attention du lecteur en l'immergeant dans un bouillon de pathos et de lui tirer des larmes, d'une page à l'autre. Ce serait mal connaître l'auteur de l'ouvrage, qui se lance d'emblée (sans aucune idée reçue ni sans savoir par avance face à quoi ou qui il va se retrouver confronté) dans une sorte de reconstitution d'entretiens, de rencontres, de moments intimes, qui deviennent alors une chaîne de transmission. Les planches défilent telles des cartes postales, instantanés saisis sur le vif, des bribes d'existence qui prennent corps sur la papier. Cela peut-être aussi le silence, un regard perdu ou tout simplement une sorte d'infographie, pour mieux nous expliquer à quel point l'administration peut-être à la fois une bouée de sauvetage ou un mécanisme ubuesque. Pour dessiner quelqu'un, il faut déjà prendre le temps de l'observer, et prendre le temps d'observer quelqu'un, c'est commencer à le considérer, à cerner ses singularités, pour le faire véritablement exister en tant qu'être humain, unique. C'est tout le travail délicat de Laurent Lefeuvre, qui parvient à donner à chacun des demandeurs d'asile qu'il croise ces instants de considération précieux. Les portraits interrogent, et montrent, ce qu'on préfère habituellement taire ou cacher dans la masse, en niant justement l'unicité de l'individu, pour le fondre dans une masse indifférenciée et donc menaçante ou insaisissable. Un détail, une anecdote, une pose, bref, un homme. Enfin, on peut voir, première condition pour ensuite comprendre, sentir. 


La seconde partie est plus périlleuse que la première car il s'agit des réfugiés Ukrainiens accueillis en Bretagne… et clairement, c'est un sujet d'actualisé brûlant, susceptible de se montrer clivant parmi les lecteurs. Le seul parti pris qu'adopte ici l'auteur est celui du drame des déracinés, le fait de devoir tout perdre, tout abandonner; ce n'est pas un traité politique expliquant en quoi l'agresseur est condamnable et comment le juger, d'autant plus que la politique de Poutine fait des victimes dans son propre camp, puisqu'il y a également des Russes (et ils sont nombreux) qui fuient leur patrie. Laurent Lefeuvre est aidé dans sa tâche par une jeune traductrice prénommée Anna, qui va être une sorte de trait d'union entre ces nouveaux arrivants et la tâche qui incombe au dessinateur. Après quelques pages qui contextualisent intelligemment ce qui se passe actuellement, notamment grâce aux repères historiques et géographiques qui échappent encore à beaucoup, on se plonge dans un nouveau carnet de bord fait de personnalités que l'on croise, qui nous dévoilent des tranches d'intimité ayant la force d'un message à la fois unitaire et collectif. Chaque histoire est différente et pour autant, chaque histoire recoupe le même des déracinement. Les problèmes ne sont pas non plus ignorés, comme le fait que les bénévoles ne sont pas toujours à la hauteur de leur tâche ou en tous les cas parfaitement formés pour l'accomplir, dans le meilleur des cas. C'est par contre un très bel hommage rendu à une solidarité humaine nécessaire, dans une terre (la Bretagne) qui n'est pas forcément des plus riantes ou glamour à vivre tous les jours, mais qui recèle des trésors d'authenticité. Quant au dessin en lui-même, l'artiste est assez fidèle à ses habitudes, avec cette capacité de saisir l'instant sur le vif, ce miracle des traits, des lignes nerveuses qui éructent sur le papier, non pas pour former un dessin photo réaliste irréprochable, mais quelque chose qui parle directement aux sentiments, chargé en expressivité, avec une utilisation magnifique de la couleur et du clair-obscur, qui dessinent parfois une mélancolie insondable sur les visages. Un très bel album publié chez Komics Initiative, tout d'abord proposé en financement participatif, puis désormais accessible à tous. J'ai eu le plaisir d'obtenir un exemplaire au dernier festival d'Angoulême (remerciements sincères à Mickaël Géreaume) qui plus est dédicacé par Laurent Lefeuvre, avec un de ses sketchs dont il a le secret. Je ne sais pas si vous avez compris, mais je suis fan, tout bêtement. 





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