CAPUCHE BLANCHE : LA JEUNE FILLE ET LE (GRAND MECHANT) LOUP


Rien que le titre, "Capuche blanche", pourrait mettre la puce à l'oreille. Il s'agit d'une sorte de réécriture du conte du Petit Chaperon rouge, mais qui, au fil des pages, dépasse largement le cadre initial pour devenir un récit à la fois glaçant et moderne. Certes, l'histoire reprend certains éléments classiques, mais elle les transforme en quelque chose de profondément différent. Tout commence de manière bucolique, avec une magnifique double page qui illustre le cycle des saisons à travers une nature quasi déserte. Loin de l'agitation frénétique des villes, l'héroïne grandit dans un cadre boisé, isolée, marquée par des failles profondes et un manque d’amour évident, autant à donner qu’à recevoir. Sa mère a quitté le foyer conjugal, et son père, distant, ne lui prête aucune attention. Elle trouve quand même un peu de réconfort auprès de sa grand-mère, mais reste une enfant solitaire. Elle ne mange pas de viande, semble souvent perdue dans ses pensées, et ne fréquente pas l’école traditionnelle. À la place, elle voit défiler une série de baby-sitters et de professeurs à domicile. Un jour d’hiver, des traces de sang sur la neige mènent Capuche à une découverte inattendue : un loup, le dernier de la forêt. L’animal, blessé, affamé et probablement proche de la mort, ne lui inspire pas de peur. Au contraire, elle parvient à calmer la bête et à lui prodiguer les premiers soins. Mais soigner un loup ne suffit pas : il faut aussi le nourrir. La jeune fille commence par puiser dans les réserves du réfrigérateur familial, puis commande de la viande congelée pour subvenir aux besoins du canidé. Cependant, nourrir un loup sauvage avec des restes ne peut suffire à rétablir sa force. Pour vraiment retrouver son instinct et sa puissance, le loup aurait besoin de chasser… de véritables proies. Et pourquoi pas des proies humaines ?



Oscar Martin ne se contente pas de jouer avec les codes du Petit Chaperon rouge. Il propose une réinterprétation audacieuse, centrée sur un personnage profondément original, tout en abordant des thèmes forts comme l'emprise : celle qu'on peut exercer sur autrui, et la manière dont les individus acceptent parfois cette domination pour combler un vide intérieur. Peut-on changer la nature profonde des êtres ? Cette question prend tout son sens ici, d'autant plus que le récit oppose une adolescente à un loup – un prédateur qui incarne à la fois la liberté et une certaine forme de sauvagerie. Cependant, la jeune héroïne est loin d'être une innocente. À mesure que l'intrigue progresse, le lecteur découvre une réalité bien plus sombre et complexe qu’il ne l’aurait imaginée au départ. La cruauté traverse toute l’histoire, mais elle s'intensifie dans la seconde partie du récit, qui abandonne toute ambiance bucolique. Peu à peu, le personnage principal devient antipathique, voire détestable, au point qu’on en vient à souhaiter qu’elle connaisse un sort à la hauteur de ses actes. Elle traversera effectivement un drame, mais celui-ci s’inscrit davantage dans la catégorie des "dégâts collatéraux". Le récit suit une trajectoire sombre, s'enfonçant dans une pénombre où la rédemption reste possible, bien que fragile. Les illustrations de Tha (Joseph August Tharrats i Pascual), réalisées dans un style aquarellé sauvage et parfois brut, ajoutent une dimension saisissante à cette étrange relation mortifère, inscrite dans un cadre hivernal et solitaire. Les témoins sont rares dans ce conte revisité, et tout ce qui se passe entre l'adolescente et le loup reste secret, dissimulé au regard du monde. Les actions de la jeune héroïne, destinées à servir l’animal, s’inscrivent dans un registre trouble, qui mêlent non-dits et interdits. Ce petit ouvrage, paru à la rentrée 2024, revisite avec une cruauté saisissante le mythe du Petit Chaperon rouge. Nous avions jusqu’ici négligé de vous en parler, mais il était essentiel de réparer cet oubli. C’est une œuvre remarquable, à découvrir absolument, surtout en cette période de fêtes.


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