En marge des comics classiques, il se passe des choses fort intéressantes chez Ankama, avec le label 619. Certes la série Doggybags s'est arrêtée au bout de 13 numéros, mais vous pouvez trouver en librairie des recueils uniques, portant fort justement la mention "one shot", avec des histoires d'une violence et d'une cruauté qui nécessitent de ne pas les placer entre toutes les mains. Attention, n'allez pas croire qu'il s'agit là uniquement d'un argument de vente, car le Teddybear dont nous vous parlons aujourd'hui, par exemple, tient sacrément la route!
On suit le parcours d'un jeune garçon, Odrissa, dans un de ces pays africains où la guerre civile fait des ravages parmi la population, entre un gouvernement ultra corrompu qui fait des affaires avec des mercenaires européens, venus se remplir les poches de diamants, et les rebelles exaltés et drogués, pour qui faire couler le sang est une seconde nature. Les civils font bien peu le poids, dans un tel contexte. Odrissa est cagoulé et jeté au milieu d'autres enfants, qui subissent un entraînement intensif et cruel, pour devenir de bons petits soldats. La plupart sont abattus mais lui survit, obligé de prendre régulièrement une drogue hallucinogène qui dissipe momentanément ses doutes, ses peurs. Le jeunot est embrigadé par un certain Lion King, une espèce de cinglé qui confond puissance militaire et secte, et qui l'oblige à participer à un massacre de villageois innocents; c'est d'ailleurs là que le gamin arrache une peluche en forme d'ours à une des victimes, et cette dernière va devenir son totem, l'acte fondateur de sa nouvelle identité, Teddybear, donc.
Où est l'innocence dans tout cela? Elle n'existe plus! Les enfants-soldats sont ici abordés de manière franche, sanguinolente et pourtant crédible (on apprécie les pages intercalés qui donnent des informations complémentaires sur le sujet traité). Il n'y a aucun espoir dans ces contrées, aucun moyen d'échapper au flot continu de sang, lorsque Odrissa crois par hasard d'autres petits de son âge. Ces derniers sont tout occupés à jouer, mais un jeu particulier, puisqu'il s'agit d'un simulacre de combat, avec de fausses armes. D'ailleurs sa kalachnikov fait sensation! Évidemment il y a un contraste saisissant entre ce guerrier aussi immature que paumé, en proie à de terribles visions et cauchemars durant la nuit, et qui fuit continuellement l'horreur et les apparitions, et cette petite peluche qu'il transporte partout, et qui sert de fil conducteur à l'histoire, avant de trouver un nouveau propriétaire dans les dernières vignettes.
Une belle réussite que ce scénario de Francesco Giugiaro, qui n'essaie pas de porter un jugement ou d'apporter des raisons philosophiques, mais nous plonge dans une trajectoire haletante et mortifère. Au dessin Jérémie Gasparutto sort une prestation superbe; sens du détail et de la mise en page incroyables, mariage parfait (par moment) dans certaines cases entre une subtile influence manga et le comics plus traditionnel... on en prend plein les yeux, et il n'y a pas la moindre baisse de régime (il y a du Fejzula et du Guéra chez cet artiste). Bref nous avons été vraiment séduits et il y a fort à parier que nous ne serons pas les seuls.
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