Ce n'est concrètement jamais une chose très facile que de résumer le contenu d'un album signé Daniel Clowes. Le dernier en date, qui vient tout juste de paraître chez Delcourt, ne fait pas exception à la règle, bien au contraire. Monica se présente comme un ensemble de pistes narratives à priori isolées les unes des autres, mais qui forment un tout. Monica justement, est au centre de la complexe architecture mise au point par l'artiste. Au départ, c'est une petite gamine dont la mère multiplie les expériences de vie et qui en fait accumule les échecs. Les petits copains vont et viennent, la gamine grandit dans une succession de petits moments de plaisir, interrompus par de longues périodes de creux et d'abandon, jusqu'à ce qu'elle se retrouve finalement confiée à ses grands-parents. À partir de là, les choses commencent à aller mieux. Pour autant, au sortir de l'adolescence, elle va se retrouver à nouveau abandonnée, puisque le grand-père et la grand-mère décèdent. Cela dit, un peu plus tard dans l'ouvrage, elle aura l'occasion de renouer la conversation avec le papy, qui lui répond à travers les ondes hertziennes d'un poste radio, à condition que Monica garde celui-ci bien placé sur son oreiller, dans l'ancienne demeure familiale. Johnny, ancien combattant du Vietnam et premier petit ami historique et important de la mère (Penny), est lui aussi un des protagonistes de l'ensemble. Si sa compagne le trompe durant sa période en Asie, si ses parents détestent fort logiquement celle avec qui il souhaitait vivre sa vie, il va néanmoins lui redonner une chance plus tard, une seconde possibilité qui échouera tout aussi misérablement que la première. Mais attention, tout ce que Clowes raconte dans Monica n'est pas à prendre au pied de la lettre, au sens littéral des choses. Il y est aussi question de délires, de visions angoissantes, voire même l'expérience du coma (la radio et le grand-père). La réalité est extrêmement fragmentée et quand on essaie de recoller les morceaux, il n'est pas certain que cela corresponde à la même chose, selon le regard porté par l'individu qui s'attelle à la tâche. En des temps où toutes les certitudes semblent voler en éclat et où l'Occident et son principal représentant (les États-Unis) semble souvent marcher sur la tête, Clowes continue donc d'interroger à sa façon l'absurdité de notre présent, de notre histoire, des rapports humains.
Monica se présente donc comme un double flux; un flux de conscience, de sensations, de points de vue, et à ce sujet là nous pourrions même ajouter d'expérimentations, puisque une grande partie de l'œuvre tourne autour du psychédélisme, de la consommation de drogues de la contre-culture américaine, qui dans les années 1960 et 1970 a poussé beaucoup de monde vers des sectes, qui sont elles aussi très présentes dans le récit. Et le flux du temps, tout simplement, puisque lorsque Monica raconte son récit, elle apparaît plus âgée à chaque étape. De gamine abandonnée, elle devient une femme qui fini par atteindre une certaine aisance économique, avant de tout remettre en question pour se lancer dans une quête identitaire qui n'aboutira à rien d'autre, si ce n'est ajouter de la frustration et du vide au néant que semble être l'existence. Le final de Monica est d'ailleurs emblématique et il nous propose une sorte de vaste retour en arrière : tout a été créé, tout peut à nouveau disparaître. Clowes livre une œuvre très intéressante à parcourir mais déroutante quand on essaie d'en dégager le sens. Dessiné dans un style qui est désormais parfaitement établi et maîtrisé, avec une palette de couleurs vives, voire par endroits acidulées, l'ouvrage peut même être lu comme la confirmation que derrière tout ce que nous essayons de faire, d'accomplir, derrière chacun des sens cachés de l'existence que nous essayons de révéler, se cache en fait… Se cache quoi, sans blaguer ? Rien du tout ? Une vaste plaisanterie qu'on nomme le destin ? De la grande soupe primordiale à l'oubli universel et définitif, Monica embrasse l'éternité, l'infiniment grand et l'infiniment petit, tout en ne prenant aucun des deux vraiment au sérieux. Fascinant et fortement recommandé.