Nous connaissons, bien entendu, les moindres détails de la carrière et des caractéristiques de Kraven le Chasseur. C’est donc une grande douleur de constater que le film nous présente une version revisitée de ce personnage, qui ressemble davantage à un super-héros invincible, proche dans l’esprit d’un Wolverine écolo, qu’au chasseur obsessionnel et impitoyable que l’on retrouve dans les pages des comics Marvel. Cette réinvention radicale (et de mauvais goût) s’accompagne de motivations et d’une déontologie totalement étrangères à celles du personnage original, connu pour ses affrontements mémorables avec Spider-Man. Le point clé à retenir avant de découvrir ce film – ou d’en tirer des enseignements, genre "évitez d'aller le voir" – réside dans sa déconnexion totale avec l’univers du Tisseur de toile. Cette rupture semble être la principale cause de l’échec quasi inévitable des productions Sony dédiées aux personnages secondaires de ce petit monde arachnéen sans l'être. Comment, en effet, rendre cohérents et captivants des films sur Venom, Madame Web ou Kraven sans établir de lien narratif solide avec Spider-Man, qui demeure la pierre angulaire de ces récits ? Dans cette adaptation improbable, Kraven/Sergei Kravinoff est dépeint comme l’héritier d’un empire mafieux russe. Ayant subi toute sa jeunesse l’influence toxique et les brimades de son père, il choisit de se dresser contre le monde criminel auquel il était destiné. Après un tragique accident lors d’un safari, il revient à la vie grâce à une potion miraculeuse administrée par Calypso. Si cette prêtresse vaudou emblématique des comics Marvel fait son apparition, son rôle ici est réduit à un simple faire-valoir féminin, dépourvu de moments forts ou d’utilité réelle dans l’intrigue. Le film introduit également le frère de Kraven, destiné à devenir le Caméléon. Les deux dernières minutes du long-métrage, où ce personnage prend forme, comptent parmi les plus réussies, car elles offrent un aperçu des figures telles qu’elles auraient pu être si elles avaient respecté davantage l’esprit des comics. On y découvre un jeune homme ayant longtemps vécu dans l’ombre du père, manipulé et soumis à son emprise, mais dont l’évolution diffère profondément de celle de Kraven. L’aîné, quant à lui, concentre ses efforts sur les pires représentants de la corruption mondiale, qu’il pourchasse avec une violence expéditive. Son style de déplacement – bondissant d’un pont à l’autre à la manière de Spider-Man – et ses capacités physiques rappellent une version de Wolverine capable de grimper aux murs et de courir à la vitesse d’un véhicule tout-terrain. D'où la consternation, à maintes reprises. En réalité, ce Kraven revisité s’apparente davantage à un anti-héros écologiste, prompt à exhiber ses abdominaux saillants, qu’à l’iconique chasseur que les amateurs de Marvel connaissent. Il manque à cette version une fidélité fondamentale au personnage original, au point qu’elle semble n’avoir que peu de liens, voire aucun, avec l’œuvre dont elle s’inspire.
Kraven semble clairement avoir été conçu, dès le départ, comme le premier chapitre d’une saga, car l’intrigue du film est juste une ébauche préparatoire, une origin story qui appelle un prolongement : c'est la seule excuse au comportement "héroïque" d'un protagoniste hors sujet . Dans le tourbillon d’événements portés à l'écran (souvent dans la confusion), il faut saluer l’effort de Sony qui tente d’intégrer plusieurs éléments, même secondaires, liés au Spider-Verse. Cependant, tout ça reste souvent superficiel, sans réelle profondeur. Encore plus que Venom, Morbius ou Madame Web, Kraven expose ainsi les limites de la tapisserie finale, en live-action dépourvue de son héros principal qui l'a inspirée. Les clins d’œil à l’univers arachnéen perdent de leur impact si l’histoire reste déconnectée de son contexte central, comme déjà évoqué. Un autre point problématique réside dans la gestion des personnages secondaires et des antagonistes. La plupart semblent introduits de manière aléatoire, sans être soutenus par une écriture solide ou des motivations crédibles. Leurs évolutions paraissent dictées par les besoins de l’intrigue, au détriment d’un véritable développement cohérent. La remarque inclut les grands méchants du film (un Rhino qui passe au travers de son sujet dès lors qu'il apparait en costume. Ou l'Etranger, dont les pouvoirs et les motivations sont totalement voués aux oubliettes. 1,2,3 bonne nuit, vous comprendrez la référence si vous avez vu Kraven. Une plaisanterie !), mais aussi les alliés et les proches de notre bon Chasseur. Sans entrer dans les détails pour éviter tout spoiler aux retardataires, l’impression générale est celle d’un énième film de super-héros qui cherche à séduire coûte que coûte, sans vraiment aller au bout de ses idées. Tout en évacuant les moindres aspérités pour un produit fini consensuel et sans grande saveur. Au final, on se retrouve face à un long métrage qui se laisse regarder, sans éclat particulier. La mise en scène des morceaux d’action, cependant, surpasse les précédentes productions du même univers. C'est en partie dû à un cadre plus violent et mature, mais surtout à la présence charismatique et physique d’Aaron Taylor-Johnson. L’acteur incarne un Kraven quasi parfait, ce qui rend d’autant plus regrettable de ne pas pouvoir le voir évoluer dans un contexte narratif plus ambitieux et cruel. Les effets spéciaux sont globalement loin d'être à la hauteur : la CGI, notamment pour certains animaux et la transformation du Rhino, laisse à désirer. Malgré tout, le film offre une mise en scène globalement correcte, cohérente avec le talent de son acteur principal. J. C. Chandor n'est pas un tâcheron, ça aide grandement. Kraven, c'est finalement une tentative de refermer le coffre à jouets tout en en faisant le minimum syndical, sans parvenir à marquer les esprits comme c'était pourtant possible. Une conclusion à peine regardable, pour ce qui restera comme un énorme gâchis dans l'histoire du genre super-héroïque au cinéma. Merci (ou pas) Sony.
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