Nous sommes à la fin des années 1990 et Todd McFarlane décide d'enrichir l'univers de Spawn, en proposant de nouveaux personnages aussi sombres que tourmentés. La série s'appelle Curse of the Spawn (la Malédiction de Spawn) et elle a droit aujourd'hui à une intégrale (en trois volumes) proposée chez Delcourt. On commence avec un certain Daniel Llanso. Nous sommes dans un futur lointain (un bond de 400 ans, tout de même) et il ne reste rien d'autre qu'un monde apocalyptique, avec de tristes sires comme l'Anti-Pape et son Nu-Vatican, ou encore le Dessicator, qui se nourrit des fluides corporels de ses victimes. La vie terrestre de Daniel a été marquée par un drame horrible : il a dû tuer un père alcoolique et aux mains baladeuses pour sauver sa mère et sa sœur, une certaine Madrid. Elle, nous la retrouvons dans ce récit, avec son petit gamin, Daniel. Si elle ne reconnaît pas le frère sous les traits grimaçants du Hellspawn, elle lui doit cependant la vie sauve. Ce Spawn là va affronter un démon redoutable (Abbadon) et presque se sacrifier, pour donner une chance à ceux qui sont "de son sang". Vous aimez les comic books gothiques, alors là vous allez être ravis. Nous sommes à la limite de l'exagération et de la surenchère permanente, à commencer par le texte, chacune des phrases, chacun des dialogues, comprenant un vocabulaire et des tournures de phrase évoquant le massacre, le carnage, le sang, la malédiction, le diable… il n'y a pas un seul instant de repos et c'est un climat étouffant qui nous assaille, dès les premières pages. Alan McElroy sort l'artillerie lourde ! Il en est de même avec le dessin très maniéré et détaillé de Dwayne Turner, qui devrait ravir les amateurs de planches cauchemardesques : tout est torturé, déformé, on a l'impression de plonger dans un puits sans fond où la noirceur est omniprésente (et l'héritage de McFarlane est clairement assumé). Ceci est très important car si vous êtes à la recherche de quelque chose d'un peu plus aéré, clairement cet album n'est pas fait pour vous. C'est vraiment du Spawn à l'extrême, dans le sens où rarement un album apparaît aussi poisseux et infernal que dans cette "malédiction".
La suite se conjugue au féminin. Et on enchaine avec l'histoire sordide et éprouvante de Suture, qui à l'époque de son existence terrienne était une charmante blonde du nom de Gretchen Culver, fiancée à un entrepreneur dynamique. Nous assistons à des scènes proprement insoutenables puisque l'héroïne malgré elle de ce récit est poursuivie par un tueur, renversée par une voiture de police, gravement blessée puis violée dans le fourgon de l'ambulance avant d'être finalement abandonnée à un serial killer, qui va la découper puis la recoudre avec du fil de pêche. Oui, ça fait partie des choses les pires que vous pourrez lire dans votre carrière de fan de comics, je vous préviens. On retrouve au passage le duo Sam & Twitch, enquêteurs privés un peu largués mais terriblement efficace quand il s'agit de frayer dans les bas-fonds les plus sordides de l'existence humaine. Les derniers épisodes présents dans ce volume mettent en scène Angela, celle qui aujourd'hui a fini par atterrir chez Marvel, pour une question de droits. Avant d'être la sœur de Thor, c'était une créature angélique dont la mission était de détruire tous les Hellspawn qu'elle rencontrait sur son passage. Ici, elle est aux prises avec une créature démoniaque du nom de Deurges, qui incarne totalement ce qui peut se faire de pire dans le genre. D'autant plus qu'une brèche s'est ouverte dans les limbes et que c'est tout le continuum espace-temps qui est menacé. C'est tout de même bien confus et on a parfois du mal à suivre les tenants et aboutissants de ces pages, qui ont par contre la qualité indéniable de permettre à Dwayne Turner de faire exploser son talent et d'utiliser la plastique et les rubans mystiques d'Angela de la plus belle des manières. Je vous le répète, il s'agit d'une parution à réserver exclusivement aux amateurs de bande dessinée gothique et sanguinolente et de ce point de vue là, on peut même la qualifier de vraie perle du genre. Les autres risquent de tomber en syncope ou de se sentir étouffés, tant la fusion texte/dessins impliquent une immersion dans la fange absolument terrifiante.