WATCHMEN : LA SERIE TV QUI S'ATTAQUE AU MYTHE

Rien de tel, pour faire parler d'une série télévisée avant sa sortie, qu'un bon vieux règlement de compte virtuel sur les réseaux sociaux. Il faut dire qu'Alan Moore est toujours aussi jaloux de ses créations, et peu enclin à les partager, tandis que Damon Lindelof, le showrunner de Watchmen, n'a aucune intention de se laisser molester par le barde courroucé, au point de le remettre vertement à sa place. Attendons que les portes du saloon finissent de battre stérilement, et jetons un oeil aux deux premiers épisodes. Tout d'abord, soyez rassurés, le mythe, le vrai, reste intact, puisque nous n'avons pas sous les yeux le spectacle d'une réécriture de Watchmen pour un autre média (le film de Snyder s'en est déjà chargé), mais plutôt un produit original, inspiré par l'univers de Watchmen, ses personnages et son esthétique, ce qui est autre chose. Et Alan Moore peut bien fulminer, lui aussi a fait du neuf avec de l'ancien, qui ne lui appartenait pas forcément. Lorsque DC Comics racheta le catalogue des éditions Charlton, il lui fut demandé d'écrire une histoire avec les personnages en faisant partie. Sauf que les plans changèrent vite, et la requête fut finalement d'inventer de nouveaux héros, clairement des copies carbone de ceux qui existaient déjà (ceci pour conserver le peu de valeur que pouvaient avoir les "anciens", tout se recycle dans les comics, tôt ou tard). Blue Beetle devint Nite Owl, Captain Atom se transforma en Doctor Manhattan, Nightshade donna naissance à Silk Spectre, Peacemaker au Comédien, The Question à Rorschach, et Thunderbolt fut rebaptisé Ozymandias. Moore fit la moue, car il avait des idées plus audacieuses que cela, mais il finit par digérer le petit affront, et se mettre au travail. Cela dit, il n'avait cure de savoir ce que penserait des itérations les auteurs impliqués dans les origines de ces personnages, comme cela fut aussi le cas dans ses autres travaux "révisionistes" tirés des chefs d'oeuvres de Lovecraft ou Stevenson, entre autres. Mais dans le sens inverse, si Lindelof fouille dans le coffre à jouets d'Alan Moore, c'est la bagarre dans la cour de récré. Fair-play, please. 
Bref. En fait, ce Watchmen là se déroule environ trente ans après la fin de la bande dessinée. Nous sommes à Tulsa, dans l'Oklahoma, en 2019 (mais pas le notre, clairement). La technologie a évolué d'une manière différente: il n'y a pas de téléphone portable ni d'Internet, seulement des pagers et leur bip sonore. Le président des États-Unis est Robert Redford, élu en 1992 et toujours en poste; les super-héros sont des hors-la-loi et la police ressemble à un escadron de justiciers qui travaillent le visage couvert: personne ne sait qui se trouve sous les masques jaunes des forces de l'ordre ou les cagoules des lieutenants. Pour protéger la sécurité des agents, si vous êtes un policier, vous ne pouvez parler de votre job à personne, vous devez avoir un deuxième emploi et un pseudonyme. Dans les faits, vous agissez comme un super-héros à la solde de l'État. Certains ont d'ailleurs des noms de bataille super héroïques (Red Scare, Looking Glass, Sister Night), des costumes, et des facultés physiques presque "surhumaines". 


Toutes ces précautions sont nées à la suite de l’événement connu sous le nom de "Nuit Blanche", un massacre de policiers commis à minuit, trois ans plus tôt, à Noël, par un groupe de suprémacistes blancs. Tout ceci est narré en flash-back dans le second épisode. L’organisation, qui a pris pour référence le justicier Rorschach, porte son masque et adore ses fétiches (son journal, ses méthodologies). Elle a été combattue, mais semble être revenue à la mode. Car dans Watchmen, le discours racial est omniprésent. Ceci dès les premières images introductives du premier épisode, qui relatent un terrible carnage à Tucson, basé sur des faits réels, tant la région a souffert des exactions du KKK, qui avait fait de la ville un de ses fiefs historiques. Une blessure qui ne s'est jamais vraiment refermée, au point d'en redevenir purulente assez régulièrement, et d'être le terreau fertile sur lequel la série va pousser. 
Car dans Watchmen, un nouvel attentat sur un policier remet le feu aux poudres. L'attaque amène le commissaire de police Judd Crawford (Don Johnson) à appeler la détective Angela Abar (Regina King) pour enquêter. Angela a été blessée durant la Nuit Blanche, et a perdu son partenaire, mais elle a courageusement repris son travail au sein de la police, en utilisant une entreprise de pâtisserie comme couverture. Bonne pioche, l'actrice est d'une crédibilité totale, et le personnage est fort, complexe, intrigant, et prouve combien Lindelof est désireux de faire du neuf avec une franchise qu'on réputait inabordable.
Le showrunner découpe Watchmen en petits morceaux, qu'il parvient à cacher dans les replis des scènes. Un manifestant agite le panneau "L'avenir est prometteur", au lieu du dicton de Rorschach "La fin est proche"; le slogan "Quis custodiet ipsos custodes?" est devenu la devise de la police; la goutte de sang ne tombe pas sur un smiley, mais sur l'insigne d'un policier (pour signaler qu'ils sont le produit de la transformation des super-héros) et à son tour, le smiley n'est plus un badge mais la forme prise par les jaunes d'oeufs cassés par Angela au cours d'une démonstration à l'école; le parfum Nostalgie d'Adrian Veidt devient des pilules qui font revivre le passé; la police utilise un véhicule volant comme celui de Night Owl; un hôtel à l'arrière-plan s'appelle le Corsaire Noir. Le test de Rorschach est devenu la Capsule, une salle d’interrogatoire dans laquelle les symboles de l’Américan Way of Life sont projetés sur les murs (publicité pour le lait, alunissage, photo de cow-boy) pendant que les suspects répondent à des questions, pour voir s'ils ont des préjugés psychologiques, amenant à lutter contre l'ordre établi. N'oublions pas non plus d'aborder le seul personnage "survivant" de l'oeuvre en comic book, c 'est à dire Ozymandias, ici campé par un Jeremy Irons un poil cabotin, tout occupé à réciter le role du lord fantasque et déconnecté des règles morales et sociales du tout un chacun. Le Doctor Manhattan est régulièrement cité, mais aux dernières nouvelles, il est toujours sur Mars... 
Pour résumer, Watchmen est le moyen pour Lindelof de parler d’autre chose: des super-héros au sens le plus large possible (dans la fiction, tout le monde s’est approprié une image - ou un imaginaire - en déformant le sens, ce qui en fait un accessoire esthétique, au service de chacun), de racisme, de suprématisme, du patrimoine culturel, de l’information et ses manipulations. Il semble animer du désir de proposer une revisitation complète de l'oeuvre d'Alan Moore, tant en la faisant coller d'avantage à des thématiques modernes, ou tristement anciennes, mais qui reviennent furieusement sur le devant de la scène. Difficile de savoir exactement où va Watchmen, après juste deux épisodes, mais force est de constater que nous avons envie d'aller vérifier. 



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