La science-fiction a toujours été un excellent moyen de parler de ce que nous vivons au temps présent, de la manière dont les tensions parcourent la société. Un des grands sujets récurrents des temps modernes, c'est la surpopulation, le fait que la Terre devient de moins en moins aisément habitable, ainsi que les répercussions de nos agissements coupables, comment ils pénalisent notre cadre de vie. Ceci à tel point qu'il n'est plus insensé d'imaginer qu'un jour, il faudra partir (c'est ce que des individus comme Elon Musk envisagent désormais ouvertement). Dans le futur lointain de Eden Corp, il est possible de gagner une place à bord de vaisseaux spatiaux affrétés par la compagnie du même nom, à destination d'une planète rêvée, censée accueillir tous les Terriens en surnombre, leur donner une nouvelle chance pour prendre un nouveau départ. Un peu ce qui se passait avec les colons européens qui débarquaient en Amérique mais cette fois à l'autre bout du cosmos. Gabe et sa famille (sa femme Morgane, et sa fille Kali) sont malheureusement recalés au tirage au sort. Jusqu'ici, ils doivent se contenter de survivre dans une ville de Paris particulièrement inhospitalière, à coup de larcins et de combats de rue, lorsque le chef de famille réalise que les heureux gagnants du jour ressemblent en tout point aux siens : elle est constituée du même nombre de membres, leurs physiques sont assez ressemblants. Il décide que l'heure est venue d'agir, c'est-à-dire s'en aller assommer les veinards de la loterie, pour prendre leur place et monter à bord de l'Arche spatiale à destination du nouvel Eden. Le pire dans cette histoire, c'est que ça marche ! Alors oui, ça peut sembler un peu gros et on peut être étonné qu'il n'y ait pas de contrôle d'identité un peu plus sérieux, à une époque où la technologie aura vraisemblablement fait de nouveaux pas de géant. Mais justement, c'est cette technologie qui va trahir Gabe et sa famille, une fois sur le vaisseau. Cette même technologie qui tout en les "rejetant" va également leur sauver la vie.
Il y a beaucoup de choses dans Eden Corp. C'est à la fois un véritable récit de science-fiction, un thriller, une fable écologique et morale, mais aussi une analyse des rapports humains, des phénomènes de société. Chacun des trois personnages principaux incarnent par ailleurs une vision des choses et une façon de réagir précise. Gabe, le père, n'est pas si mauvais que cela, bien au contraire. Il s'accroche à l'espoir pour l'offrir aussi aux siens, parce que sans la promesse d'un lendemain qui pourrait chanter, il ne voit plus l'utilité de rester debout et de combattre. C'est un idéaliste, en somme. Sa femme, Morgane, est pour sa part beaucoup plus pragmatique; elle accepte de voir la vérité en face, fait ce qui doit être fait, n'a pas la même nécessité de se bercer d'illusions. Enfin Kali, la fille; est un petit génie de l'informatique. Elle correspond bien à ces nouvelles générations pour qui la seule solution pour avancer est d'inventer demain, plutôt que de ressasser et recycler les idées d'hier. Face à eux trois, nous trouvons l'incroyable hypocrisie et la terrible imposture d'une compagnie qui domine désormais le monde et qui est prête à tout pour assouvir sa soif de puissance et de richesse. C'est un incroyable mensonge qui vous attend dans cette aventure, d'une ampleur cosmique, comme vous auriez probablement du mal à l'imaginer tant il y a de l'horreur et du cynisme absolu derrière les événements que vous découvrirez au cours de votre lecture. Basé sur une idée originale de Alain Bismut et Abel Ferry, Eden Corp est écrit au cordeau par Christopher Sebela et maintient votre attention en éveil, de la première à la dernière page. Une science du récit qui est magnifiquement mise en image par Marc Laming; chacune de ses planches est d'une grande précision, riche en détail et elles sont réhaussées à merveille par la couleur de Lee Loughridge. Une excellente surprise en cette fin d'hiver, bien dans le ton des grands récits de science-fiction dont les Humanoïdes Associés se sont fait un des principaux pourvoyeurs, pour les lecteurs français.
Sortie ce mercredi