On considère très souvent que plus on va de l'avant et on exploite un univers, moins les histoires écrites sont pertinentes ou intéressantes. Ici, ce n'est pas forcément le cas; c'est même plutôt le contraire ! Ce nouveau volume de Murphy est une réussite incontestable : on y retrouve un Batman en proie à des crises de panique, qui ne parvient pas à accepter l'idée qu'il a renoncé véritablement à son rôle costumé, alors que celui-ci semble être la seule identité qui le caractérise aux yeux des autres. Sa relation avec Harley Quinn est extrêmement complexe, car là où l'épouse aimerait voir des sentiments, il ne trouve que l'expression d'un trauma passé, une excuse en fait pour repousser l'hypothèse d'un rapport sentimental. Et puis ici il y a aussi la relation avec le fils putatif, que sont Dick Grayson mais aussi Jason Todd. Ce dernier voit son histoire développée de manière plus approfondie avec deux épisodes spéciaux qui sont dessinés de main de maître, dans la colorisation, le montage des planches et le dessin, absolument irréprochables, par Simone Di Meo. Deux interludes qui permettent de mieux comprendre les motivations, les failles et le parcours cabossé de celui qui est resté longtemps dans l'ombre de Batman, avant de le trahir et de craquer, dans une terrible séance d'interrogation orchestrée par le Joker, qui est parvenu à le briser mentalement tout comme il l'avait fait physiquement dans l'univers canonique DC. Et c'est bien entendu un plaisir de retrouver tout au long du reste de l'album la patte graphique de Sean Murphy, cette façon absolument extraordinaire de rendre dynamique et survoltée la moindre page et d'associer l'énergie du comics américain à un trait clairement inspiré du manga, de faire exploser la violence ou le spectacle dans des scènes bigger than life, où le dessinateur et le scénariste, qui ne sont donc qu'un seul homme, font preuve d'une décomplexion totale. Un Murphy que certains lecteurs associent un peu trop hâtivement aux milieux conservateurs américains, lui qui déploie un récit où la police et l'oppression se mêlent, et où des valeurs libertaires et humanistes sont clairement mises en avant. Ce quatrième volet d'une quadrilogie qui sera en fait plus étendue (les dernières pages ouvrent vers des développements bien plus larges) est une réussite évidente, promis juré.
Un Sean Murphy qui est en dédicace ce mercredi à Nice chez Alfa Bd / Le Dojo, qu'on se le dise (à partir de 15h30)