AVENGERS INFINITY WAR : THANOS LE MEURTRIER ECOLOGISTE

Dans le comic-book, c'est le Silver Surfer qui vient s'échouer lamentablement chez le docteur Strange, et annonce la venue imminente de Thanos, dont la quête des joyaux de l'infini va amener l'univers tout entier au bord de l'extinction. Au cinéma, c'est Hulk/Bruce Banner qui s'y colle, mais l'effet est globalement le même. Une menace d'ampleur inédite est sur le point de mettre pied sur Terre, pour arracher les deux pierres s'y trouvant encore, respectivement détenues par Stephen Strange et la Vision. Accrochez-vous au fauteuil car Infinity War fait dans le grand spectacle et la surenchère, deux heures durant. Vous avez voulu un grand film Marvel, épique, avec du drame en continu, des pertes et fracas, et tous les héros réunis pour une boucherie cosmique? Vous voilà servis, dégustez sans modération. 
Avec Thanos donc. Des années durant nous avons fantasmé son apparition, et les images glanées ici et là ne laissaient rien augurer de très positif, pourtant force est d'admettre que ce premier volet nous a visuellement satisfait. Josh Brolin donne une certaine humanité glauque à un vilain qui en impose, et gagne en 120 minutes ses galons de légende maléfique au cinéma. Reste que ses motivations s'éloignent de ce que pouvait nous apprendre Infinity Gauntlet, de Jim Starlin, dans les nineties. Il s'agissait alors d'un Titan Fou, persuadé que la seule manière de plaire à la Mort, dont il était épris et rejeté, était de lui offrir la moitié des êtres vivants de l'univers, en un formidable holocauste nuptial. Ici Thanos est une sorte d'écologiste pervers, qui s'est auto investi de la mission la plus saugrenue qui soit, s'occuper du problème de la surpopulation et de l'exploitation des resources naturelles, par des méthodes expéditives et radicales. Thanos le criminel écolo donc, qui au nom d'une certaine vision de l'équilibre cosmique, trucide à tout va. C'est que sans les six gemmes, il lui serait impossible de mettre la patée à Thor, ou de faire plier les Gardiens de la Galaxie en un revers de la main. Du coup les amateurs de comics passent deux heures à tenter de faire des comparaisons entre les scènes mythiques de la version papier (le face à face Captain America/Thanos avec le gant, les nombreuses morts originales et tragiques, la déchéance de Nebula...) avec ce que le grand écran propose. Le film fonctionne et plaît, mais ne peut soutenir la comparaison, en terme d'impact, d'inventivité, de cruauté. Le Thanos de Starlin reste inégalé, et celui-ci ne donne que la sensation d'exploiter avec parcimonie un pouvoir fabuleux, mais incompris. C'est là que réside la faille essentielle du film, s'il faut en trouver une.

Cela fait 18 films que les indices étaient semés. Bref, Infinity War est une conclusion, la somme de tout ce qui a pu être fait et pensé jusque là, mais aussi (vous le verrez en 2019 avec la seconde partie) un nouveau départ, pour la prochaine grande mouture des films Marvel Studios. Du coup c'est l'apocalypse toutes les dix minutes, avec de grands moments épiques, des batailles comme le fan hardcore souhaite en voir dans ses rêves les plus fous. Au Wakanda, sur Titan, sur Terre à New-York... chaque terrain de jeu à droit à son moment fort, avec en fil conducteur un Ordre Noir qui accompagne Thanos avec brio, tant ces personnages secondaires, apparus tardivement dans les comics, sont ici intéressants et pertinents, car ils permettent de projeter continuellement la menace de mort imminente apportée par leur maître, sans que celui-ci puisse et doive se montrer à toutes et à tous, tout le temps.
Reste le grand jeu du spoiler, inévitable à l'heure d'internet. Qui meurt dans ce film? Si vous avez lu Infinity Gauntlet, la réponse va de soi, en partie. C'est à dire que les héros trucidés par Thanos sont nombreux, et que les âmes sensibles vont pleurer dans les chaumières. Des figures fortes, imposantes, incontournables, disparaissent dans les dernières minutes qui deviennent un carnage inéluctable. Et Thanos triomphe, avec les six gemmes à sa disposition. Ne criez pas à la révélation, c'était l'évidence puisque en 2019 nous aurons la seconde partie, ce qui supposait donc que cette première manche allait être une déroute pour les forces du bien. Et puis la Bd fait foi, si Thanos ne parvient pas à mettre la main sur la Gant et tous les joyaux, il ne peut accéder au statut envié de terreur cosmique labelisée Marvel, juste celui de loser violet au menton tout ridé. Alors il gagne, se lâche, fait le job, et le spectateur est emporté, avec la conviction qu'à l'avenir il ne pourra plus dire que les films de super-héros sont trop gentils, que l'esprit Disney empêche toute conséquences dramatiques.
Souvent l'humour forcé vient désamorcer le tragique de certaines scènes, et on ne peut pas dire que ça soit une réussite généralisée. Passe encore pour le Groot et son jeu vidéo hypnotique, ou un Spider-Man dépassé qui compense par son verbiage, mais on trouve aussi des saillies de Tony Stark ou Star-Lord, qui finissent par fleurer la caricature, et n'apportent pas grand chose au film, si ce n'est la tentation de penser qu'on a devant nous des crétins à super pouvoirs, qui pensent à faire du stand up alors que l'univers est menacé. 
Donc Infinity War. L'apothéose. Oui, on peut le dire ainsi. Malgré un équilibre bancal dans la gestion des temps forts du film. Malgré des enjeux finaux qui ne trompent pas, surtout si on connaît la version papier. Malgré une mise en scène spectaculaire mais académique, qui n'échappe pas aux standards en vigueur chez Marvel Studios. Ce n'est pas un long métrage d'art et d'essai, juste un blockbuster colossal, une orgie de super pouvoirs et le récit de l'ascension irrésistible d'un vilain pathétique, qu'on apprend à connaître et détester un carnage après l'autre. Le job est fait, rien à redire, et le spectateur n'est pas spolié, il a ce pour quoi il a payé. Le meilleur dans tout cela, c'est que le lecteur de comics lui le sait, avec Jim Starlin il a connu encore mieux, bien mieux, et ça, c'est notre chance et notre secret à nous, la récompense pour notre passion. 



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