La grande science-fiction humaniste et sociale tel que nous l'aimons, voilà ce qui est au programme de "L'humanité invisible", un nouvel album de la série des futurs de Liu Cixin. Nous assistons au retour sur Terre d'un vaisseau spatial, une "arche" qui avait pour mission de sillonner le cosmos à la recherche de planètes habitables sur lesquelles implanter des colonies terrestres. Une mission d'autant plus importante que notre planète était menacée de disparition en raison d'un terrible flash d'énergie solaire, prévu par les scientifiques. La durée du trajet du vaisseau est sans commune mesure avec celle du temps qui s'écoule réellement sur Terre. En conséquence, lorsqu'il revient se poser après une longue épopée infructueuse et alors que tous les membres de l'équipage sont morts, sauf un, c'est pour trouver une planète sur laquelle se sont écoulés plus de 20000 ans. Un monde complètement abandonné et calciné, où la traditionnelle couleur bleu qui définit notre joyau dans l'univers est remplacé par le noir et le blanc de la désolation la plus totale. S'il n'y a plus personne de vivant sur Terre, un message d'accueil est tout de même délivré à notre survivant de l'espace, qui interprète tout d'abord la vidéo comme la production d'une intelligence artificielle enregistrée avant la grande catastrophe, en vue du retour attendu de son vaisseau. La réalité est tout autre : l'humanité a disparu, elle a été en fait remplacée par une version miniature ou subatomique d'elle-même, qui a de quoi surprendre. Les nouveaux terriens sont encore plus petits que des bactéries !
Liu Wei est-il pessimiste ou fondamentalement optimiste ? Avec L'humanité invisible, cette vision de la Terre où l'homme a disparu est certes tragique, mais cette disparition a aussi donné naissance à une nouvelle organisation, une micro société qui semble ignorer tous les problèmes qui ravagent notre existence géopolitique aujourd'hui. Le revers de la médaille, c'est que n'ayant plus besoin de se dépasser, vivant une ère de paix qui confine à l'assoupissement, il est difficile pour les micro-humains de réaliser leur plein potentiel. Le retour sur Terre du dernier survivant de la mission d'exploration menée par "l'arche" est alors l'occasion d'opérer une fusion, la synthèse entre le monde d'avant et celui d'aujourd'hui, pour en dégager une leçon finale d'un optimisme éternel et inébranlable. Je vous laisse arriver à la conclusion pour comprendre quelle forme il assume. Pan Zhiming (qui je l'admets est pour moi un artiste inconnu jusque-là) livre des planches réellement belles, qui sont capables de jouer sur deux niveaux stylistiques : à la fois la science-fiction classique et par endroits ténébreuse, qui dépeint un univers post apocalyptique, et de l'autre les couleurs flashy et acidulées de la nouvelle société micro-humaine, où tout n'est que joie, optimisme et positivité, grâce notamment à l'emploi d'un trait hérité du manga, qui permet d'apporter un contrepoint parfait au reste de l'œuvre. Ce volume des Futurs de Liu Cixin est réellement intéressant car il tranche agréablement avec cette vision forcément catastrophiste du devenir humain, notre incapacité à évoluer pour affronter les défis de demain. Ici, c'est tout le contraire; aussi bien la technologie que la grandeur d'esprit de notre espèce parviennent à dégager un scénario inédit et ma foi des plus surprenants. On s'attend même toujours en permanence au point de bascule, lorsque le lecteur s'apercevra qu'il a été trompé et que de sombres secrets vont être enfin révélés. Mais ce n'est pas au menu de cette Humanité invisible, qui jusqu'au bout nous présente une lueur d'espoir qui illumine une possibilité aussi fascinante que fantastique. Une des plus belles réussites de la collection, que nous vous invitons de tout cœur à vous procurer.