Un des filons de la bande dessinée poil à gratter régulièrement exploité est celui de la religion, plus particulièrement du christianisme, puisqu'il s'agit de la religion qui accepte de se faire brocarder sans que les auteurs se retrouvent menacés de la pire des vengeances possibles. Et c'est tant mieux, car un monde où l'on n'aurait pas le droit de se moquer d'entités prétendument divines au risque d'encourir la condamnation du blasphème, serait aussi triste que préoccupant. Problème : ce monde, c'est celui dans lequel nous vivons. Une des raisons pour lesquelles il faut se pencher et s'intéresser à ce genre de projet. Attention cependant, la parodie, l'outrance, au bout de plusieurs centaines de pages, ça peut finir par lasser. L'intégrale de Battle Pop est donc disponible depuis quelques semaines chez Delcourt, dans une version en couleurs, contrairement à l'édition noir et blanc qui avait été proposée par Stara. Ceci parce que Image Comics a republié, le titre cette fois colorisé, à partir de 2005. En gros, il est question de fin du monde; nous assistons à un véritable carnage, les forces du Mal se sont emparées de la Terre. Même le Pape a succombé, jusqu'à ce que Dieu en personne décide de lui laisser une seconde chance, de le renvoyer parmi les vivants pour mener à bien une mission de la plus haute importance. Un Pape qui va être profondément modifié, même dans son apparence physique, puisque l'espace d'une intervention divine, le voici devenu un super-héros bodybuildé, chargé en testostérone, copie carbone de ces personnages qui ont fait la fortune des années 1990, toujours prêts à se battre. Mieux encore, il va être associé dans sa mission à un side-kick maladroit et loin d'être à la hauteur de sa réputation, un certain Jésus-Christ en personne !
Ce Pape là a comme préoccupation première les plaisirs de la chair. Donnez-lui une fille facile (même si c'est une sorte de démone) et vous verrez, il sera très heureux de pouvoir démontrer sa virilité. Forcément, vu le concept de départ, les têtes explosent, les membres sont vite arrachées, il n'y a guère de subtilité dans cette histoire qui est avant tout un foutoir sans nom, un défouloir où tout ce qui est habituellement sacré subi un traitement décapant. Autre personnage important dès les premières pages, Saint Michel, qui a été capturé et que le Pape est censé libérer. S'il parvient à exécuter sa mission, une place au paradis lui est promise. S'il échoue, ce sera l'enfer. Mais même l'enfer n'est pas en mesure d'arrêter définitivement un Pape déchaîné, qui a face à lui un démon qui souhaite s'emparer de l'auréole du saint, pour l'ajouter au pouvoir de ses cornes… Le problème de Battle Pope, c'est probablement que l'humour outrancier, sans véritable tentative de jouer sur le second degré, de proposer une critique acerbe ou voilée, finit par être vraiment too much. Robert Kirkman, alors à ses premières armes, manque tout de même de discernement dans le dosage des éléments de son récit, qui du coup risque de perdre ceux qui attendant quelque chose de concret et de bien écrit. Tony Moore donne libre cours à toute sa classe, en terme de volumes, d'expressions faciales, de capacité à parodier et dans le même temps assimiler les influences des années 1990. C'est de la vitamine en surdose à chaque page, et la couleur, dans cette édition Delcourt, permet d'éviter le noir et blanc saturé et chargé en contrastes maladroits, qui gâchaient quelques-unes des plus belles pages de l'édition Stara. L'album en soi est de belle facture, Delcourt continue de soigner visiblement son programme de réédition des séries d'il y a trente ans, avec un savoir faire et un amour du média qui est sous les yeux de tous. Disons que je ne suis probablement pas le public de ce titre précis, à réserver aux amateurs de gros délires sans complexe.