MARVEL DANS LES ANNEES 90 : L'X-PLOSION MUTANTE

Quand on parle du succès des mutants, on pense indiscutablement aux années 80, et à Chris Claremont. Pour autant, la franchise X n'avait pas été véritablement exploitée selon son indéniable potentiel, en grande partie car cela ne correspondait pas à la politique éditoriale de Jim Shooter, editor in chief de l'époque. Du coup, dans les années 90, décennie fabuleuse ou honnie, où le dessin explose à la limite du paroxysme et de la folie visuelle, au détriment du scénario, parfois si retors ou simpliste (des armes et je tire), les mutants ont connu de véritables heures de gloire inégalées (Age of Apocalypse, Jim Lee sur X-Men) et nombre de mensuels dérivés, à la pertinence discutable, fragile, ou honteusement méconnue (on regrette toujours la première mouture d'Excalibur, beaucoup moins certaines errances en solo de Cable). Panini Comics propose depuis quelques mois des ouvrages anthologiques, revenant chacun sur une décennie des 80 ans d'histoire(s) Marvel. Ce tome-là est donc une mine d'or, pour ceux qui désirent un cours de rattrapage sur les élèves du professeur Xavier! On passe en revue brièvement le contenu, qui est d'une variété remarquable.
On commence avec Excalibur #48, qui est une sorte de filiale britannique des X-Men, née de l'esprit prolifique de Chris Claremont. Si ce titre a laissé de si bons souvenirs, c'est qu'il savait manier l'humour et l'ironie avec délice, faisant fi de la sinistrose qui dévorait habituellement le discours chez Cyclope et compagnie. Ici C'est Alan Davis qui a pris la relève, texte et dessins, et nous retrouvons Captain Britain et les siens face aux Technet. Un exemple frappant de comment Excalibur pouvait être jouissif et débridé, un espace de respiration à part que beaucoup de fans avaient élu comme leur lecture favorite.
Chez Wolverine (#42) du coup l'ambiance est au pôle opposé. Le griffu est toujours prêt à donner dans la découpe, à se torturer les méninges au sujet de ses origines nébuleuses, et on n'esquisse que de rares sourires crispés. Il faut bien Deadpool, et encore. Larry Hama semble plongé dans les affres du travail de commande, et il reste Adam Kubert pour régaler le lecteur, d'autant plus qu'il traversait alors un pic de qualité qu'il semble avoir perdu depuis.

X-Factor #87, comment définir...c'est pour moi indispensable. Et dire que beaucoup ont déjà oublié la période Peter David (maître dans l'art de manier l'humour à froid) et Joe Quesada, dont le style explosif et novateur confine alors à la petite oeuvre d'art. On y parle problèmes psychologiques et dysfonctionnements individuels et de groupe, chez le docteur Samson, psychanalyste des stars, pardon des héros. Havok, Polaris, Vif Argent, Rahne, que cette équipe pétillante et truculente a pu me plaire, dans les années 90! 
Pour ce qui est des X-Men proprement dit (#91), on assiste à un affrontement entre le groupe, et Sinistre, dans la tradition établie, mis en scène par Fabian Nicieza et Joe Bennett. On pouvait rêver plus éloquent, plus grandiloquent. On préférera nettement relire la Generation X (#5) de Lobdell, Bachalo et/ou Buckingham, qui proposait de suivre les aventures des jeunots mutants, coachés par le tandem improbable Sean Cassidy (un Hurleur en quadra paternaliste mais pro actif) et Emma Frost (en garce reconvertie, mais pas trop, toujours prête à griffer). Le dessin est alors ultra sombre et inventif, les formes et la mise en page perpétuellement bousculées, et si ces standards ne dureront pas si longtemps, au moins les premiers mois furent remarquables. 
Arrive le cas X-Man (#5), Nathan Grey, le mutant le plus énigmatique de la décennie, consumé par son propre pouvoir qu'on devine incommensurable. Les histoires se concentrent toujours sur les tourments psychologiques (là aussi!) du protagoniste, avec des élans inspirés qui puise dans la science-fiction et les questions temporelles. Jeph Loeb est appliqué et pertinent dans les premiers épisodes (la suite part en eau de boudin) et Steve Skroce signe des planches anguleuses et plastiquement nerveuses, dans un style que je n'ai jamais apprécié sincèrement, mais qui avait aussi ses admirateurs. 
Et Uncanny X-Men dans tout cela? Et bien c'est le prétexte à voir l'évolution d'un artiste comme Joe Madureira, qui insuffle un esprit manga à des planches de comic-books, pour un face à face tendu entre Psylocke et Sabretooth, le classique vilain que les gentils tentent de remettre sur le droit chemin, ou en tous les cas n'ont pas le courage de liquider. 
Reste à lire un peu de X-Force (#55) une série qui ne s'embarrasse pas toujours d'une subtilité psychologique évidente, et qui est alors confiée à Loeb et Adam Pollina. X-Force vs The Shield, oui d'accord, mais ça n'a pas laissé de trace mémorable.
Deadpool lui, en a laissé des traces, au point de devenir la vraie star issue de cette décennie, celle qui va gagner les faveurs du grand écran et apparaître dans tous les titres possibles et imaginables les années successives. Ses premiers pas en solo, ici représentés par l'équipe Joe Kelly et Ed McGuinness, sont frais comme des gardons pêchés le matin, et pétillent comme du coca longtemps secoué avant d'ouvrir.
Au fait, n'oublions pas non plus Cable, qui passe le plus clair de son temps, dans son propre titre, à se complaire dans la violence et la tragédie. Avec Apocalypse au menu, c'est quelque part assez naturel. Épisode signé Casey et Ladronn, pour une série qui aura été loin d'épuiser son véritable potentiel.
Bref, à l'heure où ce sont les Avengers qui récoltent les moissons de la gloire, ce volume so nineties vient nous rappeler que ce sont les mutants qui ont porté Marvel à bout de bras, il y a 25/30 ans, avec une foisonnement de propositions diverses et variées, allant de l'excellent, au clairement bâclé. Ce qui est un bon résumé pour les années 90!



Pour acheter ce volume, édité par Panini


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