BOLITA : LE DERNIER CHEF D'OEUVRE DE CARLOS TRILLO CHEZ ILATINA


 Rosmery Ajata est une jeune bolivienne qui habite dans un des bidonvilles de Buenos Aires. Préoccupation majeure pour les gens de sa classe sociale, trouver un petit emploi, généralement mal payé et qui jouit d'une très faible considération. Pour Rosmery, ce sera (grâce à la recommandation d'un évêque) un poste de femme de ménage chez un couple fortuné d'origine allemande. Un couple pour le moins étrange, puisqu'il s'agit en fait de deux jumeaux qui vivent sous une sorte de régime marital, en grand secret. Tout cela, notre jeune domestique le découvre assez rapidement, grâce à son sens de l'observation et sa tendance à aller fouiner là où elle ne devrait pas, mettre le nez dans les affaires (sales) des autres. C'est que nous rencontrons là une sorte de petite détective en puissance, un peu trop curieuse, qui va se retrouver inexorablement au centre d'une histoire beaucoup plus complexe qu'elle ne semble à première vue. Ce qui au départ est louche et malsain devient carrément criminel. Il va être rapidement question de la résurgence du nazisme ,du docteur Mengele et d'une histoire d'inceste qui pourrait bien avoir des ramifications jusqu'au Vatican. Au milieu de tout cela, c'est un portrait saisissant qui nous est offert. Celui d'une jeune fille qui souhaite s'émanciper et ne pas être réduit aux stéréotypes de genre et sociaux qui devraient normalement lui être réservé. Qui vit une liaison physique et bancale avec un flic (Toco) ripoux, qui est éprise de littérature. Qui se trouve grosse et moche (on pourrait la qualifier de callipyge, elle a un charme indéniable) mais garde la tête haute, en toutes circonstances. 

Cette histoire est signée Carlos Trillo, un des maîtres de la bande dessinée argentine, qui compte à son actif une longue liste de chef d'œuvres incontestables. Nombre d'entre eux ont été réalisés en compagnie du dessinateur Eduardo Risso, adoubé par le microcosme du comic book américain depuis sa prestation majeure dans 100 Bullets (avec Brian Azzarello) et sur Batman. Son style est toute de suite identifiable : un noir et blanc d'une grande élégance, un trait épuré et géométrique qui lui permet d'exceller dans la représentation de l'espace urbain et des volumes domestiques (ici, des bidonvilles aux résidences cossues de Buenos Aires, tout est retranscrit comme un témoignage saisissant et minutieux), une manière habile de mettre en scène la tension érotique tout en la tenant à distance par le ridicule, l'outrance ou l'ironie. Le duo bien rôdé met au point une tranche de vie réaliste et décadente, un coup d'œil qui suinte l'injustice de classes et la corruption, l'érotisme et le poids d'une société encore par trop patriarcale, où les jeunes filles doivent avant tout miser sur un corps et ses formes pour exister, où l'homme se sert, surtout s'il en a les moyens. Sans négliger l'influence de l'église, qui ne sort pas indemne de cette histoire. Elle est ici dénoncée comme une institution majeure mais en lien direct avec les pires travers de la politique et de la finance. C'est elle qui tire les ficelles et façonne les esprits, à travers la télévision, les traditions, les liens avec le pouvoir. La "Bolita" du titre, c'est-à-dire la petite boule, cette bolivienne anonyme et assignée à vivre dans la marge de ceux qui possèdent et décident, endosse le costume encore un peu trop grand de la rébellion, de ces petites mains au féminin qui osent parfois dire non, quitte à en payer le prix ou s'autoriser quelques faiblesses, certes bien utiles. Malheureusement, Carlos Trillo nous a quittés à l'improviste, alors que la publication de Bolita, en épisodes, n'était pas encore achevée sur les pages du magazine argentin Ferro. On ne peut que se prendre à rêver de l'ampleur que ce personnage, cette série, aurait pu assumer autrement. Ces 80 pages sont lumineuses et admirablement bien troussées, mises en valeur dans un album à la hauteur du contenu, disponible chez ILatina. Une révélation, pour ma part, que cette maison d'édition passionnante, découverte à l'occasion du Festival d'Angoulême. On en reparlera ici-même, très vite et souvent. 




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