Au départ, ce devait être un événement. Une série ambitieuse et susceptible d'ouvrir de véritables nouvelles voies dans l'univers Marvel. Et puis, comme toujours, la réalité du marché a rattrapé les artistes. Malgré un effort promotionnel évident (G.O.D.S. a été teasé par des pages spéciales, insérées dans pratiquement toutes les autres séries) de la part de Marvel et le calibre des deux auteurs impliqués, G.O.D.S. n'a duré que 8 numéros aux Etats-Unis et son impact a été beaucoup plus modeste qu'on aurait pu l'imaginer. D'un côté c'est dommage, car le travail de Jonathan Hickman est comme d'habitude d'un très bon niveau, lui le spécialiste du worldbuilding, quand il s'agit surtout de redéfinir diverses entités cosmiques du panthéon local (de l'Oubli à Eternité, de l'Intermédiaire au Tribunal Vivant) sur fond d'équilibre universel, fondé sur une trêve entre le Pouvoir-en-place et la science, représentée par l'Ordre-Naturel-des-Choses. Tout démarre dans un premier numéro extra-large, avec un long flashback initial. On comprend comment le mariage de Wyn (le nouveau personnage majeur du titre) s'est terminé lorsque sa femme, Aiko, a été sélectionnée comme l'une des "Centum" de l'Ordre-Naturel-des-Choses. En gros, une sorte de chercheuse cosmique, capable d'enquêter sur toutes les connaissances humaines. Un rôle qui la met en opposition avec les Autorités Supérieures, au service desquelles se trouve ce Wyn, et qui l'oblige donc à se séparer de celui qu'elle aime, pour éviter de fâcheuses conséquences. D'emblée, ça saute aux yeux : Valerio Schiti fait un excellent travail sur les expressions et les détails de la gestuelle des personnages. Il excelle dans la représentation de tout une brochettes d'intervenants originaux, qui sont censés être dépositaires de savoirs ou de dons cosmiques, tout en restant assez proches des humains traditionnels et de leurs failles, un peu sur le modèle de ce que Neil Gaiman a pu faire avec la célébrissime série Sandman. Bref, à l'opposé du travail d'un Jim Starlin, pour simplifier. La suite de l'histoire, c'est une sorte de chasse au trésor d'artefacts mystiques, pour arrêter un sorcier maléfique qui a l'intention d'oblitérer l'existence (Cubisk Core), et l'aide bienvenue d'invités bien connus, comme le Docteur Strange (ainsi que de brèves apparitions de nombreux autres personnages comme les Fantastiques ou Black Panther). Hickman s'isole, tisse selon son rythme et ses envies, passe de l'infiniment grand à l'intime le plus banal, tandis que ses personnages continuent de deviser, soliloquer, déclamer, ce qui reste souvent, soyons honnêtes, un des talons d'Achille du scénariste.
Reste bien sûr à déterminer si cette représentation des entités cosmiques par Hickman est capable de prendre le dessus sur celle plus traditionnelle que nous connaissions. Et là, c'est une autre paire de manches, car même si G.O.D.S. réserve de belles illuminations et que l'on passe globalement un très bon moment (à condition d'être fan du travail du scénariste), il y a fort à parier que sur la durée, cela n'a aucune chance d'égaler la fantasmagorie des quêtes cosmiques à la Starlin. Bref, lorsque le discours est recentré sur notre petit nombril, notre planète, avec des discussions métaphysiques sur ce qui constitue le tissu même de l'existence, l'histoire semble un peu plus crédible (pour autant que cet adjectif puisse avoir un sens ici) mais perd beaucoup de son côté épique. Le Tribunal Vivant, par exemple, n'a jamais été aussi effrayant et imposant que lorsqu'il apparaît devant des déités spatiales en panique, ou lorsqu'il est convoqué par des types comme Adam Warlock ou Thanos. Hickman parle beaucoup, il ensorcelle son lecteur au moyen de dialogues, de didascalies, qui semblent ne pas en finir… et bien souvent, ce qui se passe dans chaque épisode est plus concentré au niveau du texte, de ce qu'il nous promet, que de celui de l'action réelle. Et plus on approche de la fin des huit épisodes de G.O.D.S., plus le propos devient intime, à tel point même que le final ressemble à une sorte de définition de l'amour, de combien les sentiments peuvent être plus importants encore que la connaissance ultime. Ou bien on s'arrête sur le personnage de Dimitri, l'aide de camp de Wyn à travers tout l'ouvrage, qui est prêt à tout pour retrouver ses parents disparus lorsqu'il était encore jeune, lors d'une mission spatiale. Toute la connaissance accumulée, tout ce qui constitue l'ensemble de secrets que l'on devine normalement détenus par des dieux, finalement au service de récits et de destins tout à fait humains. C'est un peu ainsi que Hickman retombe sur ses pieds, en nous faisant miroiter l'envers des cartes, en nous amenant du côté de l'infini, pour en somme nous dire que ce n'est pas trop mal d'être un humain, après tout. Rappelons-le une dernière fois, d'un bout à l'autre, Valerio Schiti est irréprochable, voire même fantastique, ce qui, pour les allergiques à la narration de Hickman, aura tout de même le don de faire passer la pilule. Si vous aimez les belles choses, vous pouvez aussi vous procurer la variant cover proposée par le Comic Shops Assemble, la réunion de quelques-uns des plus importants magasins français, qui a misé sur une illustration splendide de Felipe Massafera.
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