BLOOD MOON : HORREUR SUR LA LUNE AVEC LE LABEL 619


 Pour qu'un thriller soit bon et angoissant, il faut savoir planter le décor. Ici, c'est (bien) fait dès les toutes premières pages, avec une colonie minière sur la Lune, au tout début du 22e siècle. Il faut avoir un sacré courage pour aller bosser sur notre satellite, alors que les conditions de travail sont désastreuses et particulièrement dangereuses; mais c'est très bien payé et du coup les candidats continuent d'affluer, même si le taux de mortalité est beaucoup plus élevé que la moyenne. Une fois sur place, il n'y a pas grand-chose à faire, si ce n'est bosser, s'enfiler des shots de tequila et de whisky pour résister et fréquenter les filles de joie, dans des bordels rétro high-tech.  Mais cette morosité mâtinée de science-fiction sociale vole en éclat le jour où un premier meurtre est découvert sur cette colonie minière, appartenant à la société E-Mining. Le type assassiné a été mis en scène, un peu à la façon du Christ sur sa croix, mais pire encore, puisque il a été énucléé et éventré. Bref, quelque chose d'absolument horrible, qui ne laisse aucun doute sur le caractère malsain de ce qui s'est produit. Dès lors, nous entrons dans une forme de thriller scientifique assez efficace et sans concession. Qui dit thriller dit bien entendu quelqu'un chargé de l'enquête, qui va assumer, bien malgré lui, le rôle du héros, celui qui est chargé de faire émerger la vérité dans notre récit. Il s'agit d'un certain Benjamin, chef de la sécurité, qui va devoir comprendre qui est l'assassin et quelles sont ses motivations. Autre élément important qui pourrait le mener sur la piste des coupables, un tatouage avec deux initiales laconiques : BM. Pour ne rien arranger, le bodycount ne fait que commencer.


Une des particularités du Label 619, c'est de privilégier clairement la qualité à la quantité. Ne vous attendez pas à une inflation de sorties (dorénavant chez Rue de Sèvres) mais plutôt à des albums pleinement maîtrisés et longuement attendus, distillés avec parcimonie. Pour Blood Moon, qui est inspiré par le film de science-fiction Outland (sorti en 1981 et lui-même dérivé de Le train sifflera trois fois), le label accueille Fred Bones, qui constitue une recrue de choix, s'il en est. Vous lirez un peu partout que son trait anguleux, un poil caricatural et âpre n'est pas sans évoquer du Mignola, mais surtout (à nos yeux de profanes) du Phil Hester, illustrateur très talentueux qui nous a encore gratifiés d'un beau Family Tree avec Jeff Lemire, il y a deux ans. Bones gère tout comme un maître, y-compris la couleur, ce qui permet de restituer une ambiance très sombre, poussiéreuse, minérale ou métallique, jusqu'à la révélation finale qui est peut-être un poil au dessus de ce vers quoi le scénario semblait tendre. D'une enquête qui verse dans une forme de mysticisme glauque et horrifique, on aboutit à une illumination presque métaphysique et universelle, qui a elle seule aurait justifié une autre histoire ou un autre tome. Disons que les dernières pages dépassent, de loin, ce qu'on pouvait avoir en tête pour échafauder une hypothèse dans la compréhension du récit. Pour le reste, les codes du genre sont bien employés et assimilés, le dynamisme et la tranchant du dessin servent à merveille une histoire qui n'a rien de tendre ou de poétique mais transpire la frustration et la claustrophobie dès la première planche. On étouffe; respirer est un atout majeur sur ce genre de théâtre d'opération, d'où l'importance, comme il est rappelé à un certain point, de ne pas vomir dans son scaphandre au risque d'être condamné. L'air est vicié dans chaque case, la tension monte progressivement avec la certitude d'un complot qui gagne en ampleur, qui part sur la piste d'un délire sectaire et politique. Blood Moon ressemble admirablement bien à ce qu'on voudrait trouver et qu'on est habitués à lire avec le Label 619. Un "LowReader présente" qui fait le job et le fait bien. 

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