UTOPIE VOLUME 1 : UN MONDE TROP PARFAIT AVEC RODOLPHE ET GRIFFO


 Nous avons tous une idée personnelle de ce que pourrait être un monde parfait, dégagé de ses problèmes, de ses incertitudes. Cette utopie peut faire froid dans le dos à certains ou au contraire être appelée de tous leurs vœux, par bien des rêveurs, qui ne comprennent pas que leur songe est un géant aux pieds d'argile. Car la perfection, ça n'existe pas, même dans cet univers mis sur pied par Rodolphe, qui est un peu un des spécialistes du genre. Ici, le personnage principal autour duquel gravite ce volume 1 s'appelle Will Jones : il travaille dans une institut qui a pour ambition de proposer une version cohérente de tous les faits historiques jamais advenus. Clairement, il s'agit en fait d'un exercice de réécriture, pour que tout devienne "lisse", quitte à perdre complètement le sens de notre héritage commun (il est ainsi question - et c'est assez drôle - du communiste au lieu de communisme et d'une certaine Stala, à la place de Staline. Et à un certain point , un des employés prétend qu'il existe des sources qui affirment que le dictateur soviétique était un homme, cela fait rire ses collègues!). Dans cette société aseptisée, les rapports personnels et tout particulièrement sexuels entre les êtres humains n'ont plus court, tout du moins dans la caste des plus nantis que l'on appelle les "plus plus". Eux ont à la maison une sorte de robot qui les attend pour satisfaire tout leur désirs. Les hommes ont une babe (amante et cuisinière soumise), les femmes ont un boy et lorsque le modèle ne correspond plus au goût du moment, il est remplacé par un nouvel androïde ou gynoïde encore plus fonctionnel et désirable. Bref, pourquoi regretter l'ancien monde, celui où les gens se fréquentaient, où on parlait politique, où on avait des débats de famille, où on lisait des livres ?


Il y a donc un petit côté Fahrenheit 451 dans cette histoire. Le livre en tant que dépositaire de l'ordre ancien, dont le contenu est capable de perturber la fable du présent, capable aussi de remuer les esprits, de les ouvrir vers quelque chose d'autre, la contestation de l'ordre établi. C'est un acte révolutionnaire alors, de tourner les pages d'un bouquin, au point qu'ils sont systématiquement interdits et brûlés et que le chemin de croix du protagoniste va commencer dès l'instant où une mystérieuse étrangère commence à lui transmettre des ouvrages, jour après jour, dont il ne parvient pas à se défaire. Cette société utopique semble en réalité annihiler  les individus et leurs instincts naturels, pour offrir en échange des cages de verre, l'illusion d'un paradis aseptisé et dirigé par "Carla et Andy". Ils ont construit ce monde en apparence merveilleux et se révèlent à la foule sous forme d'hologrammes, pour inciter les masses des travailleurs à vivre soumis et accepter passivement les efforts de guerre, dont on parle à certains moments, mais qui ne sont jamais concrètement définis. Probablement en saurons-nous plus dans le prochain tome, à sortir en avril. Le troisième étant lui à paraître au mois de septembre 2024. Même si la facture de l'ensemble est assez classique et qu'il s'agit d'une histoire qui trouve un écho dans bien d'autres choses déjà lues précédemment, il faut admettre que tout coule de source, que c'est très agréable d'aller de l'avant dans cette aventure et qu'il se dégage une cohérence et une unité assez remarquables. Le dessin de Griffo est capable d'unir suffisamment de réalisme et d'avoir une patte personnelle clairement axée sur les sentiments et les émotions, pour rendre la lecture fascinante, voire à certains endroits touchantes. C'est donc un premier volume qui remplit parfaitement son rôle et dont on aimerait avoir déjà la suite, tant on devine le potentiel évident d'Utopie.



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