La ville de Milwaukee est très loin d'être la plus glamour des États-Unis mais elle a par contre sa propre formation de super-héros. Ils forment la Brigade Nocturne et même s'ils n'ont pas de véritables super pouvoirs, ces encapés portent des costumes improbables et futuristes pour aller rendre la justice dans les rues. Des missions comme le trafic de drogue ou les agressions, c'était leur truc, jusqu'au jour ou une tragédie a frappé à la porte. Pleins feux sur le plus célèbre d'entre eux, celui qui se fait appeler The Blue Flame. Dans le civil, il s'agit de Sam Brausam, un type dont la vie est loin d'être brillante (il répare des chaudières) et qui a besoin de son "armure" pour ne pas se sentir un raté complet. Sam et toute sa bande de joyeux drilles épris de justice sont abattus durant une soirée à laquelle ils présidaient. Tous meurent, ou presque. Pas la "flamme", qui se réveille du coma avec une paire de béquilles et va désormais devoir traîner son handicap et son sentiment d'impuissance, tout le reste de son existence. Une tragédie qui est tristement le quotidien d'une nation où des désaxés usent des armes à feux pour perpétrer des massacres absurdes. Ce que personne ne peut deviner, c'est qu'au même moment, Sam conduit une seconde existence, plongé en lui-même et dans les tréfonds de l'espace. Où il est convoqué par une sorte de tribunal cosmique (le Consensus) en tant que représentant de la planète Terre. Celle-ci est menacée d'être détruite par cet aréopage judiciaire universel et Sam devient alors l'avocat de l'humanité, celui qui doit plaider la cause des êtres humains, démontrer que non, tout n'est pas perdu, qu'il n'y a pas que le mal en chacun de nous, mais qu'il y a aussi des raisons de nous faire confiance. Seulement voilà, faire confiance à l'homme, est-ce une si bonne idée que cela ? Christopher Cantwell va donc profiter de son récit pour nous (re)plonger dans quelques-uns des pires défauts de son pays, ou tout simplement de notre monde, tout en brouillant les frontières entre la réalité, la folie et l'incroyable. Sam est-il vraiment un super héros cosmique dont les paroles et les décisions peuvent sauver l'humanité ou est-il victime d'un délire personnel, entretenu par une existence aussi malchanceuse que misérable ? La réponse est en ce moment, chez 404 comics.
The Blue Flame déploie donc deux pistes narratives tout aussi dense et passionnante l'une que l'autre. Sam va devoir apprendre à se reconstruire mais chacun de ses pas est encore hésitant. Il est entouré par sa sœur et le compagnon de celle-ci, un immigré clandestin venu d'Amérique du Sud qui vit avec l'angoisse de devoir un jour quitter les États-Unis. Les rapports familiaux n'ont jamais été idylliques et la communication n'est pas le point fort des Brausam. Sam doit aussi comprendre les mécanismes psychologiques qui l'ont poussé à endosser l'armure du super-héros, s'il veut définir et cerner la personne qu'il est intrinsèquement ou qu'il pourra devenir. Est-ce vraiment l'envie d'aider les autres, le besoin de se sentir exister ou même carrément, des velléités fascisantes qui peuvent expliquer pourquoi des individus s'arrogent le droit de juger leur prochain et de le passer à tabac, plutôt que de laisser fonctionner la justice ? Et si vous étendez cette problématique à une échelle cosmique, vous obtenez donc le tribunal du Consensus, qui s'arroge le droit d'éliminer les peuples qu'il considère comme sans espoir, n'étant pas digne de prospérer. En passant régulièrement de l'infiniment grand au drame le plus intime, Christopher Cantwell génère à la fois beaucoup d'émotion chez le lecteur et beaucoup d'interrogations existentielles et sociétales. On se surprend par moment à se demander ce qui peut bien nous pousser à lire des récits de super-héros nous-mêmes, mais aussi, chose beaucoup plus grave, beaucoup moins futile, ce qui compose l'essence même de l'humanité, si elle mérite vraiment qu'on puisse lui accorder encore un peu de crédit ou si s'acharner à voir en elle le meilleur dont elle serait capable est une réaction saine, ou juste une douce utopie. Adam Gorham accompagne tous ces questionnements avec un dessin qui réussit une synthèse intéressante entre l'épure des formes et des personnages et une mise en scène suffisamment fouillée pour rendre chaque épisode une belle réussite formelle. Le tout est présenté (comme c'est régulièrement le cas chez 404 comics) dans un album de très belle facture avec une splendide couverture et son effet en légère surimpression. La qualité du papier et son grammage remarquable sont également très importants; cela permet de bénéficier de couleur mates qui ne vampirisent pas le trait de Gorham et rendent justice au coloriste, Kurt Michael Russell. Foi (en qui, en quoi ?), anatomie de l'homme dans sa noblesse et sa noirceur, chemin tortueux vers la rédemption, The Blue Flame, ça ressemble fort à un de ces albums qui vont squatter les premières places des classements de fin d'année, dans la catégorie comics. On prend les paris ?